Adrien Conus

Adrien Conus

Adrien Conus

Ch.LH – CL. – RMR. – M.FFL. – DSO.
BM.2 – BCRA

Le colonel Conus a laissé un nom dans la France Libre, en particulier auprès des anciens de Bir-Hakeim. L’on connaît parfois moins bien combien sa carrière de combattant et d’homme engagé a été aventureuse.
Il faudrait un livre entier pour lui rendre justice, aussi ne trouvera-t-on ici que quelques coups de phare dus aux éléments d’information que son camarade, un ancien de « Plan Sussex », Louis Guyomard, a bien voulu nous communiquer.
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Adrien Conus, une grande figure de la France Libre, du BM2 et de la DGER, Compagnon de la Libération (MOL).
Léon Conus, père d’Adrien, descend d’une famille française originaire d’Épinal, fixée en Russie au début du XIXe siècle, peut-être à la suite des campagnes napoléoniennes.
Il épouse Nadine Mirotvortseva dont il divorcera après qu’elle lui eut donné une fille, Nathalie (future épouse de Michel Catoire), et Adrien, tous deux nés en Russie où leur père, pianiste de grand talent, saura leur faire aimer leur pays d’origine.
Le jeune Adrien dévoile très tôt un caractère violent, décidé et aventureux. Il dévore les livres de sa bibliothèque enfantine ; Kipling, qui restera son auteur favori, peuple ses rêves. Les voyages et la chasse le tentent de plus en plus. Très jeune, il obtient son premier fusil et est autorisé à chasser. La chasse devient dès lors sa dévorante et unique passion.
La famille quitte la Russie au moment de la Révolution et s’installe à Paris, où le Lycée Louis-le-Grand, puis l’École des travaux publics accueillent Adrien.
Après deux sursis, Adrien Conus est incorporé à Versailles en mai 1925 et se porte volontaire pour le Maroc, où, nommé sergent, il sert jusqu’en novembre 1926.
Kessel le décrit comme ayant :
– Le corps haut et large, le cou puissant, les épaules massives et la profonde poitrine des athlètes lourds. Il tenait la tête très droite, avec superbe, avec défi et offrait à la flamme du soleil, sans presque ciller, un visage encore jeune mais travaillé, modelé et pour ainsi dire signé par une existence épique.
Ses camarades diront qu’il avait conservé une grande sensibilité physique et morale malgré de dures épreuves traversées avant qu’il ne rallie les rangs de la France Libre au Cameroun. C’était un homme de sang-froid et d’un courage à toute épreuve.
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Son service achevé, il débarque à Brazzaville au début de l’année 1927 à la recherche d’un emploi. Il le trouve, sept mois plus tard, au Tchad.
Le voici lancé dans l’aventure. Successivement constructeur de voies ferrées pour l’État, transporteur fluvial à son compte, chasseur de grands fauves à la réputation internationale, transporteur routier, explorateur de territoires inconnus pour finir provisoirement, chercheur d’or, chef de village et juge suprême d’un village indigène.
Il nourrit très vite une passion pour la brousse, la forêt, les tribus primitives, les expéditions difficiles et surtout les chasses dangereuses. Dans ses périodes de loisirs, il se met à battre le pays sans arrêt et devient rapidement l’un des meilleurs fusils de ces régions. C’est ainsi qu’il fait la connaissance de Pierre Bourgoin (1), autre chasseur réputé. Conus est en France lors de la déclaration de guerre de 1939. Mobilisé comme sergent-chef, il est bientôt réformé temporairement et regagne l’Oubangui, où il reprend la direction de ses affaires. C’est là-bas qu’il reçoit le coup d’assommoir de l’armistice.
Le ralliement de l’AEF à la cause de la liberté entraîne sa plus entière adhésion et, rallié, il est chargé de recruter des tirailleurs pour le compte du BM.2.
Kessel raconte :
– Pour cette mobilisation, il n’y a pas eu de problème. On allait de village en village, avec nos tirailleurs. On repérait des hommes robustes, et il y en avait. Les Saras sont des types magnifiques, presque des géants. On embarquait les plus vigoureux.
