Le Comité de la France Libre du Mexique, par René Dubernard

Le Comité de la France Libre du Mexique, par René Dubernard

Le Comité de la France Libre du Mexique, par René Dubernard

L’attachement à la Mère Patrie est toujours resté très vivace dans les familles françaises fixées au Mexique, où certaines d’entre elles ont émigré il y a plus de cent vingt-cinq ans.

Lorsque, en juin 1940, parvint, à Mexico, la nouvelle que la France allait demander un armistice à l’Allemagne, l’émotion fut considérable, et, sur mon initiative, diverses personnalités de la colonie française se réunirent dans les locaux de l’Alliance française.

Là, M. Georges Pinson, président de l’Alliance française, le docteur Antoine Cornillon, médecin-chef de l’hôpital français, M. Alexandre Génin, président de la chambre de commerce française, M. Bernard Vincent, directeur du Journal français du Mexique et moi-même, en tant que président de l’Association des Anciens Combattants, nous décidâmes d’envoyer en quatre exemplaires, un câble, insistant auprès des pouvoirs publics pour qu’un ultime effort fut fait afin d’éviter de demander un armistice déshonorant. Ces câbles étaient adressés au président de la République, au président du Conseil, M. Paul Reynaud, aux généraux Weygand et Mittelhauser.

Ils restèrent sans réponse.

Aussi, dès que l’Appel du général de Gaulle fut connu, je lançai une convocation à tous les Anciens Combattants.

C’est le 22 juin à 20 heures, dans un local mis à notre disposition par un des grands magasins français de la ville, que se tint cette réunion, avec près de 250 participants.

Rappelant à tous ce qu’avait été pour nous et pour le monde tout entier l’armistice du 11-Novembre 1918, soulignant que nos messages aux hautes personnalités françaises étaient restés sans réponse, j’invitais tous les présents à se prononcer sur l’opportunité de notre adhésion à l’Appel du 18-Juin.

Afin de ménager les susceptibilités, j’avais proposé que le vote ait lieu à bulletin secret, mais c’est à main levée et à la quasi unanimité que la réponse affirmative fut donnée.

L’élection d’un bureau provisoire, l’établissement du procès-verbal de la réunion suivirent sans tarder. Les listes d’adhésion se couvrirent aussitôt de 150 noms, premiers sympathisants qui n’hésitèrent pas à se faire connaître et qui par la suite, reçurent par les soins du comité définitif la carte de membre fondateur. Je pris personnellement soin de ces listes, m’engageant à les conserver en lieu sûr, toute la responsabilité du mouvement étant, dès lors, revendiquée par le comité provisoire. De son côté, chacun des signataires s’était engagé à verser une contribution financière mensuelle.

Peu de temps s’écoula avant que je ne reçoive la visite du docteur Médioni, que je ne connaissais pas, et qui m’a demandé de lui remettre les listes des adhérents à notre groupement : je ne donnai aucune suite à sa demande.

Il revient me voir quelques jours plus tard, et renouvela sa demande : cette fois au nom de M. Soustelle, dont j’ignorais le nom et l’existence ; je refusai à nouveau. Mais, dans l’après-midi, je rencontrai M. Georges Pinson qui m’éclaira sur la personnalité de M. Soustelle, représentant officiel du général de Gaulle au Mexique, et me fixa un rendez-vous pour le lendemain matin.

C’est au cours de cette entrevue que je pris contact avec M. Soustelle, accompagné de M. Médioni. Ainsi commença notre action commune.

Des sous-comités furent créés et organisés dans l’intérieur du Mexique, alors que nous nous efforcions d’augmenter le nombre de nos adhérents, d’organiser notre propagande par la création d’un insigne métallique à porter à la boutonnière, de décalcomanies à coller aux pare-brise des voitures. Les deux insignes portaient sur fond blanc le V de la Victoire en bleu, et entre les branches du V, la croix de Lorraine en rouge. Les insignes étaient vendus cinq piastres, les décalcomanies une piastre.

