Le discours d’Oxford du général de Gaulle (25 novembre 1941)

Le discours d’Oxford du général de Gaulle (25 novembre 1941)

Le discours d’Oxford du général de Gaulle (25 novembre 1941)

Le contexte

Ce discours du général de Gaulle a été prononcé le 25 novembre 1941 lors d’une manifestation organisée dans les locaux de l’Oxford Union par le Cercle français de l’Université d’Oxford, où sa fille Élisabeth allait entreprendre des études d’histoire quelques mois plus tard.

Le discours s’inscrit chronologiquement après la formation du Comité national français (24 septembre 1941), dans le « tournant démocratique » de la France Libre, opéré par de Gaulle à partir de novembre 1941 et qui aboutit avec la « Déclaration aux mouvements » de résistance intérieure d’avril 1942.

Le général de Gaulle intervient à l’initiative de René Cassin, commissaire national à la Justice et à l’Instruction publique du Comité national français depuis le 24 septembre 1941.

Moins d’un an et demi après l’Appel du 18 juin 1940, le général de Gaulle, pose, dans ce texte, la question des enjeux de l’après-guerre. S’exprimant devant « un auditoire composé pour une large part d’étudiantes et d’étudiants mobilisés en congé de convalescence » et de professeurs de l’université, un public de Britanniques francophiles, il décrit les bouleversements induits par la mécanisation de nos sociétés modernes avec des accents qui rappellent Metropolis de Fritz Lang (1927), Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1931), À nous la liberté de René Clair (1931), Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1936) ou 1984 de George Orwell (1949). Des bouleversements qui portent en eux les germes de dictatures.

Sa conclusion est sans appel : si les Alliés se contentent d’une victoire militaire et ne s’efforcent pas « construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties », ils s’exposent à se retrouver, dans un avenir plus ou moins proche, face aux mêmes menaces.

L’extrait

« […] Il faut convenir, en effet, que dans l’époque moderne, la transformation des conditions de la vie par la machine, l’agrégation croissante des masses et le gigantesque conformisme collectif qui en sont les conséquences battent en brèche les libertés de chacun. Dès lors que les humains se trouvent soumis, pour leur travail, leurs plaisirs, leurs pensées, leurs intérêts, à une sorte de rassemblement perpétuel ; dès lors que leur logement, leurs habits, leur nourriture, sont progressivement amenés à des types identiques ; dès lors que tous lisent en même temps la même chose dans les mêmes journaux, voient, d’un bout à l’autre du monde, passer sous leurs yeux, les mêmes films, entendent simultanément les mêmes informations, les mêmes suggestions, la même musique, radiodiffusées ; dès lors qu’aux mêmes heures, les mêmes moyens de transport mènent aux mêmes ateliers ou bureaux, aux mêmes restaurants ou cantines, aux mêmes terrains de sport ou salles de spectacle, aux mêmes buildings, blocks ou courts, pour y travailler, s’y nourrir, s’y distraire ou s’y reposer, des hommes et des femmes pareillement instruits, informés, pressés, préoccupés, vêtus, la personnalité propre à chacun, le quant-à-soi, le libre choix, n’y trouvent plus du tout leur compte. Il se produit une sorte de mécanisation générale, dans laquelle, sans un grand effort de sauvegarde, l’individu ne peut manquer d’être écrasé.

Et d’autant plus que les masses, loin de répugner à une telle uniformisation, ne laissent pas, au contraire, d’y pousser et d’y prendre goût. Les hommes de mon âge sont nés depuis assez longtemps pour avoir vu se répandre, non point seulement l’obligation, mais encore la satisfaction de l’existence agglomérée.

Porter le même uniforme, marcher au pas, chanter en chœur, saluer d’un geste identique, s’émouvoir collectivement du spectacle que se donne à elle-même la foule dont on fait partie, cela tend à devenir une sorte de besoin chez nos contemporains. Or, c’est dans ces tendances nouvelles que les dictateurs ont cherché et trouvé le succès de leurs doctrines et de leurs rites. Assurément, ils ont réussi d’abord parmi les peuples qui, dans l’espoir de saisir la domination sur les autres, ont adopté d’enthousiasme l’organisation des termitières. Mais il ne faut pas se dissimuler que l’évolution elle-même offre à l’ordre dit nouveau d’extraordinaires facilités et à ses champions de chroniques tentations.

Si complète que puisse être, un jour, la victoire des armées, des flottes, des escadrilles des nations démocratiques, si habile et prévoyante que se révèle ensuite leur politique vis-à-vis de ceux qu’elles auraient cette fois encore, abattus, rien n’empêchera la menace de renaître plus redoutable que jamais, rien ne garantira la paix, rien ne sauvera l’ordre du monde, si le parti de la libération, au milieu de l’évolution imposée aux sociétés par le progrès mécanique moderne, ne parvient pas à construire un ordre tel que la liberté, la sécurité, la dignité de chacun y soient exaltées et garanties, au point de lui paraître plus désirables que n’importe quels avantages offerts par son effacement. On ne voit pas d’autre moyen d’assurer en définitive le triomphe de l’esprit sur la matière. Car, en dernier ressort, c’est bien de cela qu’il s’agit […]. »

Le document

Les discours du général de Gaulle font l’objet d’une diffusion mondiale, par la radio, la presse, la publication de recueils et de tracts. Ce dernier document est publié à Brazzaville par le Service d’information de la France Libre en Afrique française libre.

Charles de Gaulle, Discours et messages, tome 1 : « Pendant la guerre (juin 1940-janvier 1946) », Plon, 1970, p. 143-146 [138-146].

Dans ce discours, de Gaulle réfléchit, en pleine guerre, à la nécessaire collaboration entre les peuples français et britannique dans la perspective d’une victoire alliée. Surtout, il dénonce l’oubli, dans une modernité marquée du sceau du conformisme, des valeurs fondamentales de respect de la liberté et de l’humain de la civilisation européenne.

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Coll. Fondation de la France Libre

 

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