Comment j’ai connu Jean Cavaillès

Comment j’ai connu Jean Cavaillès

Comment j’ai connu Jean Cavaillès

Depuis le premier jour où vous avez franchi le seuil de notre maison, je savais qu’il fallait que je vous parle de celui dont votre école porte maintenant le nom. J’ai essayé plusieurs fois, je suis entrée dans une classe pour vous raconter ce que vous êtes en droit de savoir, et j’ai reculé. Voyez-vous, les grandes personnes ont aussi des chagrins, des souvenirs très pénibles à remuer. Vous parler de Jean Cavaillès, c’est parler d’un être cher qui n’est plus, de tous nos camarades aussi, qui ne sont jamais revenus.
Il faut pourtant que de temps en temps, sans vouloir vous attrister et peser sur votre enfance, quelqu’un ait le courage de raviver des souvenirs, pour que vous sachiez que si notre pays a trouvé son visage de paix, de joie, de liberté, c’est à tous ceux qui sont morts que nous le devons, à ceux qui ont donné leur vie pour que les petits enfants de France aient pu retrouver leurs rires, leur travail, leur patrie.
Jean est né près de Poitiers, il y a tout juste cinquante ans. Son père était officier, ce qui lui a valu de connaître beaucoup de villes, beaucoup d’écoles, avant de s’installer à Paris, à l’École normale supérieure, où il entre premier. Peut-être que sa sœur, qui a écrit un livre, voudra bien vous raconter une partie de sa vie qu’elle connaît beaucoup mieux que moi. Je sais seulement, qu’après avoir brillamment passé l’agrégation de philosophie, il fait un séjour en Allemagne pour compléter des recherches personnelles de mathématiques. Puis, c’est le service militaire et la préparation d’une thèse.
Jean entre, à nouveau, à l’École normale, où cette fois il guidera les jeunes camarades dans leurs travaux. Il crée des cercles religieux (Jean était protestant) très suivis, et poursuit ses études de mathématiques, qu’il alterne avec de fréquents voyages en Allemagne, où il se fait de bons amis. Être protestant ne l’empêche pas d’avoir une réelle sympathie pour le culte catholique, témoin cette lettre, datée de la Pentecôte 1931, que cite sa sœur dans son livre :
– Je me suis décidé à passer les fêtes ici. Les cérémonies, surtout samedi – où on répète une partie du Samedi Saint : six prophéties et consécration de l’eau – et dimanche avec les laudes et matines, à 4 heures du matin (où j’ai assisté, en tout, dimanche pendant plus de cinq heures), étaient très belles. Il y a de belles voix et certains hymnes, le Veni Creator surtout et l’Agnus Dei, ont quelque chose qui n’est plus humain tellement est grande l’adéquation de la musique au texte. Dimanche, une partie de l’assemblée a pris part au choral pour les réponses faciles et je crois bien l’Agnus Dei. La veille, dans la crypte, à la répétition, le père qui dirigeait, expliquait que cette musique est la chair même de la parole de Dieu. Il y a quelque chose de vrai là-dedans, pour cette action un peu mystérieuse de cette mélodie si simple, mais dont le rythme régulier nous prend tellement qu’on en sort presque sans conscience et se prolonge dans la récitation des psaumes. J’ai encore devant moi les vêpres et les complies aujourd’hui et c’est un regret que ce soit sitôt fini.
Dans les fêtes aussi, les vêtements particulièrement riches, cela contraste avec Ettal, à la grand-messe de dimanche, neuf grands manteaux rouge et or, agenouillés devant l’autel, avec derrière, la longue rangée des tuniques blanches et des cierges, formaient de vrais tableaux. Mais, ce que j’aime le mieux, c’est encore cet office de complies, dans le demi-jour, le Psaume 90, récité par tous ces capuchons immobiles, et à la fin à genoux, sans un mot, dans la nuit presque complète…
Quelques voyages en Italie, Tchécoslovaquie, beaucoup de travail, et comme distractions : musique (qu’il aimait avec passion sans savoir jouer), lecture, poésie, et nous arrivons à l’année 1936, où Jean est nommé professeur au lycée d’Amiens. Il achève sa thèse qu’il vient soutenir à Paris, à la Sorbonne. En 1938, il devient professeur à la Faculté de Strasbourg et puis, très vite, c’est la guerre. Il a, cette année, le grand chagrin de perdre sa mère et, peu après, son père. Il part sur le front. L’inaction de l’hiver 1939-1940 lui pèse. En janvier 1940, il reçoit sa première citation, après avoir réussi de nombreuses reconnaissances de nuit à la frontière franco-allemande :
« Officier d’une haute valeur morale. A donné sur une position d’avant-poste particulièrement délicate, plusieurs fois attaquée par l’ennemi, l’exemple d’un courage et d’un sang-froid remarquables. A effectué volontairement plusieurs patrouilles, rapportant des renseignements et du matériel ennemi. »
Puis, c’est la débâcle – les hordes allemandes déferlent une fois de plus sur la France – Paris est pris. C’est l’armistice.
