L’action des F.F.I. en Bretagne

L’action des F.F.I. en Bretagne

L’action des F.F.I. en Bretagne

Nous publions ci-dessous une relation de l’action des F.F.I. menée dans le Morbihan en corrélation avec les Parachutistes du colonel Bourgoin.

Situation au 6 juin 1944

1 – Forces allemandes. – La Bretagne faisait partie du système défensif allemand Normandie-Bretagne tenu par la 7e armée allemande (général Dolmann) P. C. au Mand.

Trois corps d’armée se partageaient les zones côtières :

Le 84e C.A., général Marx, P.C. à Saint-Lô.

Le 74e C.A. à Guingamp.

Le 25e C.A., général Farenbacher, P.C. à Pontivy.

En ce qui concerne la Bretagne, la situation des troupes allemandes était la suivante :

  1. – Troupes de campagne

Zone Nord – 266e D.I. P.C. Belle-Ile en Terre.

319e D.I. P.C. à Pontorson.

77e D.I. fait mouvement sur la Normandie depuis le 1er juin.

343e D.I. P.C. à Landerneau.

365e D.I. P.C. à Quimperlé.

275e D.I. P.C. à Redon.

  1. – Troupes de renforcement

Troisième division aéroportée, P.C. le Huelgoat, relevée au début de juin lors de son départ en Normandie, par la 2e division, P.C. à Landivisiau, Des unités russes constituées en bataillons de cavalerie d’Ukraine à six cents hommes et en bataillons d’infanterie de Géorgie à huit cents hommes. Les effectifs exacts de ces unités n’ont pu être dénombrés, ils devaient être de huit à dix mille hommes au total dont deux mille cinq cents furent enfermés dans la poche de Lorient.

  1. – Troupes des places fortes

Saint-Malo, Brest, Lorient (quinze mille hommes pour Lorient et Groix).

  1. – Des unités d’aviation

Mille deux cents hommes pour le Morbihan, On peut estimer que le 6 juin 1944, les effectifs allemands en Bretagne étaient de l’ordre de cent cinquante mille hommes, densité d’occupation considérable, compte tenu de l’immensité des territoires tenus à l’époque par l’armée allemande.

2 – Forces alliées. – Les intentions du haut-commandement allié ont été révélées par le général Eisenhower dans son rapport sur les opérations en Europe. L’objectif initial de l’attaque pré- voyait la prise de Caen, Bayeux, Isigny, Carentan, ainsi que celle des terrains d’aviation situés d’ans le voisinage et celle essentielle de Cherbourg. Ensuite, les forces devaient progresser vers la Bretagne avec mission de s’emparer des ports en direction sud jusqu’à Nantes. L’objectif majeur ultérieur consistait à pousser vers l’Est, le long de la Loire en direction de Paris et en direction Nord jusqu’au-delà de la Seine dans le but de détruire dans cette zone Ouest la plus grande quantité possible de forces allemandes.

Les Forces françaises de l’Intérieur constituaient une pièce dans cet immense jeu d’échecs. Celles de Bretagne, en particulier, avaient un rôle important à jouer.

La base de l’organisation des Forces françaises de l’Intérieur fut l’organisation départementale. Un seul chef par département recevant lui-même ses ordres, soit d’un chef régional, soit directe- ment du Q.G. interallié suivant l’importance de son action.

L’organisation de cette mobilisation secrète en pays occupé par l’ennemi au milieu des agents d’une Gestapo impitoyable, présenta des difficultés énormes. Combien la payèrent de leur vie, combien furent déportés dans les camps de la mort lente dont peu revinrent. Tous surent souffrir et mourir en silence, l’ennemi réussit parfois à disloquer certaines organisations, mais le flambeau tombé de la main des morts fut toujours repris par d’autres Français et la mission fut remplie. L’historique complet de la période clandestine où se recrutèrent et se formèrent les unités ne peut être fait dans cette courte notice.

Au 6 juin 1944, la situation dans le Morbihan était la suivante :

Forces françaises de l’Intérieur du Morbihan

Lieutenant-colonel Morice, P. C. à Saint-Marcel :

– douze mille hommes recensés attendaient les ordres de mobilisation.

