La défaite vécue par un haut fonctionnaire républicain

La défaite vécue par un haut fonctionnaire républicain

La défaite vécue par un haut fonctionnaire républicain

L’auteur

Jean Moulin est né le 20 juin 1899 à Béziers dans une famille de culture républicaine. Après des études de droit, il entre dans le corps préfectoral: sous-préfet puis préfet, il sera membre de plusieurs cabinets ministériels.

En 1940, il est préfet du département de l’Eure-et-Loir et à ce titre responsable des services de l’État.

Le contexte

Du 14 au 18 juin 1940, l’exode précipite la population de Chartres sur les routes avant l’entrée des troupes allemandes dans la ville. Le 14 juin, Jean Moulin est prévenu du repli de l’armée française au sud de la Loire; dès lors, il n’est plus en relation avec sa hiérarchie.

C’est donc seul et avec peu de moyens qu’il organise le ravitaillement et le maintien de l’ordre dans une ville désertée de ses habitants, privée d’eau et d’électricité, bombardée par l’ennemi où affluent des milliers de réfugiés venant de la région parisienne.

Au matin du 17 juin, les soldats allemands entrent dans Chartres et des officiers prennent contact avec Jean Moulin.

Le document

Laure Moulin, sa sœur, publie en 1947 aux Éditions de Minuit, le journal de Jean Moulin, lequel aurait été rédigé au printemps 1941. Cette édition est préfacée par le général de Gaulle, à la mémoire de celui qui a su, « dès 1940, dire non à l’ennemi ».

Extraits du Journal (Chartres, 14-18 Juin 1940)
Jean Moulin, Premier combat, Les Éditions de Minuit, 1999, 169 p.

15 heures 30

Paris est pris ! La nouvelle nous est apportée par les réfugiés. Pour notre secteur, je n’ai aucune précision sur l’avance allemande depuis la communication du Colonel commandant la subdivision.

Le téléphone est coupé depuis plusieurs jours avec Dreux et le service d’estafettes de gendarmerie que j’avais organisé pour y suppléer a été interrompu hier soir sur ordre du commandant, en raison de la violence des bombardements.

[…] Dans la voiture qui nous emmène tristement, personne ne dit mot, mais chacun de nous a les mêmes pensées.

Ainsi, c’est fini ! Les Boches vont entrer dans le département sans que leur soit opposée d’autre défense que celle de quelques éléments en contact qui se replient.

[…] Il est dix-neuf heures environ. Dans la cour de la préfecture, j’ai la désagréable surprise de voir tout mon personnel entassé dans des camions et prêt au départ. J’avais donné des ordres formels pour que chacun restât à son poste Furieux, je somme mes gens de descendre et j’enjoins à chacun de reprendre son poste, jusqu’à nouvel ordre.

Je ne reconnais plus mon personnel. Quelques femmes sont dans un état effroyable.

Des hommes qui, hier encore, refusaient de descendre dans les caves pendant le bombardement pour travailler à mes côtés, sont saisis par la peur. Tel ancien combattant de 14, réputé courageux, qui, il y a quelques heures à peine, était volontaire pour une mission dangereuse, a complètement perdu le contrôle de lui-même.

Le vent de panique qui les avait jusqu’ici épargnés a maintenant soufflé sur eux. Les nerfs sont à bout. Chacun n’a qu’un but : Fuir.

17 juin. 3 heures du matin

Un bruit continu de camions avec, par intervalle, le roulement caractéristique des chenilles des chars d’assaut, viennent me tirer de mon sommeil. Le bruit persistant, je descends dans le jardin d’où l’on domine le boulevard Sainte-Foy. Dans la nuit, les véhicules lourds et les tanks défilent sans arrêt, venant du nord. Le cortège se prolonge indéfiniment : amis ou ennemis?

[…] Je crie à ces soldats dont je ne distingue dans l’obscurité que la silhouette imprécise : «Français ou allemands?» «Français!» me répondent plusieurs voix. «Que faites-vous?» Ajoutai-je. «On fout le camp…» Je reste là dans le noir, tant que dure le défilé. C’est ensuite le passage pénible, poignant de l’infanterie. Ils avancent par groupes, par files, exténués, sans un mot.

[…] «Ah! Si on avait fait une contre-offensive sérieuse, tous les gars auraient fait leur devoir, jusqu’au bout… Mais, maintenant, il est bien tard et je crois bien que tout est foutu… On est crevé! » J’essaie de leur remonter le moral, de leur dire qu’ils se referont derrière la Loire et qu’on tiendra «Puissiez-vous dire vrai», me répondent-ils.

Ce sont les derniers soldats français libres que je devais voir avant de longs mois.

Le 17 juin, entre 8 et 9 heures du matin, les premiers soldats de la Wehrmacht entrent dans Chartres et des officiers allemands prennent alors contact avec Jean Moulin.

Pour connaître mieux Jean Moulin en 1940

Lire

Jean-Pierre Azéma, Jean Moulin, le politique, le rebelle, le résistant, Perrin, 2003, 507 p.
Jean-Pierre Azéma (dir.), Jean Moulin face à l’histoire, éditions Flammarion, 2000, 417 p.
Daniel Cordier, Jean Moulin, la République des catacombes, éditions Gallimard, 1999, 999 p.

Visiter à Paris

Le musée de la libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin – 4 avenue du colonel Henri Rol-Tanguy 75014 Paris (Place Denfert-Rochereau), www.museeliberation-leclerc-moulin.paris.fr/

Visiter à Bordeaux

Centre national Jean Moulin – 48, rue Vital Carles 33000 Bordeaux, www.musee-aquitaine-bordeaux.fr/fr/article/centre-national-jean-moulin

< Le contexte de la défaite de mai-juin 1940
> Le témoignage d’un soldat français