La mise sur pied d’une Marine (1940-1941)

La mise sur pied d’une Marine (1940-1941)

La mise sur pied d’une Marine (1940-1941)

Les ralliements

Sortie pratiquement indemne des combats de mai-juin 1940, auxquels elle a pourtant pris une part active (campagne de Norvège, évacuation de Dunkerque),1_1_4_1_b_image_1 la flotte française est, pour l’essentiel, stationnée dans les ports de l’empire colonial ou dans les ports britanniques *, ce qui lui permet d’échapper à toute mainmise allemande. Elle est donc prête à poursuivre le combat, comme le demandent d’ailleurs trois grands chefs militaires : le général Noguès, résident général au Maroc, commandant en chef du théâtre d’opérations en Afrique du Nord ; l’amiral Godfroy, chef de la “Force X” (9 bâtiments), stationnée à Alexandrie ; l’amiral Decoux, haut commissaire en Indochine** et commandant les Forces maritimes d’Extrême-Orient. Mais tous trois ne tarderont pas à rentrer dans le rang, en affirmant leur loyauté à l’égard du maréchal Pétain. En outre, l’immense majorité des marins français se trouvant en Grande-Bretagne (quelque 12 000 officiers et hommes d’équipage) est décidée rejoindre la France.

1_1_4_1_c_image_2Au 1er juillet 1940, seuls quelques bâtiments ont rallié la France Libre : les sous-marins Narval et Rubis, le patrouilleur Président-Houduce et quelques navires marchands. La mise sur pied d’une marine française libre s’avère d’autant plus difficile que le gouvernement britannique n’a aucune raison de mettre en doute la volonté clairement affirmée de l’amiral Darlan, commandant la Marine, de ne jamais laisser tomber la flotte entre les mains de l’occupant. Soucieux de préserver leur maîtrise navale, les Anglais souhaiteraient, en outre, armer eux-mêmes les bâtiments réfugiés dans leurs ports en proposant à leurs équipages de se battre au sein de la Royal Navy.

Cette politique conduit les Anglais à brusquer le mouvement : le 3 juillet, ils déclenchent l’opération Catapult (saisie des bâtiments français présents en Grande-Bretagne). Le même jour, Churchill prend la tragique décision de détruire la flotte française de Mers el-Kébir (Algérie) pour l’empêcher de rejoindre Toulon : près de 1 300 marins français sont tués. Ce massacre, condamné par de Gaulle (qui le qualifie d'”odieuse tragédie”), ne le dissuade pas de poursuivre le combat aux côtés de la Grande-Bretagne, mais il laissera des traces profondes ; dans l’immédiat, il entraîne le non-ralliement d’hommes décidés à poursuivre le combat et le départ de nombreux ralliés civils et militaires.

Cependant, l’armistice et l’occupation du territoire français par l’Allemagne incitent des officiers à sauter le pas. Ainsi, le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves et plusieurs de ses compagnons quittent la “Force X” immobilisée et neutralisée par son chef pour rejoindre la France Libre. Par ailleurs, de France et de quelques territoires de l’Empire (AEF, Océanie), des marins se portent volontaires. Leur nombre est pour l’instant très réduit, car, dans leur écrasante majorité, les marins français sont partagés entre l’attentisme et la fidélité à Vichy.

Muselier crée les FNFL

Cette situation ne suffit pas à décourager de Gaulle. Il est évident qu’il n’a de chance de mettre sur pied une marine française libre que si un amiral vient l’épauler. L’affaire se présente mal, car peu d’officiers généraux se sont ralliés ; les officiers de marine qui l’ont rejoint n’étaient que des capitaines de corvette***. Heureusement, le 30 juin, le vice-amiral Muselier, venant de Gibraltar, débarque à Londres ; le soir même, il se présente à de Gaulle. Malgré une incompatibilité manifeste de tempéraments, l’accord est immédiat entre eux et de Gaulle nomme sans attendre Muselier chef des “Forces maritimes françaises restées libres” – officiellement dénommées “Forces navales françaises libres” – et, en même temps, commandant à titre provisoire des “Forces aériennes françaises”.