– quatre bataillons (3.500 hommes) furent mobilisés le 5 juin, dès réception du message conventionnel, annonçant le débarquement.

– Les autres bataillons étaient alertés, les chefs de bataillon prirent le maquis avec une compagnie d’action immédiate pour exécuter les plans prévus.

– Le 5 juin 1944, deux officiers et quatre parachutistes éléments avancés du 4e régiment de chasseurs parachutistes atterrirent à Saint-Marcel.

Événements de juin 1944

Le débarquement du 6 juin semble avoir été prévu une semaine à l’avance par le commandement allemand. La région du débarquement semble également avoir été connue. La preuve en est donnée par les mouvements de troupes qui eurent lieu à partir du 1er juin en direction de la Normandie.

– 3e division parachutiste du Huelgoat vers la Normandie.

– 353e D.I. de, Landivisiau vers la Normandie.

– 77e D.I. de la région de Lamballe vers la Normandie.

Ces mouvements ont été peu gênés par les Forces françaises de l’Intérieur parce que l’ordre n’était pas donné d’intervenir. Les autres mouvements de troupes allemandes qui eurent lieu à une date très voisine du 6 juin coïncidaient avec les mouvements de regroupement des maquis.

– 1 groupe de combat (2 bataillons de la 266e D.I.).

– 1 groupe de combat (2 bataillons de la 275e D.I.).

– 1 groupe de combat (2 bataillons de la 343e D.I.).

Le point de destination était toujours la Normandie. L’ordre de mouvement serait du 1er juin. Ces six bataillons ont été les dernières troupes constituées qui purent quitter la Bretagne. Si les premiers mouvements des troupes allemandes ne furent pas attaqués, il en fut de même de la concentration des troupes F.F.I. Frappés de stupeur, sans doute par le débarquement, les Allemands ne semblèrent pas remarquer le défilé ininterrompu de jeunes et de vieux qui gagnaient la campagne avec une valise ou un sac comme les recrues gagnent la caserne. Ces mouvements se firent le plus souvent par les itinéraires directs et les routes nationales. Cette trêve dura peu, le 9 juin, les Allemands sont alertés. À partir de cette date, l’occupation prend la forme suivante :

– les troupes allemandes restent dans les agglomérations, se mélangeant au maximum avec la population civile et abandonnant les casernes aux troupes russes ;

– les mouvements individuels sont très limités ; les déplacements de troupes ont lieu le jour, les troupes étant toujours en état d’alerte ; des postes placés aux entrées des localités importantes contrôlent toute la circulation ;

– les troupes russes sont lancées dans la campagne à la recherche des maquis. Ces troupes sont dirigées le plus souvent par la Gestapo et la Milice. Cette période à partir du 10 juin fut particulièrement pénible pour la Résistance bretonne. Les effectifs existaient mais n’étaient pas encore armés. Toute rencontre avec l’ennemi nécessitait une dislocation immédiate, puis un regroupement toujours difficile en un autre lieu.

Ce fut l’époque de la réception de l’armement, du 10 au 17 juin, huit mille hommes se succédèrent au camp de Saint-Marcel, où toutes les nuits eurent lieu des parachutages massifs. Les bataillons faisaient mouvement de nuit de leurs points de rassemblement au lieu de parachutage. Ils y recevaient leurs armes et regagnaient leur région.

Première bataille

Le 18 juin, douze jours après le débarquement, alors que les Alliés ne tenaient qu’une faible bande côtière, deux mois avant le débarquement de la première armée française, les maquis bretons durent livrer bataille.

Les Allemands ne pouvaient plus ignorer le 18 juin qu’il y avait dans la région de Saint-Marcel un rassemblement de forces adverses. Les cent cinquante avions parachuteurs n’avaient pu remplir leur mission sans se faire repérer par les postes de guet allemand et en particulier par le plus connu de la région, celui du moulin de la Crée en Plumelec, situé sur un point culminant à treize kilomètres de Saint-Marcel. Depuis le 15 juin, les projecteurs de l’aérodrome de Meucon éclairaient les avions larguant leurs containers, plusieurs parachutages trompés par les signaux ennemis avaient été effectués hors de la zone prévue et avaient été capturés par les Allemands. Les troupes de Saint-Marcel étaient donc en alerte et s’attendaient à tout moment à l’attaque.

