Les Forces Aériennes Françaises Libres au Moyen-Orient (juin 1940 – juin 1941)

Les Forces Aériennes Françaises Libres au Moyen-Orient (juin 1940 – juin 1941)

Les Forces Aériennes Françaises Libres au Moyen-Orient (juin 1940 – juin 1941)

Par le général Paul Jacquier

Le 23 juin 1940, à la demande du général Wawell, le commandant en chef des forces du Levant mit à la disposition de la R.A.F. – Middle East, une patrouille de chasse commandée par le lieutenant Péronne. Cette patrouille rejoignit le même jour l’aérodrome de El Amrya (20 kilomètres sur Alexandrie).
L'équipage d'un Glenn-Martin monte à bord (RFL).
L’équipage d’un Glenn-Martin monte à bord (RFL).

Le 27 juin, à la suite du changement d’attitude du commandant en chef des forces du Levant, qui rendit applicables sur le territoire Syrie-Liban les clauses de l’armistice, le capitaine Jacquier quitta son unité et se rendit par la voie aérienne à lsmaïlia (Égypte). Le lendemain, la patrouille du lieutenant Péronne qui entre temps avait reçu l’ordre de rentrer en Syrie, atterrit à Ismaïlia pour faire ses pleins d’essence avant de rallier Rayack. Mis au courant par le capitaine Jacquier des derniers événements de Syrie et de la décision que celui-ci avait prise, le lieutenant Péronne et ses équipiers, les adjudants Coudray et Ballatore, se joignirent à lui. Ce fut le premier noyau des forces aériennes françaises libres en Égypte.