Un grand nombre de garagistes – sympathisants de la France Libre – se chargèrent du placement des décalcomanies, sans prélever la moindre commission. Si bien qu’en très peu de temps, un grand nombre de voitures circulaient dans Mexico arborant notre insigne, quelquefois même, non seulement sur le pare-brise, mais sur la glace arrière et sur les glaces latérales. Le Comité central approvisionna les comités de l’intérieur en insignes et décalcomanies, propagande qui se révéla excellente tant au point de vue du rendement financier que de la diffusion de nos idées.

Le 10 octobre 1940, notre première assemblée générale rassembla plus de 300 personnes – dont beaucoup de Mexicains et les représentants de nos comités de l’intérieur – et élit notre comité directeur :

G. Pinson : président ; Manoel Gonzales Montesinoa : vice-président ; Pierre Fouqué : vice-président ; René Dubernard : trésorier ; Jean Perrilliat : secrétaire.

L’appui que nous apportèrent nos amis mexicains est démontré par la présence de notre vice-président M. Manoel Gonzales Montesinoa qui, ainsi que son frère Fernando, sont les petits-fils du général Manoel Gonzales qui fut président de la République du Mexique du 1er décembre 1880 au 30 octobre 1884. Élevés en France, tous deux avaient pris part à la guerre de 1914-1918 comme combattants volontaires.

Parmi les Mexicains qui nous apportèrent leur concours, il convient de mettre au premier plan : M. Mauricio Fresco, ancien consul du Mexique dans divers pays d’Europe durant de nombreuses années et jusqu’en 1942. Grâce à lui et aux photographies qu’il nous procura, il nous fut possible d’organiser une exposition très documentée, tant sur l’action de la France Libre, que sur les méthodes de barbarie utilisées par les nazis dans leur lutte d’extermination raciale. Cette exposition se tenait en plein centre de la ville, dans le local même où eut lieu notre première réunion : elle fut très fréquentée.

Lorsque le Mexique rompit ses relations avec les pays de l’Axe, le président de la République, le général Manuel Avilha Camacho, fit savoir au Comité de la F.L. de Mexico qu’il souhaitait le recevoir, accompagné des personnalités de la colonie française, dont il lui laissait le choix.

Notre délégation, soit une vingtaine de personnes, fut introduite par le chef du protocole dans les bureaux particuliers du président de la République. Après les présentations d’usage, il nous annonça qu’il déclarait la guerre au gouvernement de Vichy, mais non au gouvernement que représentait à Mexico le Comité de la F.L. En conséquence, il invitait tous les membres du Comité à le considérer comme leur tuteur, au même titre que le seraient des orphelins, ce que nous étions à ses yeux, puisqu’il n’avait pas encore reconnu officiellement comme gouvernement le C.N.F. de Londres. Il nous laissa entendre, d’ailleurs, que cette reconnaissance ne devait pas tarder, et c’est le 2 décembre 1942 qu’il reconnut le gouvernement du général de Gaulle.

Entre la déclaration de guerre du Mexique et cette reconnaissance, il se passa donc plusieurs mois pendant lesquels, grâce à l’intervention du président de la République lui-même, les biens et intérêts français au Mexique ne furent l’objet d’aucune mesure restrictive, alors que ceux des ressortissants de l’Axe furent mis sous séquestre pendant plus de dix ans.

La reconnaissance du gouvernement du général de Gaulle valut au Comité central un grand nombre de télégrammes de félicitations d’amis mexicains dont les encouragements et la sympathie ne nous avaient jamais fait défaut.

Il est significatif à cet égard de rappeler qu’un jour, alors que le Mexique n’était pas encore en guerre, nous parvint au Comité de la F.L. une convocation d’avoir à nous présenter dans un bureau dépendant de la Haute Cour de justice. Renseignements pris, c’était le bureau qui instruisait les affaires d’espionnage et les crimes contre la sécurité de l’État.

Je ne savais pas trop à quoi m’en tenir en y pénétrant le premier, mais je fus rapidement rassuré en voyant mon interlocuteur prendre ostensiblement sur son bureau une grosse boule de papier d’étain qu’il grossissait de feuilles qu’il tirait de sa poche.