En juin 1940, personne n’a plus de nouvelles de Jean. On le croit mort ; on lui décerne une deuxième citation :
« Officier du chiffre de la division. Le 8 juin, n’a pas hésité, au cours de la retraite, alors que le détachement dont il faisait partie était presque encerclé par l’ennemi, à se porter seul, en avant, pour faire le coup de feu. A été un vivant exemple de courage et de sang-froid. A été tué au cours de l’action. »
Jean n’était pas tué. Disparu seulement. Le 14 juillet, on reçoit une carte : il était prisonnier.
Dans le livre de sa sœur, vous pourrez lire les détails de son encerclement, puis la marche forcée jusqu’à Péronne, puis Bapaume et Cambrai. L’annonce de l’armistice, la vie de camp, les punitions, les maladies (particulièrement la dysenterie) qui ravagent les hommes.
Le 25 juillet, départ de Cambrai, pour Tournai, Gand et Anvers. C’est de là que Jean s’évadera pour la première fois. Abrités dans une filature dont les carreaux ont été cassés en de nombreux endroits, les prisonniers se reposent. Jean demande à un de ses camarades de lui faire la courte échelle et, entre les rondes de la sentinelle, il saute et se retrouve dans le jardin d’un couvent. Une religieuse lui ouvre la porte, lui donne un costume civil dont elle avait une réserve pour les évadés.
Jean, déguisé en jardinier, se rend chez un garagiste pour acheter une bicyclette. Celui-ci, repérant un évadé, le fait héberger par un paysan, chez qui il peut enfin prendre un bon repas. Puis, muni d’une bicyclette qu’il échange contre une montre en or, Jean part au petit jour. Il attend à la Faculté de Lille de savoir si sa sœur et son beau-frère sont de retour à Paris.
C’est alors qu’il revient, caché dans un camion, avec une fausse carte d’identité. De là, il gagne la zone libre pour se faire démobiliser.
Il retrouve la Faculté de Strasbourg repliée à Clermont-Ferrand. En novembre 1940, il reprend son poste de maître de conférences et, déjà, sa chambre sert de refuge à ceux qui n’admettent pas la défaite. Jean, que la foi n’a jamais abandonné, redonne à ceux qui se regroupent autour de lui, l’espoir et la confiance en l’avenir. C’est là que prend naissance sa vie de Résistant.
*
En novembre 1940, j’étais loin de penser que mon destin rejoindrait quelque temps celui de Jean. Mais cela ne devait se passer qu’en juillet 1942. Entre-temps j’avais pu m’introduire, en septembre 1940, dans un réseau d’espionnage (OCM) dont le chef était le colonel Touny et son adjoint Daniel Gallois, ami de l’École normale d’un de mes frères, professeur de lettres à Condorcet. Là, tout en continuant ma classe, je glanais des renseignements de toutes sortes, j’essayais de recruter d’autres agents, puis, par hasard, je rencontrai André Philip, qui, traqué par les Allemands, devait se réfugier à la maison pour trois mois, de mars à juillet 1942. C’est grâce à lui que je fis la connaissance de Jean.
Un jour, en effet, il me dit qu’il me ferait faire, avant son départ pour Londres, la connaissance d’un être remarquable, à qui je pourrais, peut-être, rendre de grands services.
Je le rencontrai dans un café du Quartier latin. On me le présenta :
« Chennevière. Ah ! c’est vous ? Venez dîner ce soir avec moi ; j’aimerais vous connaître mieux ».
Mais ce n’est qu’à la fin de juillet que je reçus une lettre, d’une petite écriture très difficile à déchiffrer :
« Chère et vaillante collègue, voulez-vous venir au Luxembourg, demain matin 11 heures ? Je vous attends. Amicalement. Jean Cavaillès. »
Quand nous nous rencontrâmes, il me fit un bon sourire qui illumina sa figure et alla droit au fait : – Je sais par André que vous désirez travailler dans le Réseau.
– Mais, depuis 1940, je suis dans un Réseau !
– Je ne savais pas ; qu’y faites-vous ?
– Je rassemble des renseignements militaires que j’apporte, chaque semaine, à un chef. Mais j’ai beau utiliser tous mes loisirs, je suis trop prise par mon école pour que cela puisse donner grand-chose.
– Voulez-vous travailler avec moi ? Je suis seul, je tape moi-même le courrier sur une vieille machine, avec deux doigts, j’ai tant de chose à faire…
– Pourrais-je travailler pour deux réseaux en même temps ? Cela m’ennuie beaucoup de lâcher mon ancien travail.
– Sûrement pas ; question de sécurité d’abord. Une dénonciation risquerait de détruire deux réseaux à la fois, et puis, ce serait inopérant ; tous nos renseignements sont centralisés à Londres. Allez voir votre chef, expliquez-lui…
– Il est en vacances.