Dans les jours qui suivirent, les capitaines Dodelier et Ritoux-Lachaud et leurs équipages vinrent de Tunisie sur deux Glenn-Martin; le sergent-chef Lebois vint de Syrie sur un Potez 63 ; un petit détachement de sous-officiers et hommes de troupe arriva d’Alep par la route, avec véhicules, armes et munitions; quelques sous-officiers pilotant des avions de liaison atterrirent à Héliopolis. Enfin, quelque temps après, les capitaines Bonnafé, Tulasne, les lieutenants Clostre et Pompéi vinrent grossir les rangs.
Le 6 juillet, il parut évident aux membres de ce petit groupe qu’ils resteraient seuls dans la lutte pendant un certain temps. Il leur parut non moins évident que dans un délai, qu’ils ne pouvaient évaluer, toutes les forces françaises rentreraient à nouveau dans la bataille. Ils estimèrent que leur mission était de maintenir la présence des forces aériennes françaises aux côtés des Alliés et d’assurer le trait d’union. En attendant il fallait tenir. N’ayant pas de contact avec les Forces Françaises Libres de Londres, le capitaine Jacquier règle la participation française. Il ne pouvait être question, avec 12 avions de types différents qui, privés de pièces de rechange deviendraient bientôt inutilisables, de constituer un commandement français. L’engagement dans la R.A.F. pour la durée de la guerre fut donc décidé (1). Mais pour conserver à leur geste le sens national qu’officiers, sous-officiers et soldats lui donnaient, il fut demandé aux autorités britanniques :
– que trois petites unités, dont l’appellation contiendrait le mot France seraient constituées.
– que la participation des Forces françaises dans le cadre de la R.A.F. serait définie directement par le capitaine Jacquier, non pas avec un officier quelconque de l’état-major de la R.A.F., mais avec la plus haute autorité de la R.A.F.-Middle East, l’Air Marshall Longmore.
L’Air Marshall Longmore donna, avec compréhension et sympathie, son accord.
C’est ainsi que le 8 juillet, trois petites unités virent le jour :
– Le n° 1 Free French Flight (grande reconnaissance). Commandant d’unité: Ritoux-Lachaud. Matériel: 2 Glenn-Martin.
– Le n° 2 Free French Flight (chasse). Commandant d’unité: capitaine Jacquier. Matériel : 3 Potez 63, 3 Morane 406.
– Le n° 3 Free French Flight (liaison). Commandant d’unité: adjudant-chef Cornez. Matériel: 2 Simoun, 1 Potez 29, etc.
Les trois unités, ayant des missions différentes, allaient se séparer rapidement.
Le n° 3 Free French Flight resta à Héliopolis et effectua des missions de liaison entre Égypte et Palestine jusqu’au milieu de l’année suivante, date à laquelle il fut dissout et ses membres intégrés dans les Forces françaises venant du Tchad.
Le n° 1 Free French Flight quitta Héliopolis le 13 juillet 1940 pour Aden. En plus des équipages, le colonel de Larminat était à bord d’un avion. Dès leur arrivée à Aden, grâce à leur vitesse et leur rayon d’action, les deux Glenn-Martin furent utilisés à fond. Pendant deux mois, ils furent presque journellement en l’air dans des missions au-dessus de l’Érythrée et de l’Abyssinie. Reconnaissances à vue et photographiques, attaques d’objectifs au sol à la mitrailleuse, se succédèrent sans arrêt.
Cette activité ne cessa qu’avec la destruction en l’air des deux Glenn-Martin en septembre et octobre 1940. Chacun des deux équipages avait effectué plus de 30 missions. Seul le lieutenant de Maismont eut la vie sauve. Prisonnier des Italiens pendant près d’un an dans des conditions extrêmement sévères, il fut libéré lors de la prise d’Addis-Abéba par les Alliés. Peu après, le capitaine Bonnafé, volant sur avion anglais, devait prolonger la présence française à Aden pendant quelques mois.
Le n° 2 Free French Flight passa la fin du mois de juillet à Héliopolis. Destiné à aller dans le désert de Lybie il était nécessaire d’équiper les moteurs de ses avions d’un dispositif anti-sable (Air-Cleaner). Ceci fut fait le plus rapidement possible par le parc d’aviation d’Abo-Sweir, et le 8 août détachements volant et roulant de la n° 2 F.F.F. rejoignirent le terrain d’Amrya et le squadron de chasse britannique 274 à laquelle cette unité était rattachée. Pendant 15 jours il participa à la défense aérienne d’Alexandrie, ainsi qu’à la protection de la flotte d’Alexandrie dans ses missions de bombardement de Bardia.
Le 29 août, à la suite des bombardements ennemis sur Haïfa, le n° 2 FFF fut désigné pour assurer la défense de cette ville. Seule unité de chasse en Palestine, il devait rester cinq mois à Haïfa. Il usa jusqu’à l’extrême limite son matériel français dont l’entretien en raison du manque de pièces de rechange, présenta de sérieuses difficultés ..
Courant février, mécaniciens et pilotes, furent transformés sur Hurricane. Durant leur stage au centre de transformation d’Ismaïlia, les pilotes furent utilisés dans des missions de chasse de nuit au-dessus du canal de Suez qui était l’objet, à l’époque, de visites fréquentes d’avions mouilleurs de mines. Mais bientôt Rommel lançait en Cyrénaïque sa première contre-offensive. Tous les pilotes rejoignirent le terrain de Garala près de Mersamatruh. Là, pendant deux mois, ils menèrent des actions (ground-straffing) presque quotidiennes et souvent bi-quotidiennes sur les convois routiers de ravitaillement et les grands arrières ennemis. Dotés d’avions à grand rayon d’action, ils s’enfoncèrent, au cours de missions individuelles, à 500 kilomètres des lignes et firent subir des pertes sérieuses à l’ennemi. Puis la bataille de Crête les réclama. Les pilotes français encore vivants furent volontaires pour ces missions dont le point de départ se trouvait à Sidi-Barani et qui impliquait, en face d’une supériorité ennemie écrasante, sept à huit contre un, le survol sur avion monomoteur, sans radio, de plus de 1.000 kilomètres de mer dans le voyage aller-retour.
Au 18 juin 1941, tous les pilotes qui avaient participé à ces actions et accompli individuellement un minimum de 45 missions avaient été abattus.
C’est ainsi que le n° 2 F.FF., comme le n° 1 F.FF disparut de la scène des opérations.
Mais déjà venant d’Angleterre, en passant par le Tchad, d’autres Français assuraient le relais dans le Moyen-Orient. Le personnel non naviguant des nos 1, 2, 3 Free French Flight rejoignit le groupe « Lorraine » et le capitaine Tulasne, jusque-là épargné, se préparait à mettre sur pied le groupe « Alsace » puis plus tard le « Normandie-Niémen ».
(1) En avril 1941, à la suite de l’inspection du général de Gaulle au Moyen-Orient, nous fûmes libérés de notre engagement dans la R.A.F. et fûmes incorporés administrativement dans le commandement des Forces Aériennes Françaises Libres à Londres. Notre incorporation morale datait cependant de juin 1940.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 200, mars-avril 1973.