La campagne d’Érythrée

La campagne d’Érythrée

La campagne d’Érythrée

ou la fin de l’Africa orientale
par le général d’armée Jean Simon

M.-J. Laurain, secrétaire d’État aux Anciens Combattants de 1981 à 1986, avait lancé l’idée d’un colloque historique portant sur l’année 1941 et bien avancé sa mise sur pied. Son successeur, M. Georges Fontès, garda ce projet et le concrétisa sur le thème : il y a 45 ans – l’année 1941 : Témoignage pour l’Histoire. Nous avons pensé que nos lecteurs seraient très intéressés par les témoignages présentés et le secrétaire d’État aux Anciens Combattants a bien voulu nous autoriser à publier ceux qui concernent la France Libre. Avec le numéro 255 nous avons commencé cette publication par le témoignage de notre camarade Jean Marin. Cette fois nous publions celui de notre président : le général d’armée Jean Simon.

Au début de l’année 1941, la bataille du désert se poursuivait avec ses alternatives d’avances et de replis.

Les ravitaillements de toutes sortes ne pouvaient transiter par la Méditerranée, où se livrait la bataille pour Malte, il était donc indispensable de maintenir ouverte la route de la Mer Rouge, seul axe de ravitaillement possible pour l’Égypte.

Devant l’instabilité de la situation et pour assurer ses arrières le général Wavell décida de liquider la situation en Érythrée et en Éthiopie.

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En Afrique orientale les Italiens étaient solidement implantés. Ils occupaient également la Somalie britannique. Après l’échec de Dakar en septembre 1940, le général de Gaulle parla aux officiers du corps expéditionnaire rassemblés dans le grand salon du Pennland, il leur promit qu’ils combattraient en Afrique contre les forces de l’Axe.

J’ai assisté à cette réunion. Le Général, avec ce pouvoir extraordinaire qu’il avait d’organiser l’avenir, de donner des ordres à l’Histoire, nous exposa les grandes lignes de son action en Afrique.
Il entendait «mobiliser l’ensemble équatorial français pour participer à la bataille de l’Afrique. »

Deux forces seraient donc organisées, la première partirait du Tchad, rallié par Éboué avec l’aide de Pleven et de Boislambert, pour s’emparer du Fezzan et de la Tripolitaine, et l’autre rejoindrait le Moyen-Orient pour y conforter la position de la France Libre et pour y prendre part ensuite à la bataille du désert.

La liaison entre ces deux éléments devait se réaliser sur les rives de la Méditerranée. Ceci se passait en septembre 1940 et fut strictement réalisé par la suite.

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En attendant de pouvoir réaliser ce programme ambitieux le Général demande aux Britanniques que les Forces Françaises Libres participent à l’offensive en Afrique orientale.

Le général de Gaulle espérait également profiter de cette action pour rallier Djibouti, qui était resté sous l’obédience de Vichy.

La Brigade d’Orient

Sous l’impulsion du général de Larminat, haut commissaire en AEF, secondé par un cadre d’officiers et d’administrateurs exceptionnels, de colons avec l’aide des autochtones, l’AEF et le Cameroun se transforment en une gigantesque place d’armes.

La Brigade d’Orient fut ainsi mise sur pied. Elle est commandée par le colonel Magrin-Verneret, dit Monclar, figure légendaire de la Légion étrangère, dont le rôle fut décisif à Londres en juin et juillet 1940 pour le ralliement des Forces Françaises au général de Gaulle.

La Brigade d’Orient comprenait des éléments de commandement, de l’artillerie, un détachement du génie, un détachement du train, la 13e Demi-Brigade de Légion étrangère, un Bataillon de Tirailleurs Saras, le Bataillon de Marche n° 3 aux ordres du chef de bataillon Garbay.

La Brigade d’Orient embarque à Douala le 24 décembre 1940. Après une escale à Durban et une traversée de 54 jours elle atteint Port-Soudan.

Le plan des Britanniques

Les Britanniques avaient prévu de lancer simultanément trois offensives :

– la première aux ordres du général Platt, partie de la frontière du Soudan, a pour objet de conquérir l’Érythrée ; Elle met en oeuvre la 4e et la 5e division indienne. Un détachement de spahis français aux ordres du capitaine Jourdier participe à cette action.

– la seconde offensive prévue aux ordres du général Cunnigham, part du Kenya en février 1941.