– En attendant, aidez-moi ; si vous le voulez bien, évidemment.
– Si j’étais sûre de vous être utile, cela me ferait tant de plaisir.
– Alors, c’est entendu, vous travaillez avec moi. Êtes-vous libre demain ? J’ai des messages secrets à porter en zone libre.
– Des messages secrets ? Mais vous ne m’avez vue que deux fois ; vous ne me connaissez pas.
– C’est justement parce que je ne vous connais pas que je vous fais confiance ; je garde encore intactes mes illusions sur vous.
– D’accord, j’irai.
– Venez me voir dans deux jours, tout sera prêt. Soyez discrète. J’aurai votre billet pour Châlons. Vous cacherez les papiers dans le compartiment.
– N’ayez pas peur, je me débrouillerai. Je voulais dire aussi : j’ai une machine à écrire et je sais taper.
– Vous avez une machine et vous ne me le disiez pas ! Mais, vous me sauvez la vie. Enfin, on verra tout ça. Je vous attends demain.
C’est ainsi qu’en juillet 1942, je fis ma première mission sérieuse. Au retour, il m’annonça son intention d’aller voir un certain Bernard en zone libre :
– Je vous demanderai de me rejoindre à Lyon. Avez-vous des papiers pour la zone libre ?
– Non, mais je suis passée six fois clandestinement ; je le ferai bien volontiers une septième fois pour vous retrouver.
– Je ne veux pas, je préfère que vous soyez en règle ; on ne mettra jamais assez d’atouts dans notre jeu. D’ailleurs, ce ne sera pas long, vous aurez votre ausweiss dans quelques jours.
– Je voulais vous demander : il est possible que, par un copain cheminot, je puisse avoir le plan « X » que les Allemands doivent mettre en pratique en cas de débarquement ; est-ce que cela vous intéresse ?
– Quelle question ! Apportez-moi cela après-demain, sans faute !
Comme prévu, je lui apportai le plan :
– Parfait. À propos, il faudra choisir un pseudo assez rapidement.
– Hé bien, c’est facile.
Je pensai à plusieurs noms et m’arrêtai sur celui de Claire, qui était mon second prénom.
– Claire ? Il me regarda très gentiment. Rien ne pouvait mieux vous aller. Et se tournant vers un camarade :
– Je vous confie Claire. Vous activerez ses papiers ; expédiez-la moi, dès que possible.
Il avait dit cela moitié souriant, moitié sérieux. Mais je restais rêveuse. Les jours qui suivirent, je restais dans l’attente de mes papiers qui n’arrivaient toujours pas. Entre-temps, j’appris que Jean m’attendait à Lyon et commençait à s’impatienter. Alors, je décidais de partir sans mon ausweiss et le lendemain je me mettais en route pour Lyon, en allant d’abord à Pau où l’on avait encore quelques facilités de passage.
Après toutes ces péripéties, j’arrive à Lyon, me rends chez des amis de Jean – les Samuel – pour m’entendre dire qu’il est parti trois jours en montagne, pour se reposer. Enfin, je le retrouve avec son bon sourire, le teint hâlé, le visage détendu. Ce court répit lui a fait du bien. Et tout de suite, je suis embauchée.
Grande joie dans le Réseau, la première peut-être. Nous venons de recevoir notre premier container de Londres, avec documents, brochures, armes et directives de travail.
Jean doit partir pour Londres, en mission. Je le retrouve deux jours après. L’avion qui devait l’emmener n’a pu décoller : on a dû brûler, avec l’appareil, tous nos renseignements, ramassés avec tant de peine. Nous prenons en main le pilote britannique qu’il faudra désormais cacher.
Nouvelle alerte le lendemain. Jean doit rejoindre Marseille, avec un certain Pedro, que je sus, plus tard, être Pierre Brossolette, pour gagner l’Angleterre par sous-marin.
Plus de nouvelles. Pendant son absence, Gérard (Jean Gosset) prend la tête du mouvement. Ce n’est qu’en septembre que l’on apprend l’arrestation de Jean. Pris par les gendarmes, sur une petite plage, aux environs de Marseille, il avait été immédiatement interné à la prison de Montpellier. C’est Gérard qui m’apprend la nouvelle, je ne trouve rien à dire. Il répète et doit sans doute me trouver insensible. Prétextant un rendez-vous, je m’enferme dans ma chambre. C’est notre première arrestation.
Nous recevons les premiers billets de Jean dans le courant du mois, de minuscules bouts de papier. Son moral ne semble pas affecté ; la santé, disait-il, était bonne. Il peut travailler. Suit une liste de conseils, de démarches à entreprendre, de mots d’ordre.
Dans sa prison, où presque personne n’avait accès, Chennevière continuait à faire marcher le réseau. Il demandait à tous d’obéir à Gérard, en ses lieu et place, et de ne pas se décourager. Il promettait de faire tous ses efforts pour les rejoindre bientôt.
