Les Antilles françaises dans la tragédie 1939-1940

Les Antilles françaises dans la tragédie 1939-1940

Les Antilles françaises dans la tragédie 1939-1940

On a très peu parlé des Antilles françaises dans les tragiques événements de 1939-1945. Est-ce parce qu’elles sont insignifiantes du fait de leur exiguïté et de leur éloignement ? Pourtant, on connaît bien l’épopée des bataillons issus des îles du Pacifique. Il est vrai que dès 1940 les unités du Pacifique ont trouvé des chefs comme mon filleul de promotion, le lieutenant-colonel Broche, pour leur montrer avec une ferme résolution le chemin d’un impérieux devoir, mais est-ce la faute des Antilles françaises si elles n’ont pas trouvé tout de suite un Broche à leur tête ? Est-ce la faute des Antilles françaises si elles ont été coiffées par des autorités qui ont paralysé tout de suite leur action, soit par un appel à leur sens de la responsabilité sur les 29 tonnes d’or, sang précieux de notre mère patrie, qui a trouvé refuge à Fort-de-France, soit par une version de circonstance du patriotisme qui a tout de suite touché leur sensibilité naturelle, soit par une répression sévère, voire excessive, dont les Antillais se souviennent encore amèrement ?

Il est un fait la masse antillaise est profondément française. De souche effectivement française. Car, sous prétexte qu’ils sont diversement colorés, du fait de leur appartenance à la race africaine, il ne convient pas d’oublier qu’elle est issue aussi de purs Français venus aux Îles, soit comme corsaires, soit comme boucaniers, soit comme colons, soit comme gens de la compagnie des Indes occidentales, soit comme nobles en passe de redorer leur blason, parmi lesquels de nombreux bretteurs impénitents que les rois ont jugé bon d’éloigner de la métropole. Puisque cette masse est profondément française, française du temps où l’on considérait la qualité de français comme un titre tabou, il va sans dire que cette masse bouillait d’impatience quand elle a su que la France continuait, sans elle, la lutte, sous le commandement d’un prestigieux Français : notre Général.

Ils ont attendu vainement qu’un chef les rallie au mouvement de la France Libre. Il y a eu des velléités, nous les connaissons, mais un ralliement, s’il n’était pas facile, n’était pas impossible. L’autorité du moment était omnipotente et disposait des moyens dévoués et puissants capables de mater toute action locale en faveur de la France Libre.

Et cependant, ce qui montre à quel point le patriotisme antillais est resté le plus fort (ne dit-on pas qu’avec la foi on soulève des montagnes), c’est qu’assez d’éléments ont réussi envers et contre tous à quitter les îles pour rejoindre la France au combat. Parmi les deux bataillons qui sont partis, nous retiendrons plus particulièrement celui des évadés, ce faisant, nous ne voulons pas diminuer l’action du 2e bataillon qui a combattu vaillamment dans la liquidation de la poche Atlantique, à Saint-Georges-de-Didonne, à Royan, sous les ordres du commandant Tourtet qui y a trouvé une mort glorieuse. Mais ce 2e bataillon a eu le premier l’avantage d’être embarqué régulièrement pour l’extérieur tandis que les circonstances de l’évasion des éléments du 1er bataillon qui fut plus tard incorporé dans la 1re Division Française Libre sous les ordres du commandant Larde, constitue une des plus belles épopées ignorées de cette dernière guerre.

Nous préférons faire une relation directe de cette action héroïque qui éclairera positivement le lecteur.

Le vieux sang français parlait et sa puissance légendaire, sa résolution obstinée devaient triompher de tous les obstacles. Malgré les mesures draconiennes, malgré la surveillance étroite de la marine de guerre puissamment stationnée aux Antilles, malgré les ukases, malgré les risques connus, les jeunes en particulier n’hésitèrent pas. Ils trouvèrent le moyen de quitter les îles en canots de 6 mètres sur 1,50 mètre de large et 80 centimètres de creux, surchargés, et de traverser le terrible canal de la Dominique bien connu pour ses courants, ses vagues hautes comme des cathédrales et ses requins, bravant du même coup l’inflexible police des mers, et gagnèrent Roseau, capitale de la Dominique.

Ils se rangèrent aussitôt sous le pavillon de la France Libre, pour continuer la lutte aux ordres de notre chef : le général de Gaulle.

D’aucuns, pour excuser peut-être une pusillanimité inavouée ou pour minimiser cette action surhumaine, ont cru bon d’avancer que ces évadés étaient des gens qui étaient recherchés par la police pour des méfaits qui n’étaient pas du tout en leur honneur. C’est là la calomnie habituelle de ceux qui ne pouvant s’élever à la hauteur des autres, tentent par des moyens déloyaux de les rabaisser à leur niveau. J’ai servi dans ce bataillon et, en tant qu’Antillais moi-même, venu d’une autre formation, j’ai rencontré une jeunesse de toutes conditions, ardente, pleine de foi, courageuse, qui n’avait rien de commun avec des repris de justice. Il est toutefois un fait, cet exploit téméraire, désespéré, commandé par le sublime amour de la France, leur coûta dès le début un lourd tribut. Le nombre des partants avait beaucoup diminué, à l’arrivée. Les rescapés comprirent dès lors qu’il fallait beaucoup consentir à cette France qu’ils aimaient par-dessus tout et qu’il restait beaucoup à lui consentir. Ils ne reculèrent pas pour autant.

