La fin du patrouilleur Poulmic

La fin du patrouilleur Poulmic

La fin du patrouilleur Poulmic

Nous avons le plaisir de publier ci-après le récit inédit que nous a adressé l’officier des Équipages principal Vibert, compagnon de la Libération, sur la perte du patrouilleur Poulmic alors qu’il en était le commandant.

Une matinée ensoleillée comme on peut en voir parfois au début de novembre en Angleterre. Le sous-marin Minerve, amarré à quai dans l’arsenal de Devonport en paraissait tout rajeuni et l’équipage, gaiement, s’affairait avec une ardeur accrue à la mise en état du bâtiment, que nous voulions tous voir partir en patrouille le plus tôt possible.

Un matelot vint m’annoncer la visite du commandant Blaison. Le capitaine de corvette Blaison était alors commandant en second du Surcouf, le plus grand sous-marin du monde, orgueil de notre flotte. Il devait trouver une fin glorieuse et tragique comme commandant du même navire deux ans plus tard.

Cette perte fut profondément ressentie dans les F.N.F.L. et particulièrement par les sous-mariniers.

Le commandant Blaison m’exposa qu’il était chargé par le commandant supérieur français à Plymouth de rechercher un officier volontaire pour prendre le commandement provisoire du patrouilleur Poulmic, dont le commandant était indisponible. Au cas où il n’en trouverait pas, il devrait lui-même appareiller avec ce bâtiment, ce qui contrarierait beaucoup le réarmement du Surcouf dont il s’occupait activement.

J’estimais que le Minerve en réparation pouvait provisoirement se passer de son officier en 3e, j’acceptais donc immédiatement cette occasion de “rentrer dans le bain” plus tôt et prenais contact le jour même avec mon nouveau bâtiment.

Le Poulmic, de construction récente, était affecté avant l’occupation au transport du personnel entre l’arsenal de Brest et la base de Lanveoc-Poulmic.

Armé en patrouilleur par les F.N.F.L., il effectuait depuis quelque temps déjà des patrouilles de surveillance de nuit. Son équipage mixte était composé en partie de marins de la direction du port en provenance de Cherbourg.

Depuis quelques jours, une nouvelle arme contre laquelle nous n’avions aucun moyen de défense, venait de faire son apparition, la mine acoustique. Chaque nuit les sirènes d’alerte annonçaient l’arrivée des avions allemands venant parachuter ces mines dans le chenal d’accès à Plymouth.

Le 7 novembre 1940, je reçus l’ordre d’appareiller à 17 heures et de prendre position pour la nuit à un point situé à environ trois milles dans le sud du break-water de Plymouth. Mes instructions étaient les suivantes : dès que les avions ennemis seraient signalés, de terre deux projecteurs convergents éclaireraient la mer. Nous devions nous efforcer de repérer à la lueur de ces projecteurs chaque mine parachutée, prendre un relèvement et apprécier la distance afin de signaler aussitôt leur position à terre.

Nous connaissions les positions de quelques mines, mouillées les jours précédents, ce qui nous obligea à naviguer prudemment pour sortir du port. J’avais fait prendre toutes les précautions d’usage, les radeaux de sauvetage étaient dessaisis et chaque homme, y compris les mécaniciens dans la machine, portait sa ceinture de sauvetage. À ce sujet, j’eus une petite discussion avec l’officier de liaison, un jeune et sympathique sous-lieutenant R.N.V.R. En effet, je pensais qu’il était préférable pour donner plus de confiance à l’équipage, que je ne porte pas moi-même la ceinture et il estimait qu’étant aussi officier il devait m’imiter. Je lui fis comprendre que mon ordre s’adressait aussi à lui, hélas, sa ceinture lui fut inutile car un peu plus d’une heure plus tard, il disparut avec le navire et je crois que son corps ne fut jamais retrouvé.

La nuit tombait, mer calme. Dix minutes avant d’arriver à la position ordonnée, je fis rappeler “aux postes de mouillage” et diminuais de vitesse.

Le premier-maître de manœuvre, officier en second, suivait au compas un relèvement traversier. “Encore 10 degrés, Commandant” – “Les deux moteurs avant demi” – ” Encore 5 degrés” – “Stoppez” – “Encore 3 degrés” – “Les deux moteurs en arrière demi” – “Paré à mouiller” Je me penchais à tribord de la passerelle de navigation pour apercevoir les remous des hélices, quelques secondes d’attente… un remous écumeux et soudain une explosion terrible, un souffle extraordinaire m’arracha de la passerelle tel un fétu de paille. J’ai gardé de ce court voyage aérien une impression de couleurs, noir et blanc, puis gris, probablement la couleur du bateau, avant d’atterrir la tête la première sur le pont où je perdais connaissance. Nous venions de sauter sur une mine acoustique immergée exactement à notre point de mouillage.

Le navire, ouvert sous la passerelle, coulait en 15 secondes, ne laissant aucune chance aux mécaniciens se trouvant à leur poste de manœuvre aux moteurs.

Je repris conscience, l’eau entrant à l’intérieur du bâtiment me plaquait contre la coque. Au prix de violents efforts, je regagnais la surface. Seul le haut du mât émergeait, je distinguais vaguement dans l’obscurité quelques hommes s’agrippant à un radeau. Un autre se trouvait près de moi. Le timonier anglais était accroché au mât et ne tardait pas à nous chanter les derniers succès de son pays, probablement pour encourager ceux qui n’avaient pas un point d’appui aussi solide. Un torpilleur se trouvant à environ deux milles, éclairait la scène de son projecteur.

J’appris par la suite que la déflagration de notre mine avait provoqué l’explosion de deux autres près de lui.

Un patrouilleur mouillé à deux milles au Nord, avait perçu l’explosion. Il appareillait immédiatement pour nous porter secours, fut assez heureux pour sauver sept hommes plus ou moins gravement blessés.

La marine française libre qui s’organisait fiévreusement pour le bon combat, venait déjà de perdre son premier navire.

Par son ordre n° 6 du 4 décembre 1940, le général de Gaulle citait le Poulmic, à l’ordre des Forces françaises libres.

CITATION

Le général de Gaulle, commandant en chef les Forces françaises libres, cite à l’ordre des Forces françaises libres :

“Patrouilleur Poulmic

“Ce petit bâtiment a participé pendant les mois de septembre et d’octobre 1940, dans des conditions souvent difficiles, à de nombreuses missions de patrouilles, le long des côtes de Grande-Bretagne.

“Commandé par l’officier des Équipages Vibert, a sauté sur une mine ennemie dans la nuit du 7 novembre 1940”.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 33, décembre 1950.