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Le BM.2 quitte Bangui par voie fluviale le 4 janvier 1941 et embarque sur le S/s Touareg à Pointe-Noire le 20 février. Transféré sur le S/s Thysville à Freetown, le bataillon débarque à Suez le 23 avril suivant. Transféré au camp de Qastina, il y retrouve les autres unités de la 1re DLFL du général Legentilhomme.
Conus fait partie du groupe franc du BM.2 pendant la campagne. Le lieutenant Pierre Bourgouin le commande après avoir regroupé tous ses copains chasseurs, coureurs de brousse et autres non-conformistes de l’Oubangui. L’armement est hétéroclite, principalement récupéré sur l’adversaire. Le camion « Tanaké » de Canonne, « blindé » et armé d’un canon de 37 court, surnommé « la vieille », en est l’élément principal. La campagne achevée sans grands dommages pour le corps franc, Conus et son adjoint sont affectés à un service chargé d’encadrer les populations locales : on avait sans doute besoin de cadres énergiques dans certaines régions sensibles où les menées britanniques se faisaient par trop sentir.
Ce rôle statique ne convient guère à Conus, qui laisse brutalement tout tomber sans prévenir, quand il apprend que le BM.2 s’apprête à quitter le Levant : il rejoint son bataillon en Égypte pour apprendre que Bourgouin l’a quitté au profit des parachutistes. Comme les autres unités de la brigade, le BM.2 a reçu des Bren-carriers et des canons de 75, don involontaire du général Dentz pour ces derniers. Conus se voit confier le commandement de la section de Bren. Ces unités vont bientôt remplir le rôle traditionnel de la cavalerie au sein de la brigade Kœnig.
Ces engins très maniables ne portent malheureusement qu’un fusil mitrailleur ou un mortier de 2 pouces ; la VIIIe armée manque également d’engins antichars lourds et mobiles. Conus sait également que des canons de 25 français antichars sont disponibles. De là à adapter l’un au châssis de l’autre, il n’y a qu’un pas que l’atelier lourd de la brigade franchit aisément. Au début de juin 1942, elle dispose d’outils efficaces qui vont faire leurs preuves.
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Cet engin s’avère très efficace au cours des patrouilles. D’autant plus que ses concepteurs le perfectionnent et confient sa fabrication à Conus, délégué au Caire à cette occasion. Il s’agit de renforcer des camions Chevrolet porteurs et d’y adapter, grâce à d’audacieux bricolages, des tourelles de chars italiens récupérées.
Ces canons sont bien utiles au BM.2, brutalement attaqué le 8 juin, dès le lever du jour, après l’encerclement total de la position de Bir-Hakeim. Les 5e et 6e compagnies souffrent terriblement sous les bombardements et les attaques successives. Au début de l’après-midi, Conus et son peloton de Bren-carriers mènent une contre-attaque pour soulager la 5e compagnie. La nuit arrive, le BM.2 a tenu mais les tirailleurs sont à bout : de soif en particulier. Ce sont les réserves clandestines, généreusement et partiellement offertes par les fusiliers-marins qui les soulagent.
Le même scénario mortel se reproduit le lendemain et Conus est amené à contre-attaquer à nouveau avec ses Bren, vers 16 heures : les Allemands sont à nouveau refoulés sur leur base de départ.
Le 10 juin, dans la nuit, le BM.2 sort le dernier du camp retranché et se fragmente en petits groupes qui foncent devant eux pour échapper à l’enfer.
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D’un canon de 25, il paraît naturel de passer au canon de 75 : c’est ce que pensèrent presque simultanément deux officiers du BM.2.
Le projet du lieutenant Bayrou, commandant des antichars du BM.2, était simple. Le 75, complet y compris son bouclier, était hissé sur un camion doté d’un berceau à pivot. Une gouttière métallique en arc de cercle recevait la bêche, et le dispositif était complété par un treuil à chaîne et une manivelle. Ce canon avait un champ de tir de 30° environ. L’engin fut baptisé canon « B.B ».