Le calme des premières heures du jour du 18 juin est rompu brutalement par le crépitement des armes automatiques. La première attaque fut menée par deux compagnies en ordre serré, ce premier détachement fut anéanti par les armes automatiques qui le reçurent à bout portant. L’attaque fut reprise en force l’après-midi par un groupement tactique de la 275e D.I. allemande. Elle fut contenue jusqu’à la nuit.

Peu avant la tombée de la nuit, le colonel Bourgoin, Commandant les troupes aéroportées et le colonel Morice tiennent conseil.

Leurs troupes ont tenu, elles ont résisté à toutes les attaques en restant sur leurs positions. La consommation de munitions a été forte, surtout pour les F.M. (calibre 203). L’acharnement de l’Allemand permet de prévoir que le lendemain dès le point du jour l’attaque en force reprendra. L’artillerie commence à se faire entendre. Des convois ennemis convergeant sur Saint-Marcel ont été dispersés par les chasseurs bombardiers de la Royal Air Force. Ils estiment qu’il y a lieu de prévoir un repli, Les ordres arrivés de Londres dans la soirée du 18 indiquent d’ailleurs que le projet de débarquement Sud est abandonné. Ils prescrivent que les maquis et parachutistes doivent se disperser au maximum tout en continuant leurs missions de guérillas.

Le décrochage commence vers vingt-trois heures. Il durera une grande partie de la nuit. Les bataillons après avoir couvert leur mouvement par une arrière-garde qui conservera le contact avec l’ennemi jusqu’au départ des grog, se dispersèrent dans leurs secteurs d’affectation où ils se disloquèrent par Compagnies, voire par sections.

Les unités parachutistes se dispersèrent également par sections pour régler la constitution des douze bataillons F.F.I.

Conséquence de ce premier engagement

Les Allemands ont, pour la première fois, constaté sur les arrières immédiats du champ de bataille de Normandie l’existence d’une force réelle, bien armée, bien encadrée, disposant de moyens mécaniques (Jeeps armées) qui leur a infligé des pertes cruelles et qu’ils n’ont pu battre. Les troupes françaises sont en rapport étroit avec le commandement interallié puisqu’elles ont pu faire intervenir l’aviation dans la bataille. Pour eux, cette armée est d’autant plus dangereuse qu’ils n’en connaissent pas les effectifs et qu’ils ne la retrouvent plus malgré leurs recherches qu’en éléments isolés. Deux solutions se présentent pour le commandement allemand.

La détruire : le sol breton ne s’y prête pas, terrain de guérillas couvert d’une végétation qui permet tout à des éléments fluides. Toutes les forces allemandes présentes en Bretagne n’auraient pas suffi. L’Allemand connaît aussi son Histoire, ce n’est pas la première fois une le Breton prend le maquis.

Agir par la terreur : c’est cette dernière solution que prend le commandement allemand, Il exerce une répression sauvage contre les isolés. Certes, les membres de la Résistance ne remplissaient que rarement les conditions prévues par les conventions de La Haye. Ils pouvaient être condamnés à mort comme francs-tireurs et exécutés. Mais ils furent assassinés sans jugement dans la plupart des cas et après avoir été le plus souvent affreusement torturés.

Bilan

Quarante-deux Français avaient été tués, soixante avaient été blessés, Les blessés furent évacués au cours de la nuit et dispersés dans les fermes. Malgré les perquisitions allemandes et les menaces tous ceux qui avaient besoin de soins chirurgicaux furent opérés et soignés en clinique.

Les pertes ennemies furent extrêmement élevées. Les renseignements recueillis après la Libération ont permis de chiffrer à cinq cent soixante le nombre des Allemands tués (d’après les comptes rendus allemands). Ces pertes étaient dues à l’imprudence des attaquants qui sous-estimèrent les capacités de défense de la ligne française et furent fauchés en masse dans les champs de blé par les armes automatiques bien placées et protégées.

