L’aéronautique navale française libre

L’aéronautique navale française libre

L’aéronautique navale française libre

En juillet 1940, alors que le commandant Drogou vient de signaler « Trahison sur toute la ligne », le maître pilote Duvauchelle, sur son Laté 298, « quitte » Bizerte pour rejoindre Malte. Il ne recherchera pas la gloire dont il va se couvrir, des mois durant, dans le ciel méditerranéen, car, très tôt il n’a plus qu’une idée : venger ceux du « Narval » disparus au cours d’une mission de combat. Le 11 janvier 1941, près de Catane, Duvauchelle tombe, à son tour, en plein ciel de gloire, écrasé par le nombre de l’ennemi qu’il a auparavant sévèrement rançonné.
28 novembre 1941. Une communication téléphonique courte, tragiquement courte. Dans l’Aéronautique, quelques mots suffisent pour exprimer la stupeur, le chagrin profond que cause une perte irréparable annoncée sans phrases vaines.
Laurent, le lieutenant de vaisseau Laurent, vient de s’écraser au sol, pas loin de Camberley, dans la grande banlieue de Londres ! Le pilote exceptionnel, dont les camarades, en Angleterre, ne parlaient jamais sans témoigner par un « thumb up » définitif l’admiration qu’ils avaient pour lui, s’était consacré, mû par son mépris naturel du danger, aux missions secrètes dont la plus « monotone » consistait à atterrir « dans un mouchoir de poche », n’importe où en France, pour « piquer » nos héroïques agents de la Résistance, par les nuits les plus noires, à la barbe des chleus.
Début de 1941. Au large, dans l’Atlantique, un quadrimoteur allemand « Condor » est abattu. Calme, modeste et discret, le pilote qui a effectivement manoeuvré le « Sunderland » pendant l’attaque victorieuse, ne réclamera rien des récompenses normalement attribuées à l’équipage pour cet exploit assez rare. Il m’a fallu littéralement lutter, dans une base de la R.A.F., pour faire « avouer » au premier maître-pilote Besse, rallié de la toute première heure avec son inséparable ami Besacier, qu’il était le pilote en question.
Quelques mois plus tard, Besse disparait en mission de combat, au-dessus de la mer, emportant avec lui cette magnifique sérénité du devoir aisément accepté et librement consentit.
Début de 1941 encore, un « incident » se déroule à Tafaraoui, base aéronavale d’Oran où le soi-disant gouverneur de Vichy a réuni un important effectif d’aviateurs-marins n’appréciant pas, à de rares exceptions près, le désoeuvrement qui leur y est imposé.
En pleine inspection générale – à chacun son passe-temps ! – le maître-pilote Claude profite d’un roulement au sol pour « pousser » jusqu’à Gibraltar. Que pensent aujourd’hui les chefs qui eurent l’abominable volonté d’essayer de le faire rattraper… et descendre, par une chasse soudainement « libérée » de toute contrainte d’armistice ?
Claude, dès lors, écume tout à tour les cieux de la Manche et de la Méditerranée. Remplissant successivement tous les métiers qu’un chasseur peut accomplir, mais marin d’abord, il n’a de cesse qu’il n’arrive à se faire embarquer sur un porte-avion. En 1943, son rêve se réalise et, sur « Indefatigable », il ne tarde pas à ajouter de nouvelles victoires à celles déjà enregistrées.
Le 14-Juillet 1943, dans les eaux italiennes, il est porté disparu. On le retrouvera, dans son dinghy, criblé de balles : pour l’abattre définitivement, défiant atrocement les règles les plus élémentaires du combat, l’adversaire n’a pas hésité à tirer sur un homme livré à son seul parachute !
La voie suivie par ces magnifiques combattants évoque en nos mémoires les présences de nombreux autres camarades très chers de l’aéronavale F.N.F.L. qui, payèrent de leur dernier souffle leur foi en la survivance de la France.
Aussi bien eussé-je pu citer exemple, tout aussi exaltant.
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Il m’appartient, m’a-t-on dit, de rappeler ici ce que fut l’aéronautique navale Française Libre.
Cet historique pourrait être fort simple, le lecteur gagnant à savoir sur-le-champ, comme il s’y attend à bon droit, que, fidèle à la devise la connaissance n’eût jamais dû échapper à quiconque servit jamais l’aviation navale, notre arme se contenta de demeurer :
« Entre le ciel et la mer au service de la France ».
Certes, au début, point ne furent légions ceux qui la constituèrent.
Disséminés de par le monde, décidés à en découdre et au plus vite, la plupart des aviateurs marins ralliés à la France Libre avaient joint l’unité combattante la plus proche, quelle fut navale, terrestre ou aérienne : une coordination un rassemblement général allaient s’imposer.
C’est ainsi qu’en fin 1941, le général de Gaulle affirma son désir de disposer d’une aéronautique navale « cohérente et rationnellement constituée ».
Le dénombrement des moyens existants révéla rapidement, une certaine ubiquité qui laissait augurer quelques difficultés majeures, venu le moment du rassemblement. Qu’on en juge.
En Grande-Bretagne, le capitaine de corvette de Scitivaux, chasseur de grande classe, déjà célèbre par son action pendant la campagne de France et la bataille de Londres, commandait le squadron mixte (air-marine) 340 (groupe Île-de-France).