La tâche de l’amiral se révèle particulièrement difficile. Il forme un état-major restreint, annonce qu’il fait appel aux seuls volontaires et rend public l’engagement de ne livrer aucun bâtiment français ni à l’ennemi, ni à l’allié britannique. Les premières réactions sont prometteuses, mais l’opération Catapult et le drame de Mers el-Kébir ruinent ces premiers efforts. Dès le 5 juillet, Muselier demande à l’Amirauté l’arrêt de toute opération contre la flotte française et l’acceptation que tous les navires français resteront sous pavillon national ; en outre, il fait reconnaître qu’aucun marin français ne pourrait s’engager dans la Navy sans l’autorisation du général de Gaulle. Obtenu à l’arraché, cet accord équivalait à une reconnaissance des FNFL, qui sera officialisée par l’accord franco-britannique du 7 août 1940.

“Mon but, expliquera Muselier, était de créer une marine jeune, vigoureuse, ardente, entraînée”. Mais comment y parvenir avec, à peine, quelques centaines d’hommes et une douzaine d’officiers ? Comment armer des navires sans cadres et sans marins ? Il fallait commencer par former des officiers et des équipages. Le 12 juillet 1940, Muselier crée à Portsmouth une école navale à bord du Courbet, un vieux cuirassé mis en service en 1914 (qui terminera sa carrière en se sabordant devant Arromanches en juin 1944), puis des écoles de spécialistes et une école de mousses**** . Le 13 juillet, il prend une autre initiative : la formation au camp d’Aldershot d’une petite unité de 250 fusiliers marins au sein des FNFL, aux ordres du capitaine de corvette Robert Détroyat (le 1er BFM participera à l’expédition de Dakar avant d’être intégré à la 1re Division légère française libre en juin 1941).

Le premier navire français libre à reprendre la mer est le Commandant-Dominé (lieutenant de vaisseau Jacquelin de la Porte des Vaux),1_1_4_1_d_image_3 suivi, quelques jours plus tard, par deux autres avisos : le Commandant-Duboc et le Savorgnan de Brazza. Ces trois bâtiments, ainsi que le Président-Houduce et quatre navires marchands prendront part à l’expédition de Dakar puis aux opérations d’Afrique équatoriale. Dans les semaines suivantes, une dizaine d’autres bâtiments rejoignent les FNFL. Le 13 août, c’est au tour du Rubis (lieutenant de vaisseau Georges Cabanier) d’appareiller pour une mission de mouillage de mines au large de la Norvège. Au total, après trois mois d’efforts, 18 navires seront en service : “Dix-huit bateaux en mer, cela peut paraître peu de chose, écrira de Gaulle. (…) Mais si l’on veut bien penser qu’un navire à la mer et en état de combattre suppose tout un ensemble de rouages très compliqués, on peut, à bon escient, s’émerveiller qu’un si grand nombre de choses ait pu se réaliser dans un délai aussi bref.” (Mémoires de guerre)

——————————————————————————–
* Dans les ports britanniques et coloniaux, se trouvent 162 navires de commerce, une cinquantaine de navires de guerre, près de 200 navires auxiliaires (dragueurs, patrouilleurs, etc.) et plusieurs dizaines de bateaux de pêche.
** Il a succédé dans ces fonctions au général Catroux, désavoué par Vichy, qui ralliera peu après la France Libre.
*** Le grade de capitaine de corvette correspond à celui de commandant (quatre galons). Les premiers “corvettards'” à rejoindre Londres furent Georges Thierry d’Argenlieu, Roger Wietzel et Raymond Moullec (dit Moret).
**** Les jeunes recrues pourvues d’un niveau d’instruction suffisant et parlant couramment l’anglais seront envoyées à l’Ecole navale anglaise de Dartmouth, d’où sortiront, chaque année, 25 midships (aspirants).

> Suite : Les FNFL sur toutes les mers du monde (1941-1943)