Après bien des péripéties, les éléments rejoignirent la 1re D.F.L. alors stationnée en Tunisie (ils avaient traversé la mer des Caraïbes, les États-Unis, l’Atlantique, le Maroc et l’Algérie).

Avec cette modeste et glorieuse unité, sous les ordres d’un chef ferme, adroit et intelligent : le commandant Lanlo, ils participèrent à la campagne d’Italie où ils laissèrent assez de tombes pour prouver leur foi et leur abnégation, ils participèrent ensuite à la campagne de France, où, plutôt mal équipés pour le froid en particulier, ils furent remarquables sur les fronts d’infanterie de la Haute-Saône, des Vosges, de l’Alsace durant l’hiver 1944-1945 et des Alpes-Maritimes de mars 1945 jusqu’à la victoire ; notons qu’ils appartenaient à la D.C.A. Ils ont jalonné leur itinéraire d’assez de tombes, leurs blessés sont assez nombreux, la proportion des croix de guerre attribuées est assez importante et le nombre des rescapés assez éloquent (700 sur plus de 2.400 qui ont quitté les îles clandestinement) pour montrer qu’il ne s’agissait pas de bluff ou d’action de « repris de justice » (qui se seraient contentés de rester en Amérique) et que leur amour de la France n’était pas seulement un mot.

Quel plus bel éloge fait à une troupe que cet éloquent ordre d’unité de son chef :

« Volontaires Antillais, l’implacable rigueur du climat vous soumet, dans les points d’appui de la montagne, a une rude épreuve. En cet anniversaire de la victoire, je viens vous rappeler le mot de Jeanne-d’Arc parlant à son étendard. « Il a été à la peine, il est juste qu’il soit à l’honneur ». Qui fêterait la victoire si elle ne se payait chèrement ? Vous pouvez n’être pas maintenus longtemps encore en première ligne.

Au moment où les volontaires de la France libérée s’apprêtent à vous relever, je tiens à proclamer que :

« Vous aurez l’honneur d’être les Français de couleur à quitter les derniers le front de combat d’infanterie. Ceux d’entre vous qui, pour remonter en ligne, ont caché aux médecins leurs souffrances, m’ont donné la plus grande joie des chefs, la vue d’hommes qui servent annoblis par l’abnégation et le sacrifice. »

« Haut les cœurs jusqu’au bout. C’est pour la France. Notre général suit de près votre effort et le limitera quand la preuve de votre valeur et les nécessités du combat auront consacré votre place dans la 1re Division des Forces Françaises Libres. »

« Aux Armées, le 11-Novembre 1944.

« Signé : LANLO »

On les voyait en effet partout : avec leur 40 Bofors, sur les positions de D.C.A. en ligne sur les positions d’infanterie, sur les routes participant aux transports avec leurs camions. Ils restèrent en ligne jusqu’au départ de la 1re D.F.L. pour le front Atlantique, en décembre 1944.

La division ne resta pas longtemps dans le Sud-Ouest. Rappelée sur le front du Nord-Est, elle se mit en route fin décembre. Le bataillon antillais n’eut pas le temps de s’apercevoir qu’il faisait un froid glacial sur les routes. Partie de Cognac le 28 décembre, elle était à Saint-Piermont le 31 décembre et dès le 2 janvier 1945 elle était en ligne en Alsace (position d’infanterie et de D.C.A.).

Après l’Alsace, on le retrouve sur le front des Alpes-Maritimes, avec la même ardeur partout où le commandement l’employa. Au cours de cette campagne, il y eut, entre autres à son actif, la capture de deux hommes lance-torpilles, qui lancèrent leurs engins dans la rade de Monaco et faillirent causer des dégâts plus importants que ceux enregistrés. Leur récompense à tous fut le défilé d’une délégation du groupe au sein de la 1re D.F.L. dans les artères principales de Nice, le 8-Mai 1945.

Le bataillon antillais termine la guerre avec une magnifique citation à l’ordre de la 1re Division des Forces Françaises Libres (ordre général n° 317 du général de brigade Garbay, commandant la 1re D.F.L).

Leur ultime récompense fut le défilé du 18-Juin 1945 à l’Arc de Triomphe et aux Champs-Élysées devant le prestigieux chef de la France Libre.

Lieutenant-colonel de réserve Étienne Florent

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 121, septembre-octobre 1959.