L’entreprise de Conus était plus élaborée et relevait du génie bricoleur qu’il était. Un camion de 3 tonnes à deux ponts recevait le chemin de roulement d’un char M.13 italien : ce n’étaient pas les épaves qui manquaient. Le berceau recevait un 75 débarrassé de son train de roulement, de son bouclier et de la moitié de sa flèche. L’ensemble était protégé par deux plaques dorsales blindées de pilote de Stuka. Ce fut le « Experimental Workshop for the Middle-East » qui se chargea de la construction de cet hybride capable de tirer tous azimuts : d’où son intérêt.
Bientôt baptisé « Conus gun », cet engin fut présenté au général de Larminat et aussitôt essayé. Les coups tirés vers l’arrière ne posèrent aucun problème, par contre l’installation électrique du moteur ne résista pas au premier coup tiré vers l’avant :
– Revenez dans une semaine ou deux ! suggéra Larminat. Les essais furent interrompus par les combats de Bir-Hakeim, et repris ensuite par Conus qui, de juillet à août, partagea son temps entre les ateliers et le BM.2. Le temps de se rendre à Beyrouth pour recevoir la croix de Guerre des mains du Général, et le BM.2, en instance de retour en Oubangui, perd Conus et Gerberon, qui, restés au Caire, intègrent le RMSM de Jean Rémy avec leurs autocanons. Plus tard, la future 2e DB, cantonnée à Sabratha, panse les plaies de la campagne qui vient de s’achever. Cette période stagnante s’avère trop longue pour Conus. Il s’impatiente de l’inaction que le mauvais vouloir de Giraud impose aux Français Libres. Il s’agite, se démène et obtient l’autorisation d’être parachuté en France.
Il est affecté au BCRA à dater du 1er octobre 1943 comme lieutenant à titre définitif. Immédiatement dirigé sur les camps spécialisés, il reçoit une solide formation de para et de commando dans les unités britanniques.
Conus est déposé par avion le 6 juin 1944 dans l’Ain avec les autres membres de la commission interalliée du Vercors (mission « Eucalyptus »). Il vient d’être promu capitaine. Il va traverser une aventure exceptionnelle qu’il racontera plus tard à Hettier de Boislambert lequel la narrera lui-même à Joseph Kessel. Ce dernier la raconte dans l’un de ses ouvrages.
Arrivé à terre sans encombre, Conus gagne le massif du Vercors, qui abrite un important maquis. Les Allemands attaquent de toutes parts le 21 juillet à l’aube. La résistance est vouée à l’échec devant l’importance des forces engagées, aussi le chef du maquis donne-t-il mission à Conus de s’échapper pour obtenir des renforts.
Son escorte et lui butent une première fois sur l’ennemi au Pas de la Sambre. Ils recrutent alors deux guides pour tenter de franchir le Pas de l’Ane. Ils sont arrêtés par des mines, c’est sur l’une d’entre elles que saute l’un des guides. La pluie est incessante, mais une providentielle cabane de bergers les abrite pour la nuit. Après avoir échoué dans le franchissement d’une première cheminée, ils en trouvent une seconde qui leur livre enfin passage à travers l’encerclement.
Arrivé à Château-Renard, Conus, qui porte des microphotos et 200 000 francs sur lui, est arrêté par un barrage allemand. Interrogé par les policiers, il réussit à dissimuler les microphotos en les tenant entre le pouce et l’index. Cela ne lui évite pas d’être battu comme plâtre et laissé évanoui au sol. Remis à la Siecherheitzdienst, il est à nouveau abominablement torturé, ainsi que ses compagnons de captivité. Personne ne parle et, de guerre lasse, on les emmène en pleine campagne pour s’en débarrasser.
Conus racontera plus tard :
– J’étais complètement résigné. Je ne pouvais plus me servir de mes bras, complètement désarticulés. J’éprouvais seulement un peu de curiosité. On nous a fait asseoir dans un champ qui dominait le ravin. Six hommes nous gardaient. Les neuf autres étaient montés pour reconnaître les lieux.

