François d’Astier de la Vigerie

François d’Astier de la Vigerie

François d’Astier de la Vigerie

François d'Astier de la Vigerie (RFL).
François d’Astier de la Vigerie (RFL).

Nous ne pouvons mieux faire pour évoquer la mémoire de notre glorieux compagnon que de reproduire des extraits du discours prononcé par M. R. Capitant lors des obsèques du général d’Astier de la Vigerie aux Invalides.

Nous voici, attristés, assombris, devant le cercueil du général de corps d’armée François d’Astier de la Vigerie, réunis pour lui rendre un dernier hommage et pour exprimer notre sympathie à ses enfants et à son frère, cruellement blessés, par le deuil qui les frappe si soudainement.
Je le revois, tel qu’il m’est apparu pour la première fois, à Alger, en décembre 1942, alors qu’il effectuait auprès du général Giraud, une première mission de liaison, qui se heurtait encore à l’obstacle insurmontable de Darlan.
Je le revois, tel que je l’ai aperçu pour la dernière fois, il y a peu de mois, dans mon bureau, où il était venu s’asseoir simplement pour me confier son inquiétude nationale et m’entretenir de ses projets.
Du grand seigneur, il avait l’élégance naturelle, le raffinement, l’aisance des manières. Sa taille, son visage, son parler le rattachaient à une génération, et presque à une race, dont le modèle semble se raréfier. Il en tirait un prestige et un charme auxquels on pouvait difficilement rester insensible.
Mais, dans ses yeux clairs, brillait l’éclat du métal dont était fait son caractère – un caractère entier dont sa courtoisie ne parvenait pas toujours à éviter le dur contact à ceux qui s’y heurtaient – un caractère ferme, que ni la menace ni les promesses ne pouvaient fléchir, un caractère altier, qui le portait à servir des causes nobles et à se décider pour des motifs élevés.
L’armistice de 1940 le frappa et le blessa profondément, mais sans abattre sa résolution. Commandant les forces aériennes du théâtre d’opération Nord – le théâtre capital – il avait pris une part importante à la bataille. Comprenant la nécessité, pour la stratégie moderne, d’utiliser l’espace, il avait, après le désastre, réussi à replier tous ses avions sur le Maroc. Il se tenait prêt à continuer la lutte, en liaison avec la flotte et avec nos Alliés. La capitulation le révolta. Il dissimula mal son indignation. Relevé de son commandement, il se retira dans sa propriété de Rançay, non pour y cultiver son jardin, mais pour y préparer son départ. En novembre 1942, il montait dans l’avion qui ramenait de Londres son frère Emmanuel, où celui-ci s’était déjà rendu trois fois, et il devenait quelques jours plus tard, l’adjoint du général de Gaulle.
La première mission, que devait lui confier le chef de la France Libre allait le conduire, le mois suivant, à Alger, où il rencontrerait son deuxième frère, Henri, dont chacun sait et dont je dois le redire ici qu’il fut le principal organisateur du mouvement qui contribua si efficacement au succès du débarquement allié en Afrique du Nord.
Cette complicité, cette conjonction saisissante des trois frères, en ce mois de novembre 1942, me semble un des épisodes les plus remarquables de la Résistance, et je crois avoir le droit et même le devoir de le mettre en relief, ici, en ce moment, comme l’hommage le plus vrai et le plus juste que nous puissions rendre à l’aîné d’entre eux, qui repose devant nous.
Comme ils se ressemblaient ces trois frères, dont deux ont déjà quitté ce rivage et ne reflètent plus leurs traits que dans notre mémoire ! Et comme ils étaient différents pourtant ! Comme leurs voies ont semblé diverger par moment !
Mais quand vint la grande épreuve ils se trouvèrent d’accord. Alors que tant de familles françaises se divisaient à ce moment, eux sont unis dans la Résistance, dans le gaullisme le plus résolu et le plus intransigeant. Comme ils sont faits pour l’action et le commandement c’est au sommet qu’on les trouve.
Quel exemple à méditer ! Quelle leçon à retenir : ils n’avaient rien de plus que les autres entre les mains. Ils ne disposaient d’aucun pouvoir. Ils étaient comme tous les Français à cette époque, des proscrits dans leur propre patrie. Ils n’avaient rien que leur résolution, leur volonté de révolte, leur ambition de servir la France, avec le sens de la statégie. Et cela a suffi pour qu’au lieu de subir les événements, ils aient eu l’air d’y commander.
Mais, cette leçon c’est celle de la France. C’est celle des Français, aussi semblables et dissemblables, aussi unis et divisés que l’étaient les frères d’Astier.
Comme leur union fut le symbole de la Résistance victorieuse, leur désunion fut celui de l’après-guerre. Le succès cessa d’être pour eux un compagnon fidèle. Le pouvoir miraculeux de dominer les événements se mua en une triste nécessité de les subir.
Aujourd’hui, dans la tristesse qui nous étreint, au terme de dix années qui semblent avoir déchiré et dispersé les joies et les espoirs de la libération, devant les échecs et les difficultés qui s’amoncellent, comment ne pas ressentir une angoisse devant ce cercueil, comment ne pas nous demander si la mort ne nous signifie pas quelque avertissement ?
Cet avertissement est trop clair, en effet, pour que nous ne l’entendions pas. Mais il est salutaire. Il nous pousse, non pas à l’abandon et au renoncement, mais de nouveau à l’action concertée pour une grande cause, capable de refaire l’union de la nation. Le général d’Astier de la Vigerie était hanté par cette pensée. C’est elle qui l’avait poussé à fonder avec moi l’Union Gaulliste. C’est ce qu’il me confiait encore dans la dernière conversation que j’eus avec lui.
Que ceux qui lui survivent, vous Emmanuel d’Astier, vous Jean Annet, la reprennent à leur compte. Si le moment était venu où les d’Astier refassent leur unité, alors ce serait le signe que la France s’apprête, elle aussi, à refaire la sienne !
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 94, janvier 1957.