Gérard semble accablé du nouveau poste qui lui incombe. Il entreprend sa tâche avec beaucoup d’ardeur, essaie de vaincre sa timidité presque maladive et sa juvénile apparence, qui diminuent son ascendant sur ses camarades.
À ce moment, il faut donner plus de temps au réseau ; bien tristement, je lâche mes petits élèves. Octobre 1942 : je reçois le colonel Rémy, condamné à mort, qui arrive de Londres et, ayant entendu parler de moi par André Philip, me demande, à son tour, l’hospitalité. C’est pourquoi, dans ses Mémoires, que peut-être vos parents ont dans leur bibliothèque, vous trouverez la photo de la maison, le 36, rue Chardon-Lagache, qui a été le berceau de la Petite École.
Le colonel Rémy me parle du général de Gaulle, de Pierre Bourdan, de Maurice Schumann, de Jean Marin, qui n’étaient jusque-là que des voix entendues péniblement à travers les brouillages de la radio.
Nous continuons à faire tous nos efforts pour améliorer notre réseau. Le courrier devient plus abondant, les plans, les croquis s’améliorent. Mais l’absence de Jean pèse lourdement sur nous.
Novembre. Bonne nouvelle. Le colonel Rémy me demande à brûle-pourpoint :
– Aimeriez-vous aller en Angleterre, voir votre sœur ?
– Hein ? vous parlez sérieusement ?
– Oui, je vous envoie à Londres, comme déléguée de la Résistance, porter nos vœux au Général. Mais donnez-moi votre parole que vous reviendrez, non pas la lune suivante, mais celle d’après. On vous attendra en février, on a besoin de vous, ici.
Je suis muette de plaisir et d’étonnement. C’était d’ailleurs mal me connaître que d’exiger mon retour. J’aurais plutôt refusé de partir si on ne m’avait promis de me faire retourner dans le plus court délai.
– Vous partirez par Lorient, dans le bateau à double fond Les deux Anges qui a emmené mes petits. C’est inconfortable, je vous préviens. Arrivée en pleine mer, vous pourrez sortir sur le pont, c’est pourquoi, dès maintenant, mettez-vous en quête d’un costume complet de pêcheur breton, et faites couper vos boucles :
– Ça non, mais je m’arrangerai. Je ne sais comment vous remercier.
– Je m’en doute, n’essayez pas.
À la CND (le réseau du colonel), on prépare de faux papiers pour mon départ. J’en suis avec anxiété la fabrication, car chaque fois que je le peux, je lui donne un coup de main dans son bureau de la rue Dufrénoy. Il y faisait souvent froid et l’on devait s’arrêter de taper sur la machine pour souffler dans ses doigts.
C’est là que j’ai appris la bonne méthode pour faire le courrier et classer les renseignements de manière à simplifier au maximum le dépouillement des services de Londres. Je fais profiter de ces améliorations notre propre courrier, qui gagne beaucoup de clarté à partir de ce moment.
De temps en temps, il y avait distribution de denrées précieuses ; à chaque opération, les « amis anglais » ajoutaient aux consignes quelques douceurs : thé, café ou tabac, que le colonel partageait, lui-même, avec autant de sérieux que d’équité, dans des cornets de papier blanc.
À la fin du mois, je supplie le colonel de me donner mes faux papiers, pour aller voir Jean à la prison de Montpellier. Celui-ci refuse net.
Et au début décembre, j’apprends qu’un bombardement à Lorient, a détruit Les deux Anges, je dois renoncer à mon départ. Tout était prêt pourtant : mon costume de pêcheur, une très belle statuette d’un de nos camarades, Iché, représentant la France, une boîte de chocolats pour Mme de Gaulle, de charmantes lettres d’enfants.
À cette époque, nous recevons deux ou trois messages de Jean ; sa sœur et son beau-frère ont pu le voir. Il va été transféré dans une prison de Limoges ; ils préparent ensemble un plan d’évasion.
Pendant ce temps, le colonel Rémy gagne l’Angleterre par la gare Montparnasse. Il emporte discrètement pour Mme de Gaulle une azalée dont l’emballage atteint près deux mètres !
L’année 1943 commence. Elle débute par une très grande joie pour nous tous : le retour de Jean. Fin décembre, à la suite d’un non-lieu, il est transféré au camp de concentration de Saint-Paul-d’Eyjaux, comme « individu suspect, dangereux pour la sûreté de l’État ». Là, il fera une conférence qui se terminera :
– (…) par un tonnerre d’applaudissements, quand Jean Cavaillès, après avoir rappelé la traversée de l’embouchure de l’Elbe à la Hollande, où Descartes, menacé par des mariniers, dégaina avec courage et avec succès – ajouta : il faut toujours savoir tirer l’épée.