« Le papier d’étain, me dit-il, est très recherché par les Anglais pour les besoins de la guerre. C’est pour eux que je collecte ces feuilles qui enveloppent certains paquets de cigarettes, et à la première occasion, je remettrai moi-même cette boule au consul de Grande-Bretagne ».

Il me dit alors que le Comité de la F.L. en général, et chacun de ses membres en particulier, étaient accusés de menacer la sécurité de l’État, et me demanda si j’avais quelque idée sur l’origine de cette accusation. Devant mes dénégations, il tira d’un tiroir de son bureau une feuille éditée par un Italien, de réputation douteuse d’ailleurs. Il était poursuivi par Mussolini comme républicain, prétendait-il, alors qu’en réalité, membre d’un parti d’extrême-gauche, il en avait, après vol, incendié les archives, d’où les poursuites dont il était l’objet. Ceci dit, mon interlocuteur m’accompagna très aimablement jusqu’à la porte de son bureau, me recommandant de rassurer pleinement mes camarades qui étaient convoqués pour être entendus le lendemain.

Le 5 mai 1943, à Puebla, eut lieu une manifestation particulièrement émouvante d’attachement des Mexicains à la France. C’est à Puebla qu’eut lieu, le 5 mai 1862 – au lendemain de la fameuse bataille de Camerone – un très violent engagement entre les troupes françaises et celles de Porfirio Diaz. La commémoration de cette victoire mexicaine donne lieu chaque année à un grand défilé et à des cérémonies patriotiques. En 1943, cette commémoration d’une victoire remportée sur les troupes françaises prit la forme, assez inattendue, d’un hommage à la France.

En tête du défilé, sur le même rang que le drapeau mexicain, on pouvait voir le drapeau français et le fanion de la F.L. avec la croix de Lorraine. Ce résultat a été obtenu grâce aux efforts déployés par M. Henri Costant, combattant volontaire de 1914, né à Mexico, de père basque français et de mère espagnole, et ne connaissant la France que par ce qu’on lui en avait dit dans sa famille.

Le 16 septembre 1943, à Mexico, était célébré le jour anniversaire de l’indépendance mexicaine. Un défilé militaire parcourait les rues de la capitale. Passant devant les fenêtres des bureaux de la F.L. où flottaient, avec le drapeau mexicain, notre drapeau tricolore et le fanion de la F.L., le cortège fit halte et, aux applaudissements de la foule, joua avec entrain la Marche lorraine en hommage à la F.L. et à son chef, le général de Gaulle.

*

Une cinquantaine de volontaires tant Français que Mexicains, dont dix jeunes femmes, furent mis en route à destination de l’Afrique où ils furent enrégimentés dans les troupes du général Leclerc.
La contribution financière à Londres du Comité du Mexique fut particulièrement importante, c’est le 17 octobre 1940, que le premier envoi de fonds fut adressé au général de Gaulle. L’ensemble des envois s’éleva à :

41.500 livres sterling
17.800 dollars

dans ces montants ne sont pas compris ceux qui furent affectés aux dépenses de propagande, mise en route des volontaires, etc.

*

À Mexico, l’annonce de la libération de Paris fut précédée aux postes de radio de quelques mesures de la Marseillaise.

Dans de nombreuses usines, dans les ateliers des entreprises gouvernementales, de leur propre initiative, les ouvriers se mirent au garde-à-vous pendant quelques minutes. Les sirènes des manufactures, celles de l’hôtel de ville ne cessèrent de se faire entendre la journée durant, en signe d’allégresse, et, en fin d’après-midi, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, un immense cortège se forma spontanément. Les anciens combattants français avec leur drapeau furent placés en tête du cortège qui, précédé de six motards, parcourut les rues de la ville pour aller exprimer leur joie à l’ambassade de France. La population attachait à l’événement une importance aussi grande que s’il avait intéressé la vie même du pays.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.