Le bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique entre en France avec la 1re D.F.L.

Le bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique entre en France avec la 1re D.F.L.

Le bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique entre en France avec la 1re D.F.L.

La côte des Maures, vue du large, au mois d’août, telle aura été notre première vision de la France. La première pour nos grands Tahitiens aux yeux en amande, finement bridés, pour nos Canaques trapus au faciès de sculpture inachevée, nos Calédoniens, ces Français des antipodes, simples et solides, nos exubérantes recrues corses dont la plupart n’avaient jamais quitté leur île avant sa libération. Mais la première aussi pour les Français de France, car c’est – vue de l’extérieur – la France à libérer.
Elle est belle cette France, sous le ciel bleu, dans le soleil, elle est là toute proche, riante, avec ses villas coquettes ou somptueuses étagées dans les pins et semblant autant de paillettes claires mais différentes, piquées sur un tissu vert sombre aux reflets dorés.
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Plages du débarquement de Provence (RFL).

La baie de Cavalaire où nous sommes ancrés au milieu d’une foule de bateaux hétéroclites, a gardé son allure de station de villégiature et nous avons plus l’impression de participer à un important rallye maritime qu’à un débarquement de vive force sur une côte « préparée à l’avance » pour le recevoir. Cette impression nous la devons aux sacrifices des commandos, premiers débarqués, à l’aviation alliée qui a nettoyé ce beau ciel de toute velléité de la Luftwaffe et aux canons des navires de guerre de notre escorte qui ont su imposer le respect aux batteries ennemies.