Grâce à la complicité d’un ouvrier qui habitait en lisière, Jean s’échappe. Voici le récit qu’en donne sa sœur :
– Quelque temps plus tard, mon mari recevait, à Paris, la visite d’un émissaire de Libération-Sud, chargé d’organiser, avec lui, un projet d’évasion. La date d’une rencontre à Limoges fut fixée à la fin du mois de décembre. Mon mari me quitta le lendemain de Noël ; Jean était prévenu de sa visite. Une fois de plus, je connaissais l’épreuve d’une attente anxieuse.
Dès son arrivée à Limoges, mon mari prit contact avec l’agent local de Libération : aucune directive ne lui était parvenue et la personne vue à Paris ne devait pas paraître. Mon mari avait en ville un excellent camarade, M. Orabona, dont Jean connaissait l’adresse depuis la première visite de son beau-frère. À sa descente du train, mon mari prévint son ami de son arrivée. Il recevait, le lendemain, tandis qu’il déjeunait à l’hôtel, un coup de téléphone le pressant de venir immédiatement. Après une traversée rapide de la ville, ensevelie sous la neige, mon mari vint frapper à la porte des Orabona. Jean était là, il terminait, hâtivement, un repas où figuraient toutes les plus précieuses provisions de la maison et c’est en enfilant son pardessus qu’il mit son beau-frère au courant de ce qui venait de se passer.
Comme je l’ai déjà dit, nous avions prévenu Jean des intentions de mon mari. L’arrivée de notre lettre le décida à réaliser, sans retard, l’évasion dont il mûrissait le projet depuis son installation au camp. Il voulait, en effet, avoir quitté Saint-Paul-d’Eyjaux avant que la présence de mon mari ne fut signalée dans la région et préserver ainsi, une fois de plus sa famille de toute action de complicité. Jean s’était lié, pendant sa captivité, avec un ouvrier communiste, depuis longtemps détenu et qui était arrivé à gagner la confiance des gardiens. Il possédait un petit atelier, en bordure du camp, et à l’extérieur du réseau de barbelés, et circulait librement pour les différents travaux d’entretien qui lui étaient confiés. Il avait proposé à Jean de le prendre comme aide, et de faciliter, ainsi, son départ. Aux objections de mon frère qui ne voulait pas profiter de sa place, d’une possibilité d’évasion, il répondait que ses fonctions dans le camp permettaient de découvrir trop rapidement son absence et que son état de santé – il était tuberculeux – compromettait le succès d’une fuite hasardeuse.
Le mardi 29 décembre, il se fit accompagner de Jean, ayant sur lui le manuscrit de son traité de logique et portant une boîte à outils, jusqu’à son petit atelier, où il confia à mon frère un absorbant travail de menuiserie. La sentinelle faisait une ronde nonchalante, ses pas s’approchèrent de la baraque, puis décrurent peu à peu.
Dans l’épaisse couche de neige, accumulée autour du camp, la course hâtive de Jean ne faisait aucun bruit. Après avoir erré, à l’opposé du village, il découvrit enfin la route nationale et commença à marcher vers Limoges ; les bornes, malheureusement, indiquaient qu’une vingtaine de kilomètres le séparaient de la ville. Anémié par sa captivité et fatigué par une marche que la neige rendait pénible, Jean sentit que ses forces ne lui permettraient pas d’atteindre le but du voyage en temps voulu. La circulation était rare par cette froide matinée d’hiver. Une première voiture, cependant, s’était arrêtée à l’appel de Jean, mais après avoir dévisagé mon frère, son occupant appuyait sur l’accélérateur en criant :
– Reculez, on voit trop d’où vous sortez ».
Une seconde, puis une troisième voiture ne daignèrent même pas ralentir. À l’horizon parut, enfin, un lourd camion. Il s’approchait peu à peu, d’une allure placide. D’un bond, Jean fut sur le marchepied, un paquet de cigarettes à la main.
Les gens simples sont, en général, fatalistes et secourables. Pour ce chauffeur paisible, Jean était un camarade dans la peine et il fallait l’aider. La portière refermée, et le nouvel occupant soigneusement dissimulé, l’allure du lourd véhicule se fit un peu plus rapide.
*
Arrivé à Limoges, tout était prêt pour le départ. Un coup de téléphone m’atteint alors que je n’espérais plus. Et je revois Jean, couvert d’impétigo attrapé au camp, et les yeux cachés derrière de grosses lunettes noires, une moustache naissante aidant encore à le dissimuler aux yeux de la police française et de la Gestapo.