– Envoyez-les deux par deux !

Un jeune homme et un lieutenant du maquis, mis à genoux, sont aussitôt massacrés.

À ce moment j’ai commencé à entendre le torrent dans le bas du ravin. Ce bruit m’a distrait de ma résignation. J’ai décidé de tenter quelque chose.
Attendant d’être appelé à son tour, instinctivement, par habitude de chasseur, il analyse le terrain autour de lui. Un homme lui fait face, son faciès mongol intrigue d’autant plus le condamné que le regard de cet homme semble fixer la croix qui brille sur sa poitrine à travers la chemise déchirée et tachée de sang.
Le feldwebel lui fait signe que c’est son tour. Conus s’accroupit, tendu et, inspiré, s’adresse en russe au soldat :

– Ne tire pas si tu crois en Dieu !
Et, aussitôt, court vers le bord de la falaise et saute. Aucune balle ne le touche. Bientôt dissimulé dans d’épais fourrés, il échappe à deux battues minutieuses et les Allemands ne réussissent pas à le débusquer.
Quarante-huit heures après, fourbu, physiquement près d’abandonner, mais moralement toujours aussi fort, il parvient à La Gresse, où le curé le met en rapport avec les maquisards de l’endroit. Il peut enfin contacter Londres et demander de l’aide pour le maquis du Vercors.
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À peine remis de ses émotions, Conus participe à une opération en Allemagne même. Particulièrement risquée, elle a lieu avant le passage du Rhin par les Alliés. Elle est menée par un commando d’une vingtaine d’hommes qui franchissent les lignes par voie terrestre, en civil, pour gagner la Ruhr. Elle devait être dirigée par Conus, mais Saint-Jacques, qui avait imaginé la mission, en prend le commandement au dernier moment .
Kessel raconte également comment Conus, chargé avec ses camarades de rassembler des renseignements derrière les lignes allemandes, au cours de l’hiver, passe les lignes et pénètre dans une ville ennemie pleine de troupes et d’agents de la Gestapo. Fort bien ! Mais où trouver les renseignements ? Une phrase indiscrète saisie au vol fait allusion à un abri et à un ascenseur. C’est une illumination.
Ayant observé dans le quartier ainsi identifié des allées et venues de personnages paraissant importants, Conus et ses hommes pénètrent dans le somptueux sous-sol d’un très gros trust de la Ruhr, dans l’intervalle des raids aériens. Ils neutralisent le gardien et le liftier et empruntent leurs vêtements. Stupeur des Français : il y a bien six étages de béton enfouis dans le sol. Le dernier, le plus sûr, est le mieux aménagé ; il n’y a qu’à attendre et cueillir les clients. Un nouveau raid se déclenche au début de la nuit : hauts fonctionnaires, chef de la police, généraux, se précipitent pour se mettre à l’abri ; les renseignements recueillis sont bons.
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Toujours à la recherche de nouvelles aventures, Conus n’attend pas la fin de la guerre et se retrouve en Indochine en juin 1945. Il y forme un Commando destiné initialement à des opérations et des missions spéciales parachutées en Indochine française, en Thaïlande et en Birmanie. Il devait, à l’origine, être rattaché aux forces anglaises dites « Force 136 », dont les bases arrières se trouvaient aux Indes, dans l’île de Ceylan.
Après l’armistice japonais, le Commando est affecté au CFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) et attaché administrativement à la 153e compagnie du QG, puis mis à la disposition directe du général Leclerc pour toutes les opérations de commando sur l’ensemble du territoire d’Indochine.
Cette unité est initialement composée de 25 officiers et sous-officiers, auxquels viennent se joindre successivement des hommes de différentes unités (Légion étrangère, infanterie, coloniale, ex-maquisards de Savoie, effectifs venant de Chine et ayant appartenus à l’ancienne colonne du général Alessandri, membres de la police de Shanghai, etc.), ce qui fait un total de 100 hommes environ.
Les premières actions du Commando sont dirigés contre des unités japonaises en Cochinchine et contre des groupes viêt-minh, notamment dans la région de Tay-Ninh. Par la suite, Conus et ses hommes sont affectés aux forces du Laos et parachutés successivement en opération au nord de Vientiane, puis à Luang-Prabang.
Les deux adjoints du colonel Conus sont le commandant Bechtel et le capitaine Guénon. Ce dernier fut tué à Ban-Keun au cours d’un corps-à-corps avec des éléments japonais, siamois et viêt-minhs. Le Commando sera dissout fin novembre 1946.
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Déjà en Indochine, Conus présentait les signes du mal qui devait l’enlever. Son commando dissout, il quitte l’Extrême-Orient le 14 juillet 1946. Les dix mois suivants sont éprouvants, son traitement est entrecoupé de visites par ses nombreux amis, le général Kœnig en particulier, alors en Allemagne.
Il souhaite retourner en Oubangui et son ami Bourgouin lui facilite les choses en le faisant nommer inspecteur des Chasses pour l’AEF. Démobilisé le 22 mai à Bangui, il peut reprendre ses affaires en main. Deux mois après, il quitte définitivement ses amis le 1er septembre.
Ainsi disparaît l’un de ces chevaliers modernes qui vécut à une époque où l’aventure était encore au coin de la rue et où les citoyens n’étaient pas encore ensevelis sous le poids de lois aussi nombreuses que tatillonnes. Grande figure de la France Libre, le colonel Adrien Conus s’était bien battu pour la patrie que ses pères n’avaient jamais oubliée.
André Casalis
Sources :
Correspondances de M. Louis Guyomard et documents attenants.
Joseph Kessel « Tous n’étaient pas des anges ».
« Le Commando Conus » par William Bechtel.
« La 1re DFL » de Yves Gras.
« 1016 Compagnons » de J.-C. Nottin.
Article par V. Maximovitch.
Notes du dossier personnel d’Adrien Conus aux archives de la DFL.
 
(1) Du 4e SAS (NDLR).
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.