– La troisième action est menée par des commandos éthiopiens.

Le général Wingate à leur tête conduit une action importante sur le plan militaire et psychologique dans le but de rétablir l’Empereur Hailé Sélassié sur son trône.

La conquête de l’Érythrée

L’offensive partie du Soudan se heurte à la forteresse naturelle de Chéren qui joue un rôle fondamental dans la stratégie défensive du Duc d’Aoste.

Pour aider les 4e et 5e divisions indiennes, qui ne réussissent pas à s’emparer de Chéren, le général Platt prescrit à la Brigade d’Orient d’attaquer.

L’action du BM.3 et la prise de Cub Cub

Le BM.3 s’empare de Cub Cub, position puissamment fortifiée.

Après trois jours de furieux combats le BM.3, appuyé par l’artillerie britannique, capture 430 prisonniers, quatre canons, ses pertes sont de 17 tués et de 44 blessés.

Pendant que le BM.3 débutait ainsi par un coup de maître, le colonel Monclar regroupait les éléments de la Brigade d’Orient débarqués à Marsa Taclaï.

L’intention des Britanniques était de faire avec la Brigade d’Orient un vaste mouvement d’encerclement par la route qui va de Cub Cub à Chéren et de favoriser ainsi la progression des 4e et 5e divisions indiennes bloquées devant Chéren.

Le 13 mars la Légion attaque et monte vers un col qu’elle atteint après un combat assez confus où se distinguent le capitaine Paris de Bollardière et le lieutenant Pierre Mesmer.

Dans les jours qui suivent l’attaque de l’Engiahat se solde par un échec, mais le moral italien commence à fléchir, les déserteurs ascaris affluent régulièrement.

La Royal Air Force possède la maîtrise du ciel.

L’attaque finale se déclenche le 27 mars au matin. Elle tombe dans le vide, les Italiens ont décroché.

La route de Chéren à Asmara est atteinte.

Les Britanniques s’emparent d’Asmara le 2 avril.

La prise de Massaouah

Pendant ce temps les troupes italiennes qui ont pu s’échapper de Chéren et d’Asmara se réfugient à Massaouah, grand port sur la Mer Rouge, dont les défenses sont tournées vers la mer.

Les Britanniques essaient d’obtenir sans résultat une trêve. Le 6 avril la trêve est rompue et la bataille commence.

La Brigade d’Orient doit attaquer la face ouest de Massaouah en liaison avec la 5e division indienne. Pour la première fois, elle est chargée de l’effort principal et agit de façon indépendante.
Elle doit s’emparer des forts de Moncullo, Vittorio, Emmanuelle et Umberto I.

Le 8 avril au matin la Brigade d’Orient attaque, les unités d’infanterie coloniale et de Légion rivalisent d’ardeur et de courage appuyées par l’artillerie du capitaine Champrosay et l’artillerie britannique.

À partir de midi toute résistance a cessé.

Le général Monclar accompagné de ses motocyclistes pénètre dans Massaouah.

La ville elle-même n’a pas subi de gros dégâts. Seul le port a été saboté : six cargos sont échoués contre les quais, 16 navires sabordés obstruent l’entrée. La population civile fait gentiment le salut fasciste.

En fin d’opérations le bilan des prisonniers faits par les Français est le suivant : l’amiral commandant en chef en Érythrée, le général commandant en chef en Érythrée, deux officiers généraux, 449 officiers et plusieurs milliers de prisonniers.

Le 8 avril au soir le drapeau français flottait aux côtés de l’Union Jack sur l’amirauté de Massaouah.

Seul un petit triangle compris entre Amba Alagi, Dessié et Gondar restait aux mains des Italiens en Abyssinie. Un bataillon français, le BM.4, et l’escadrille « Lorraine » devaient quelques mois plus tard participer à sa réduction.

C’en était fait de l’Africa orientale.

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Les Français avaient acquis, au cours d’opérations particulièrement difficiles, la confiance des Britanniques. Avec ce sens remarquable de l’économie des forces qu’ont les Britanniques, les forces françaises bien que peu nombreuses jouèrent un rôle important.

Les FFL pouvaient espérer recevoir de nouveaux équipements pour continuer à combattre les forces de l’Axe aux côtés de leurs Alliés et elles le firent brillamment en 1942.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 256, quatrième trimestre 1986.