Événements de juillet 1944

Le Commandement français avait pris les mesures qu’imposait la situation. Il avait dispersé et réparti ses éléments par Compagnies sur tout le territoire aux environs des points sensibles. Il avait allégé provisoirement ses effectifs, en ne gardant dans le maquis que les hommes armés et entraînés. Les forces françaises ont terminé au 1er juillet leur mouvement de dispersion. Les P.C. départementaux en liaison par radio avec le haut-commandement interallié sont en liaison permanente avec leurs bataillons. Cette liaison est assurée le plus souvent par ses admirables agentes d’e liaison, jeunes filles de Bretagne qui parcouraient la campagne à bicyclette, portant dans leur panier de légumes les ordres qui réglaient la bataille.

Les P.C. de bataillons étaient eux-mêmes en liaison avec les compagnies qui vivaient isolément. Les compagnies étaient en mesure de se défendre contre les attaques des éléments ennemis qui patrouillaient sans cesse. Leur fluidité était suffisante pour qu’elle puisse échapper à toute rencontre avec des troupes nombreuses. Les ordres étaient :

– sabotage permanent des voies ferrées.

– interdiction des itinéraires aux isolés.

– harcèlement des convois de jour.

– interdiction de la circulation de nuit quelle que soit l’importance de l’ennemi.

– entretien permanent de coupures de courant électrique et des circuits téléphoniques.

La mission fut remplie : pas un train ne put circuler dans toute la Bretagne et l’aviation alliée fut alertée sur de beaux objectifs qu’elle ne put malheureusement attaquer tous, trop occupée par la bataille de Normandie. Les seuls mouvements de troupes allemandes qui réussirent furent des glissements le long de la zone côtière et des réorganisations de commandement.

Le 27 juillet, le bruit du canon devient nette- ment audible d’ans le Nord-Est, c’est le début de la grande bataille. Après avoir tenu une faible bande côtière, puis élargi leurs positions à mesure des débarquements, les Alliés sont prêts maintenant à engager la bataille de rupture. Derrière la ligne de combat, les divisions blindées attendent 1a percée pour s’élancer.

C’est le moment crucial. Si l’Allemand tient, tout est à craindre. Il peut amener ensuite des réserves et contre-attaquer. Il ne s’agit plus de surveiller les côtes et de garder le fameux mur de l’Atlantique qui a une brèche de cent cinquante kilomètres ; il s’agit pour le général Farenbacher de courir au canon. Il a sous ses ordres cinq divisions qu’il voudrait engager. Il y a beau temps que les trains ne circulent plus sur le réseau breton et les destructions vont plus vite que les remises en état. Par la route au début de juillet, les charrettes de paysans ont bien permis quelques mouvements de bagages, mais maintenant c’est fini. Les abattis souvent piégés bloquent ·toute circulation de jour et de nuit c’est pire encore. Les deux divisions allemandes, 77e et 91e D.I. qui gardaient l’entrée nord de la Bretagne ne reçoivent aucun renfort, peu à peu elles reculent, leur front s’étire, le 30 juillet c’est la percée.

La parole est au général Patton. Depuis le 25 juillet, les Forces françaises de l’Intérieur n’ont pas été inactives. Intensifiant leurs sabotages et leurs guérillas, ils ont fixé loin de la bataille décisive toutes les troupes allemandes de Bretagne. Ils ont aussi recomplété leurs effectifs, le 30 juillet, dans le Morbihan, douze mille F.F.I. bretons sont prêts à entrer à leur tour dans la bataille. Par la trouée d’Avranches, l’armée blindée de Patton s’engage. C’est en tête la 4e division blindée, sa mission est la Bretagne.

L’ennemi battu se retranche dans quelques points forts : les F.F.I., adaptés aux actions du maquis, manquant de moyens lourds investissent ces places, fixent d’importantes unités et continuent à infliger à l’ennemi, en particulier à Lorient, des pertes considérables jusqu’au moment de la Victoire.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 89, juin 1956.