Quelle revanche pour ceux qui avaient connu Dunkerque. Qui avaient connu l’angoisse, la douleur et la rage sous un ciel hostile, noir de la fumée des réservoirs en flammes. Qui avaient vu les Stuka en bande surgir à tout instant de ce vaste écran protecteur pour mitrailler les troupeaux passifs attendant ou espérant « leur » bateau.
À la nuit tombante, nous vivons l’heure exaltante du débarquement. Chaloupes et landing crafts sont venus nous chercher à bord de notre transport. Qui s’apercevait alors qu’on pataugeait dans l’eau jusqu’à mi-cuisse, et que dans les brodequins à chaque pas les pieds faisaient un bruit de ventouse ?
Tous nous communions dans une même pensée ; nous foulons enfin la terre de France – cette terre c’est le sable fin d’une plage azuréenne et nombreux sont ceux, parmi nous qui en ont ramassé d’une main libre une poignée qu’ils égrènent avec, au cœur une intense émotion : la terre de France ! Des années de durs combats, des dizaines de milliers de kilomètres sous les plus rudes climats, la perte de camarades si chers – tout ceci pour cela. Mais c’est déjà la récompense. À Cavalaire commence effectivement la tâche pour laquelle nous sommes réunis.
La nuit est tombée, à l’ouest et à l’est grondent des bruits de bataille. Ici tout est calme et le B.I.M.P. en petites colonnes, par les brèches ouvertes dans les barbelés et les champs de mines rejoint les positions de stationnement qui lui ont été assignées.
Nous traversons une pinède aux senteurs d’encens – nous gravissons des coteaux – en vraie terre cultivée avec de vrais sillons et des rangées d’arbustes – promenade nocturne et estivale – qui parle de guerre ? C’est quelque orage lointain…
Halte ! sac à terre – quelques heures de repos. L’aube nous réveille et, dans la pénombre nous constatons que nous sommes couchés dans des vignes. Au-dessus de nos têtes, à portée de la main, juste en tendant le bras, de plantureuses grappes de raisins aux grains énormes, nous appellent, savoureux, sucrés, juteux… « Raisin de France » pensons-nous avec le plus chauvin des partis pris.
La journée est pour nous une journée de regroupement. Nous ne sommes pas en pointe du dispositif qui s’est ébranlé dans plusieurs directions. C’est donc une journée calme que marqueront toutefois un orage violent et les premiers contacts avec nos compatriotes libérés. Le tout premier, dans une ferme voisine sera bien décevant. Réception à peine polie. Nous demandons à acheter du vin, non prévu dans les vivres américains et que notre intendance n’a pu nous procurer pour le débarquement. Le prix qui nous est donné nous fait sursauter et nous étonne. Peut-être était-il normal ? C’était pour nous le premier prix en France, après ceux de l’Italie, d’Afrique du Nord. Mais si le prix était normal, la réponse ne pouvait l’être : « Les Allemands le payaient ce prix-là… » tout juste si le passé y figurait dans cette phrase.
Mais ne généralisons pas, ailleurs l’accueil sera meilleur. Nous prenons aussi ce jour-là contact avec un café, à la Croix-Valmer, où tourbillonnent soldats des différentes armes et compatriotes en civil porteurs de brassards tricolores : les premiers F.F.I. sur notre route.
Le lendemain à l’aube, nous nous ébranlons en longue colonne vers l’ouest par la route côtière. Nous marcherons beaucoup sous un soleil de plus en plus ardent. Au fait ne sommes-nous pas au mois d’août, sur la Méditerranée ? Nous aurons des traînards, des éclopés, qui nous vaudront au Lavandou, un magistral « savon » du patron, le général Brosset.
Entre temps, j’ai eu l’occasion personnelle de réaliser la confusion qui, en France, règne dans certains esprits. À un moment où la route traverse une de ces délicieuses petites calanques qui se succèdent sur cette côte, je reconnais une petite plage où j’avais, quelques années plus tôt, passé des vacances et, près de la route, le petit hôtel où j’étais alors descendu. Quittant un instant la colonne, je pénètre dans l’établissement, m’y fais reconnaître sous l’uniforme, et alors la fille de la maison, qui a passé vingt ans, dans un élan de confiance nie fait part de sa grande anxiété : « Mais, qu’allons-nous devenir maintenant avec tous ces terroristes ? » ! ! !
Après avoir poursuivi notre progression, fatigante mais toujours exempte de mauvaise rencontre, nous passons, formés en bouchon sur des hauteurs qui entourent la route, une nuit où toutefois nous devons subir une violente attaque… de moustiques. Pendant plusieurs jours ils nous harcèleront en nuées épaisses. « Des cousins germains », dira celui qui, dans la compagnie est chargé, selon le capitaine, d’énoncer l’astuce quotidienne.
Le lendemain nous approchons d’Hyères et des choses sérieuses. Nos véhicules organiques nous transportent par compagnie successive de la Londe des Maures au nord-est d’Hyères, face aux Maurettes dont nous sépare le val du Gapeau.
Dans la nuit, deux compagnies de notre bataillon franchiront la rivière, mais l’ennemi tout proche réagit par mortiers, artillerie et armes automatiques… Nous avons pour objectif principal le Golf Hôtel – énorme bâtiment que les Allemands ont transformé en fort, bétonné d’importance tout en lui conservant son aspect extérieur de palace, doté d’un système de galeries souterraines, entouré de réseaux de barbelés que notre 1re compagnie atteint vers 3 heures du matin.
L’opération s’avère impossible dans ces conditions, nous devons nous retirer sous le tir de l’artillerie allemande et rejoindre nos positions de départ de l’autre côté du Gapeau. Notre bataillon aura subi, au cours de cette nuit, ses premières pertes sur le sol de France : trois tués et sept blessés.
Dans la nuit suivante nous reprendrons l’attaque et, en occupant plusieurs crêtes du massif des Maurettes, prendrons définitivement pied au-delà du Gapeau. Une position au nord-ouest du Golf Hôtel, que notre chef de bataillon cherche à contourner, fortement tenue par l’ennemi, a été attaquée deux fois en vain. Sa garnison n’a pas lancé moins de six contre-attaques pour tenter de nous déloger d’un point occupé à 300 mètres de là.
Au début de la matinée, après une préparation de 105, suivie de fumigènes, la 1re compagnie attaque de nouveau cette position, l’occupe… un seul prisonnier : un mulet. Comment l’ennemi a-t-il pu se replier aussi discrètement ? Mais au cours du nettoyage, un homme découvre l’orifice d’un tunnel, d’où on lui jette une grenade. Les Allemands s’étaient réfugiés dans ce tunnel pendant le bombardement et ont été surpris par notre attaque collant de près au tir d’artillerie : 85 prisonniers, nous avons perdu deux hommes. La position comportait deux observatoires, un tunnel à quatre branches et trois étages.