Lui-même, Gilbert, Bechoff, Claude, et les autres « musiciens du ciel », assistés d’une cinquantaine de non-volants à casquette marine ou pompon rouge, ensemble fort impressionnant, constituaient, en vérité, l’ossature du premier groupe aérien français créé en Grande-Bretagne et quel groupe, si l’on en juge par les aviateurs qui le complétaient : Duperrier, Mouchotte, Fayolle, Labouchère, etc.
Il était bien entendu que le « team » de Scitivaux rallierait la marine dès qu’il disposerait d’un porte-avions. En fait, il était évidemment « inalienable » aussi longtemps que les F.A.F.L. ne pourraient pourvoir à son remplacement.
Parallèlement à ce team, et opérant dans une unité britannique, une autre équipe, non moins efficiente, s’était constituée autour du capitaine de frégate Jubelin « venu » quasi miraculeusement d’Indochine. Cette équipe, dans laquelle oeuvraient avec un rare bonheur les Kerlan, Delery, etc. s’était vouée à certaines interventions spéciales qui, à en juger par les résultats, paraissaient lui convenir admirablement, à telle enseigne que cette équipe, elle aussi, apparaissait « tabou ».
Restaient enfin quelque deux cents « aviateurs-marins », de toutes spécialités, éparpillés dans le monde entier, soit dans les unités F.A.F.L., en Afrique, soit dans le fameux 1er Régiment de Fusilliers Marins, soit enfin dans les formations alliées.
A vrai dire, bilan bien établi, l’aéronautique navale française libre « cohérente et organisée » se réduisait, au début de 1942, outre son commandant à quelques spécialistes en attente de réentrainement et à trois officiers.
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Cependant, il y avait la Foi. Une Foi soutenue, sans relâche, par le général de Gaulle et le commandement F.N.F.L. qui avaient senti toute la valeur d’une aéronautique navale et l’importance démesurée qu’elle allait prendre dans les opérations modernes.
Aussi, peu à peu, fut réalisée la concentration des moyens en ensembles homogènes. Après la perte du commandant de Scitivaux, abattu et fait prisonnier le 10 avril 1942 au cours d’un engagement demeuré célèbre de « son » squadron 340 avec des Focke-Wulf dernier cri, son équipe fut progressivement réduite à nos « chasseurs impénitents » (Gilbert, Kerlan, Delery, etc.).
Par ailleurs, souvent certes contre leur gré, les « égarés », retrouvés dans les différentes unités non aéronavales opérant an Afrique ou dans les formations alliées, furent réunis en Grande-Bretagne. Parallèlement, le recrutement et l’entraînement étaient solidement organisés.
En juillet 1942, la porte des école de l’Aviation Navale Américaine nous fut ouverte et le gouvernement américain accepta d’entraîner et d’équiper une flotille (groupe) de lutte anti-sous-marine. Dès septembre 1942, la ville de New York faisait un accueil mémorable à une bonne centaine de nos marins dont l’arrivée aux États-Unis constituait en fait un événement capital. Ce groupe, en effet, se trouvait être le premier détachement militaire français à être admis aux États-Unis depuis le drame de 1940. Une tradition était ainsi recréée, qui devait permettre à toutes les Force Françaises Combattantes d’accélérer leur mise sur pied sur des bases modernes.
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Dès lors tout tourna rond.
La flotille de lutte anti-sous-marine (VFP-1 rebaptisée 6 F) fut formée en 1943, à partir d’un noyau de solides anciens : de Levis-Mirepoix, Besacier, Gicquel, Bleunven, Motte, Van Paris, etc. noyau auquel ne cesseront, jusqu’à 1945, de venir se grouper tous les « jeunes » formés dans les écoles américaines, dont certains comptent parmi nos meilleurs techniciens du moment, et de solides « évadés » tels Decaix et Kervarec.
Les « teams » dont il a été précédemment question furent soigneusement entretenus, la marine entendant être prête à armer un porte-avions dès que l’occasion lui en serait donnée. C’est ainsi que, dans le groupe Île-de-France ou sur porte-avions britanniques, nos chasseurs continuèrent à affirmer une présence peu appréciée de l’adversaire, perdant hélas l’enseigne de vaisseau Claude, puis le premier maître-pilote Delery abattu en Hollande, un mois avant l’armistice, après avoir combattu sans relâche, dans les cieux, partout où il savait trouver l’ennemi.
Bien entendu tout le monde se retrouva dans les grands galas, nos chasseurs au débarquement de Normandie et le 6F à celui du Sud, cette dernière formation ayant pris soin, pour ne rien laisser au hasard, de s’installer partiellement en Corse bien avant le jour J.
Finalement, à l’arrivée au port, notre aéronavale totalisait un cinquième environ des effectifs F.N.F.L. et apportait à la communauté nationale, outre ses hauts faits et aussi hélas ses lourds sacrifices, une expérience inappréciable.
Née dans la foi, bâtie dans l’espérance, servie avec enthousiasme, elle méritait mieux sans doute que ma brève évocation de son histoire.
Le lecteur ne s’y trompera pas, devinant à travers ces lignes les grandes épopées et les petites misères d’une poignée d’hommes simples qui n’ont eu d’autre souci que d’apporter leur modeste appoint au bien du service et au succès des armes de la France.

Capitaine de vaisseau La Haye

Ancien commandant de l’aéronautique navale française libre
Extrait de la Revue de la France Libre, numéro spécial, 18 juin 1951.