C’est sous le nom de Carrière qu’il reprend ses activités, à peine interrompues par sa captivité. Les réunions du Réseau ont lieu rue Chardon-Lagache, dans le petit studio du 7e. Très régulièrement, Jean-Pierre Thiébaut (grand-père de Francine, Emmanuel et Isabelle Hue), Louis Geoffroy-Dachaume (1), Agnès Goetschel, Jean Gosset, Ogliastro, se réunissent autour d’une tasse de thé, discutent, font leurs plans et m’apportent tous les documents chiffrés que je devrai vite taper les jours suivants, pour me débarrasser de toute trace manuscrite. Pour nous, maintenant, le travail est toute joie. Nous ne sentons ni les longues journées de travail, ni le froid (qui m’obligeait à taper avec des gants), ni la faim, nous ne sentons que le bonheur de voir approcher, peu à peu, la victoire. Pour célébrer un heureux événement, nous allions faire un bon repas « Au clocher du Village d’Auteuil ». La propriétaire, arborant une grande croix de Lorraine, nous faisait toujours, avec son mari, le plus chaleureux accueil. Les résistants lui gardent, de ces bons moments, une affectueuse reconnaissance.
En même temps que le réseau de renseignements que Jean avait appelé « Cohors » il établit, en Belgique et dans le Nord, un réseau de sabotage dont il assume la direction sous le nom de « Daniel ». Nous recevons de Londres des parachutages d’armes, d’explosifs, etc. Tout ce travail harassant l’empêche de consacrer son temps et son esprit à son «Traité de logique.» C’est à ce moment que le général de Gaulle l’appelle à Londres. Sa sœur nous raconte comment il lui remit en partant le manuscrit de son livre :
– Si je ne reviens pas, me dit-il, tu feras publier ceci, qui est mon testament philosophique. Malheureusement, l’introduction que j’ai écrite, ne me satisfait pas ; malheureusement, aussi, cette étude, sans introduction, est difficile et exigera un gros effort de la part de ceux qui voudront me comprendre. Mais, ajouta-t-il en souriant, et en devinant les larmes que je retenais à grand-peine, je reviendrai et j’écrirai cela plus tard. Il est revenu, mais hélas ! pour si peu de temps et pour une tâche si dure que l’introduction n’a jamais été terminée.
Le soir du départ, Jean me donne rendez-vous à la station Jasmin avec la fameuse statue et plusieurs valises et paquets. J’attends, non sans peur, près d’une heure. Tout se passe sans encombre ; nous partons pour la gare Montparnasse, très émus. Je dois faire la connaissance de sa sœur, dont il me parle depuis si longtemps, et qu’il avait hésité à me faire rencontrer pour notre sécurité à l’une comme à l’autre. Nous sommes heureuses de nous voir enfin, mais combien anxieuses du voyage qui se prépare. Pendant que nous dînons, un de nos agents de liaison, Bernard Filoche, part garder une place. C’est lui, le traître, qui pour 50 000 francs par tête, nous vendra tous, les uns après les autres, sera cause de la mort de Jean, de 60 de nos camarades, de la déportation de 200 et, après un jugement inique, doit maintenant, être en liberté.
À Londres, Jean prend contact avec la France Libre et voit beaucoup Raymond Aron, à qui il me confiera, quand ce sera mon tour de partir. C’est en avril qu’il nous revient. Je reçois un coup de téléphone me convoquant chez une de nos camarades Madeleine Barthel, avenue Pierre-Ier-de-Serbie. Je le revois en excellente forme cette fois, si heureux de retrouver son travail et son pays. Mais sa présence est maintenant très dangereuse. Jean cherche une planque, comme nous disons. Il la trouvera chez le docteur Le Cœur.
Sa sœur nous trace le portrait de cette famille accueillante :
– La famille Le Cœur possède, depuis fort longtemps, rue Jean-Dolent, une vaste maison située en face de la prison de la Santé. Cette maison, qui offre la surprise d’un beau jardin secret, ignoré de la rue, nous avait accueillis au temps où Jean éprouvait pour le frère aîné du docteur Pol Le Cœur, son camarade Charles, une amitié tissée d’hérédités et d’affinités communes. Je me souviens de la longue table qui nous réunissait à déjeuner autour de la mère de nos amis. Le visage de Mme Le Cœur, encadré strictement de bandeaux noirs, s’éclairait pour le plus doux et le plus ravissant des sourires. »
Jean revient très bien outillé de Londres. On lui donne même deux opérateurs radio et des missions très précises de sabotage et de renseignements.
C’est au mois d’avril qu’il me demande l’hospitalité. Je me transporte, ainsi que tous les documents du Réseau, dans une chambre de bonne et je lui laisse le studio.
Le matin, tandis que je tape le courrier, il continue son traité de philosophie. Nous ne répondons ni aux visites intempestives, ni aux coups de téléphone. La fenêtre grande ouverte sur le soleil de printemps. Après son bain glacé, il écrit, pense, jusqu’au déjeuner que je prépare hâtivement et qui est, hélas ! bien rudimentaire.
L’après-midi est consacré aux nombreux rendez-vous dans les cafés avec les agents de province. Je n’avais jamais mis les pieds jusqu’alors dans les cafés, mais je crois qu’en 1942 et 1943, ils n’avaient plus de secrets pour moi.