Mais le Golf Hôtel tient toujours, bloquant les véhicules qui tentent d’entrer dans Hyères où les fantassins se sont infiltrés. Nous sommes exténués, deux nuits sans sommeil, plus de ravitaillement… une reconnaissance progresse à nouveau jusqu’aux barbelés où elle est accueillie par le feu des automatiques : un tué, trois blessés, mais l’ordre est donné d’attaquer.
Le commandant du bataillon qui prend lui-même la direction du coup de main forme huit groupes d’une section environ et assigne à leurs chefs leur mission particulière. Un tir de 155, de 105 et de fumigènes sur la position appuie la progression, ouvre des brèches dans les barbelés, permet l’irruption dans la position. À 19 heures l’opération est terminée, elle se solde, du côté de l’ennemi par 20 morts et 160 prisonniers, pris également pour la plupart dans les galeries souterraines où ils s’étaient mis à l’abri du bombardement. Nous n’avons eu cette fois aucune perte. Le général arrive, complimente les prisonniers pour leur résistance énergique, mais leur dit qu’il y a plus fort qu’eux : les Français, et, félicitant notre chef, ajoute que son bataillon s’est racheté de la pagaïe du Lavandou !
Dans cette affaire, notre compagnie – trop fatiguée, paraît-il – n’a pas donné, elle a joué les utilités en escaladant les collines que n’occupaient que les éternels moustiques. Nous ne sommes pas fiers et serions même plutôt vexés.
Nous bivouaquons dans les faubourgs nord d’Hyères, sur cette colline escarpée où avait été bâtie la ville médiévale et qui domine la ville moderne et un vaste et splendide paysage méditerranéen avec la rade, la presqu’île de Giens et les Îles d’Hyères.
C’est de là que le 22 août nous serons transportés en camions vers La Garde, autre piton escarpé, planté au milieu d’une petite plaine côtière devant cette formidable position naturelle qu’est Toulon.
Le matin le B.M.24 était entré dans le vieux village bâti sur le piton, mais en avait été rejeté par une contre-attaque.
Notre compagnie, cette fois est chargée de l’affaire. Nous atteignons le remblai de la voie ferrée qui constitue le dernier abri devant La Garde. Cet abri se révélera meurtrier. Déjà nos fusiliers marins y ont perdu un scout-car, un Dodge avec canon de 57 et deux Jeep qui avaient tenté d’emprunter le passage en dessous et s’étaient fait « azimuter » par des canons automoteurs ennemis tirant à vue de façon précise.
Derrière ce remblai d’enfilade, notre compagnie va, en peu de temps, perdre 32 hommes, tués ou blessés.
Allons-nous nous laisser décimer sans réagir. Le village paraît à portée de la main… les ordres sont d’attendre les ordres. Pourtant nous brûlons d’impatience. Nous avons un retard à combler sur le reste du bataillon depuis l’arrivée en France. Un chef de section n’y peut tenir et suivi de trois hommes, bondit par le passage en dessous. De l’autre côté du passage des fils téléphoniques jonchant le sol formant réseau, et des éclatements accueillent les quatre hommes, un véhicule des fusiliers marins finit de se consumer… de bond en bond, suivis par le tir ennemi, ils atteindront une maison isolée, la première de La Garde, mais en bas du piton. Elle paraît inoccupée, porte et volets sont clos. Mais sait-on jamais. Si elle est inoccupée, la porte peut être piégée, moins de danger avec une fenêtre. Un volet tiré cède facilement : à l’intérieur une famille atterrée par les bruits de la bataille – « Les Allemands ? – Le matin ils étaient au village, depuis on n’a pas bougé ».
Un peu plus loin, sur la route, un soldat ennemi blessé qui demande à boire, se disant Arménien !
La première rue, en pente abrupte, est atteinte, aucun bruit, le village semble désert, partout les volets sont clos. D’un instant à l’autre des rafales vont partir. Non, la place centrale est atteinte sans encombre, rien… un village mort. « Holà, habitants de La Garde ! » Un contrevent s’entrebâille, s’ouvre, puis une porte, deux portes et les quatre hommes sont entourés, par la population qui les étreint… Les Allemands sont partis, abandonnant quelques blessés. Deux tirailleurs du BM.24 qui ont pu se cacher dans une cave ont survécu à la contre-attaque allemande du matin. Déjà les hommes du pays sortent des armes pour eux et du pastis pour leurs « libérateurs » au nombre d’une dizaine maintenant, un sergent ayant rejoint avec une partie de son groupe.
Après avoir fait surveiller les accès du village en cas de nouvelle contre-attaque, le chef de section, qui ne peut prendre la liaison radio, repart rendre compte. Il est à nouveau pris à parti par le tir ennemi. Il rejoint sa compagnie toujours en ligne derrière le remblai, attendant un tir de notre artillerie sur La Garde, prélude à un assaut inutile. Le poste de radio de compagnie est hors d’usage et il faut décommander le tir dont souffrirait le village.
Le capitaine commandant la compagnie et le chef de section repartent avec quelques hommes, rejoignant La Garde et du haut du piton de la vieille tour font des signaux qui permettent d’annuler le tir prévu, quelques minutes avant l’heure de son déclenchement.
Très près de La Garde une position est encore, occupée : la Mauranne. C’est la 3e compagnie qui en est chargée. Mais la position et celle du Pradet réagissent : quatre tués dont deux chefs de section, trois blessés. Il s’agit d’une position avec tourelles blindées, de nombreuses armes automatiques et d’épais réseaux de barbelés. L’affaire doit être reprise le lendemain avec deux compagnies en premier échelon : la 1re et la 3e (nous sommes en réserve) avec appui de chars et d’artillerie. L’affaire sera très chaude, mais rapidement menée et jusqu’au corps à corps ; en quarante-cinq minutes de combat acharné la 1re compagnie perdra son capitaine et aura 23 autres tués ou blessés ; la 3e, 29 hommes hors de combat, 30 cadavres ennemis seront dénombrés, 40 blessés et 17 prisonniers dont cinq officiers.
Décidément toutes les affaires sérieuses sont pour la 1re et 3e…, mais, patience, nous nous rattraperons bientôt.
Ce qui importe surtout c’est que la route de Toulon soit ouverte…
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 79, 18 juin 1955.