Les Français Libres chez les Anglais

Les Français Libres chez les Anglais

Les Français Libres chez les Anglais

Il nous est arrivé à Londres durant la dernière guerre, de tenter d’imaginer la situation inverse : les Anglais libres chez les Français.
Les voyez-vous, poignée d’hommes résolus à combattre jusqu’au bout avec la France alors que l’Angleterre signait un armistice avec l’ennemi ? Gênés de ne pas connaître la langue du pays, de trouver les habitudes, les mœurs si différentes des leurs, isolés en pays étranger, ne recevant nulle nouvelle, pouvant craindre le pire pour leurs familles ; comme ils auraient eu besoin de sympathie et de secours car leurs camarades des unités françaises recevaient lettres, colis, argent de leurs parents.
Une réunion du comité A.V.F. (RFL).
Une réunion du comité A.V.F. (RFL).

Que ce serait-il passé si, autour d’un général de Gaulle britannique décidé à sauver l’honneur de son pays, quelques personnalités françaises avaient offert d’organiser une Association d’amis des Britanniques libres, une A.B.L. comme nous eûmes à Londres les A.V.F. ? Ne concluons pas car nous n’en savons rien, mais espérons que si la situation avait été celle-ci la réponse des Français eut été aussi large, aussi généreuse qu’elle fut en Angleterre. Songez qu’il n’y avait pas que les A.V.F. pour faire appel aux bonnes volontés dans le but de venir en aide aux Français Libres, bien d’autres œuvres ou associations s’étaient formées. Mais les A.V.F. enrôlèrent 60.000 membres portant l’insigne tricolore à croix de Lorraine et payant une cotisation annuelle. Les femmes tricotaient et aux A.V.F. s’amoncelaient chandails, chaussettes et passe-montagne kaki, bleu-gris de la R.A.F. ou bleu marine. Des livres français, des cigarettes, les envois n’arrêtaient pas de parvenir à Londres et beaucoup venaient du Canada, des Indes de tout le Commonwealth britannique. Les A.V.F. demandaient à leurs membres s’ils pouvaient et désiraient recevoir un permissionnaire français chez eux. Un service de placement des permissionnaires s’organisa et permit à nos camarades de profiter des périodes de repos qu’ils auraient sans cela passées dans leur unité. Les Français invités de cette manière et ignorants des moeurs anglaises furent généralement très surpris de la cordiale simplicité de l’accueil qu’ils reçurent. Leurs hôtes semblaient n’avoir fait que mettre un couvert de plus à table ; ils avaient ouvert leur porte, leur maison et ils voulaient que l’invité se sente chez lui autant qu’un membre de la famille.

Nous nous sommes plus à croire que ces permissionnaires Français ont gardé bon souvenir de leurs amis Anglais et n’ont pas été les derniers à tenter de détruire les opinions rancunières qui subsistaient en France trop souvent. Il est en tout cas certain que les Français en Angleterre pendant la dernière guerre, bénéficièrent d’une cote d’amour dont ils ne se doutaient pas. Elle nous surprit moins, nous qui nous souvenions d’avoir entendu tant d’Anglais parler de la France avec émotion. L’un d’eux connaissait les époques auxquelles fleurissaient les plantes des bois et des monts qu’il aimait et ne manquait pas de traverser la Manche pour aller assister à ces floraisons successives.
Nous avions retenu aussi ce regard vers son mari et cette pression de son bras d’une jeune Anglaise en imperméable sur le pont d’un paquebot longeant le môle de Boulogne pour s’y amarrer ; elle avait murmuré : « dear France » et ce chère France disait si bien sa joie de revoir notre pays, ses maisons aux portes et aux fenêtres hautes, de fouler dans quelques instants son pavé, sentir en passant ses parfums de bonne cuisine et d’entendre les voix claires et vives, se tremper dans l’animation et la vie française. Et cette jeune fille venant offrir ses services aux Français avec tant d’insistance que l’on lui demanda si un de ses parents était Français ou si elle avait gardé des souvenirs de bonnes vacances qui motivaient sa passion pour la France. « Non, répondit-elle, rien de tout cela, il n’y a jamais eu des Français dans ma famille et je n’ai jamais été en France, mais je l’aime ». C’était aussi simple que cela. Nous pourrions vous citer maints autres cas, tel celui d’une vieille fille, cette fois, et même édentée et marchant avec une canne ; elle gagnait péniblement sa vie mais elle avait toujours de quoi envoyer des cigarettes à ses filleuls et elle en avait parfois jusqu’à 20 à la fois. Cette correspondance affectueuse continuait semble-t-il parce que les filleuls étaient loin et que la vieille fille n’envoyait pas sa photographie. Elle vénérait le Général, « Notre Général » disait-elle et faillit se trouver mal le jour où elle lui fut présentée.
Vraiment, la France jouit en Angleterre d’un préjugé favorable quand elle n’est pas aimée par expérience personnelle. Nous devrions tout faire pour mériter cette amitié que nous vaut notre passé historique, la réputation de nos créateurs dans tous les domaines et la beauté physique de notre pays, ne pas croire que nous pouvons tout nous permettre et surtout ne pas croire que la vivacité d’esprit puisse remplacer l’intelligence profonde. Cela fausse parfois notre jugement sur nos amis britanniques, qui ne demandent qu’à être fidèles et loyaux.

Du Moulin
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 64, janvier 1954.