*
C’est mon anniversaire le 15 mai. Jean a 40 ans. Je me réjouissais de la petite fête que nous aurions pour dîner, lorsque Jean rentre la figure décomposée. Il vient d’apprendre la première arrestation de chez nous : un membre du réseau sabotage.
Nous n’osons encore penser que la menace se précise. Mais, le 28 mai, c’est le tour de Nicolas, un de nos plus délicieux camarades, à qui la guerre de 1940 avait demandé le sacrifice d’un bras. Cette fois, nous nous sentons tous visés, mais ne savons vraiment pas qui est le traître. Nous n’aurions jamais pensé que ce fût un membre du réseau.
Nous continuons le travail. Mais nous avons peur des pas dans l’escalier, d’un coup de sonnette étrange, d’un rendez-vous manqué. L’angoisse, dont personne ne veut parler, est comme l’arrière-plan de nos occupations.
Pour comble de malheur, une perquisition est faite au 36 de la rue Chardon-Lagache. Sans aucun doute, nous avons été suivis, mais nous n’osons le croire. Nous n’étions là ni l’un ni l’autre, et la concierge avait, par son intelligence et son sang-froid, évité la perquisition dans l’appartement du troisième où se trouvait le chef radio pour la France entière, avec tout son matériel, et chez nous.
Nous pensons que c’est une coïncidence, ou tout au moins, nous voulons le penser. Cependant, Jean est décidé à quitter ces lieux et m’engage vivement à trouver quelque chose.
Malheureusement, personne n’est très empressé pour nous recevoir, car chacun sait que c’est une question de mort pour celui qui nous héberge. Et les choses traînent, hélas ! jusqu’au 28 juin.
Lundi 28 juin ! une journée qui commence comme les autres. Il fait très chaud. Nous sommes à la veille du départ du courrier. Sur tous les meubles disponibles, impeccablement alignées, les chemises de couleur contenant tous les renseignements demandés par Londres : cartes d’état-major, sabotages, actes de résistance, actes de collaboration, résultats de bombardements, usines à détruire, etc.
D’habitude, je reste pour tout finir. Pour la première fois, je crois, Jean me demande de venir avec lui à ses rendez-vous dans les différents cafés où les agents nous apportent les ultimes renseignements qui partiront cette nuit ou demain matin.
La veille, le dimanche, nous avons eu une réunion (qui sera la dernière) avec les principaux membres. Nous avons eu aussi une grande joie : un colis nous est arrivé de Londres, journaux de la France Libre, vignettes à coller sur les murs, armes et munitions, et, pour la première fois, une lettre de félicitations pour l’excellent travail accompli le mois précédent.
À midi, nous partons déjeuner « Au clocher du Village ». En fermant la porte du studio, nous avons bien peu de remords de laisser tout notre travail si bien en vue, mais il y a tant de choses, et si peu de cachettes, que nous renonçons vite à cette entreprise ; la concierge nous souhaite bon appétit de sa loge.
De café en café, nous faisons une abondante moisson de documents. À 17 heures, nous nous trouvons à Duroc, au « François Coppée » ; tout à coup, j’aperçois un de nos agents de liaison, disparu depuis trois jours. Je me précipite pour m’entendre dire qu’il a été arrêté, puis relâché ! Je l’entraîne rapidement vers notre table. Jean est atterré. L’agent bafouille, rougit, dit que pris dans une rafle (et malgré ses fausses cartes) on vient de le libérer. Prétextant un travail, Jean gagne le fond du café, puis m’appelle :
– Vous avez compris, nous sommes vendus !
Nous reprenons le métro, l’espoir encore chevillé au corps. Pendant que Jean fait la queue au guichet, un camarade du réseau l’aperçoit et le supplie de dîner avec lui, pour lui remonter le moral ! C’était bien le jour !
Ce dîner nous sauve la vie. À 21 heures, nous demandons la permission de nous retirer, le courrier ne peut plus attendre. Nous reprenons le métro. L’histoire de « Marc », notre agent retrouvé au « François Coppée » est oubliée. Nous ne pensons plus qu’au travail qui nous attend. D’habitude, nous descendions à Molitor et tournions à droite, dans la rue Chardon-Lagache. Cette fois, et c’est bien là le troisième miracle de la journée, pour gagner du temps, nous sortons à Église-d’Auteuil.
Tout de suite, nous avons une très mauvaise impression. Personne dans la rue. Beaucoup de voitures (on nous en a signalé 85 en file, dans la seule rue Chardon-Lagache). Mais impossible de reculer ; des soldats veillent. Les maisons sont consignées. Les gens étonnés, regardent aux fenêtres. En traversant la rue Molitor, Jean m’attrape vivement par les bras :
– Cette fois, c’est sûr, ils sont chez nous.
Si nous étions descendus à Molitor, nous aurions tourné à droite et nous n’aurions pas pu reculer. L’instinct de conservation et la présence d’esprit de Jean nous ont permis, étant rue Molitor, de ne pas avancer davantage et de tourner normalement à droite, comme si nous nous dirigions vers le métro Molitor.
Nous croisons des Allemands ; nous affectons de rire et d’avoir l’air en pleine forme. Je peux dire que si j’ai éprouvé quelquefois la sensation de peur, ce moment-là compte parmi les plus marquants.
J’avais sur ma route, au 13, rue Molitor, des parents d’élèves, M. et Mme Dillemann, (dont la fille Danielle travaille avec nous au Club du Jeudi), nous nous engouffrons sous le porche. Mme Dillemann nous accueille chaudement, mais nous demande de déchirer certains papiers cachés chez elle. Et c’est là que nous apprenons, par le plus curieux des hasards, que Philippe Dillemann, imprimeur de métier, faisait à cette époque toutes nos fausses cartes d’identité et travaux divers, sous un nom d’emprunt, tous nos rapports passant par l’intermédiaire d’une troisième personne. Et, dans la plus grande bousculade, nous déchirons et jetons dans les toilettes, qui commencent à n’en plus pouvoir, un lot d’affiches pour la libération de Paris. Le moral, comme vous le voyez, était haut dans la famille Dillemann.
M. Dillemann rentre peu après et accepte de se rendre innocemment aux nouvelles au 36, rue Chardon-Lagache. Il ne revint pas. Les Allemands ne devaient le relâcher que le lendemain matin.
Je dois avouer que j’avais commis l’imprudence de téléphoner chez la concierge, puis dans mon studio, où un locataire inhabituel m’avait répondu d’une voix qui tentait de se rendre sympathique, mais d’un accent qui ne laissait pas de doute :
– Mais certainement, mademoiselle Lecheune, c’est ici; mais elle n’est pas là. Je prends votre nom et votre numéro de téléphone, si fous foulez.
Mais je n’ai pas voulu. Je raccroche, la mort dans l’âme. Nous essayons de nous rappeler quels amis peuvent être compromis par cette perquisition.
Les heures passent, et M. Dillemann ne revient pas. Nous prenons peur ; l’heure du couvre-feu approche. Nous avions sous-loué, avenue de l’Observatoire, un nouveau bureau qui servait de pied-à-terre aux agents de province. Cette seule solution s’impose. Nous y partons. Là, Jean me choisit dans cet appartement sordide la chambre la moins lugubre, où je m’étends dans des draps inchangés depuis des mois. Dans la chambre à côté, Jean, énervé, martèle le sol un temps infini. J’essaie vainement de m’endormir, mais devant mes yeux les souvenirs défilent, entraînant dans une ronde folle les noms amis, le travail, les papiers. Ces souvenirs font place à l’angoisse des futures arrestations dont nous serons responsables et dont, inlassablement, douloureusement, je fais et refais la liste.
Vers l’aube, le silence règne enfin et, n’entendant plus rien à côté, je m’endors. Jean me réveille à 6 heures, la figure ravagée, mais décidé à agir coûte que coûte. Sans objets de toilette, sans nourriture, nous filons dix minutes après : la rue est déserte.
Je téléphone à la campagne, chez une de nos amies qui nous servait de secrétaire. J’apprends par elle, à mots couverts, que la Gestapo a envahi la maison de Maman peu avant minuit et qu’elle y est prisonnière.
J’avais jusqu’alors une profonde admiration pour les qualités de chef de Jean. En la circonstance, il a été extraordinaire. À la fois très humain, très courageux, modeste. C’est à ce moment que je l’ai vu, distribuant ordres, consignes, conseils, sans hésitation aucune et sans qu’il vînt à l’idée de personne de désobéir.
Je le connaissais bien et je savais combien il souffrait pour tout ce qui attendait ; pour le travail inachevé, pour son livre aussi, dont les feuillets étaient restés sur la table de travail. Fidèles au rendez-vous, hâtivement demandés par téléphone, nos amis arrivent les uns après les autres : c’est la séparation.
Cachée de force à Paris, je ne suis partie que le 21 août à Londres. C’est le 28 que Jean sera pris avec sa sœur, son beau-frère et Pierre Thiebault. Il aura eu le temps de savoir que j’étais bien arrivée à Londres.
Je ne l’ai plus revu. J’ai appris plus tard qu’il avait été condamné à mort au début de l’année 1944 et que le jugement avait été immédiatement exécuté.
Il est mort en héros, non pas en martyr. Il n’a pas connu la longue déchéance des camps de déportation. Il est tombé en pleine force, en pleine maturité, en plein génie. Et je veux répéter après lui ce qu’il écrivait au moment où notre père nous a quittés :
– Il regarda venir la mort comme il regardait toutes choses, en face, avec la sérénité et le dépouillement de ceux qui ont cherché la vérité suivant le précepte platonicien, non avec l’esprit seul, mais avec l’âme tout entière.
Arlette Manier
Sèvres, octobre 1954
(1) Il s’agit-là sans aucun doute de Antoine Geoffroy Dechaume, frère de l’ambassadeur.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.