Le prix de la guerre

Le prix de la guerre

Le prix de la guerre

L’auteur

Atwood Halsey Townsend (1897, Moorestown, New Jersey-1967) étudie à la Boys High School de Brooklyn puis à la New York University. Il contribue de manière significative dans le domaine de la recherche sur l’éducation et obtient un poste de professeur d’anglais à la New York University School of Engineering (École d’ingénierie de l’Université de New York) en 1918. Le Dr. Townsend préside en qualité de chairman un comité sur les études en collège pour le National Council of Teachers of English (Conseil national des professeurs d’anglais) en 1933. Pour le conseil, il crée une liste des cent livres les plus importants pour les universitaires. En 1943, il intervient comme secrétaire exécutif pour le troisième Free World Congress à New York. Il demeure professeur d’anglais à la NYU jusqu’à sa retraite en 1961.

Le document

Terminé de rédiger en juillet 1942, cet article d’Atwood Townsend (orthographié par erreur Towsend dans le texte) est paru initialement en anglais dans le magazine américain Free World.

Organe de l’International Free World Association, ce mensuel, orienté à gauche et engagé dans la lutte antifasciste, paraît à New York d’octobre 1941 à décembre 1946 sous la direction de Louis Dolivet, pseudonyme de Ludovic ou Ludwig Brecher, né en Transylvanie sous le nom de Ludovici Udeanu (1908-1989). Écrivain, producteur et probablement espion soviétique, celui-ci avait été le collaborateur de Willy Münzenberg (1889-1940) au Mouvement Amsterdam-Pleyel, puis un des principaux dirigeants du Rassemblement universel pour la paix (RUP), de 1936 à 1939.

Traduit en français pour La Marseillaise, « hebdomadaire des volontaires de juin 40 » d’inspiration gaulliste fondé en juin 1942 par François Quilici, l’article est repris en juin 1943 dans le numéro 26 de France-Orient, revue mensuelle publiée à Delhi par la Section française de l’Information Office, dirigée de mars 1941 à février 1944 par le lieutenant de vaisseau Robert Victor (1904-1977), officier des Forces navales françaises libres.

Le prix de la guerre

Coll. Fondation de la France Libre

Le texte

Dans ce texte, l’auteur constate la faible part des Anglais et des Américains parmi les victimes de la guerre. Pour lui, ce sont leurs alliés qui ont payé jusque-là le plus lourd tribut, ce qui leur donne des droits vis-à-vis de ces deux nations. De même, le fait que les civils représentent les principales victimes de cette guerre justifie que les “petites gens” aient un rôle décisionnel sur la politique d’après-guerre, par opposition aux généraux et aux trusts.

Partant de ce constat, il présente un chiffrage de l’ensemble des pertes alliées depuis le début de la guerre, pays par pays. Il dénombre ainsi 7 000 Tchécoslovaques exécutés depuis 1938, auxquels il ajoute des dizaines de milliers déportés dans des camps de concentration, dont des milliers exécutés ; 200 000 civils polonais massacrés depuis 1939 ; un minimum de 100 otages “communistes” et “agents” britanniques exécutés en Norvège depuis 1940 ; 150 Néerlandais exécutés depuis 1940 ; 200 civils belges fusillés comme otages, “agitateurs”, etc. ; 1 200 Français exécutés par représailles ; 30 000 civils grecs “massacrés en Thrace par les Bulgares, dans d’autres régions par les nazis” ; 10 000 partisans yougoslaves tués en action et 200 000 civils “massacrés dans des exécutions en masse et des destructions de villages” ; 1 800 000 “paysans et villageois” russes et “200 000 Juifs exterminés lors des exécutions en masse et de l’émigration forcée et décimés par les épidémies de typhus”.

Il fait un sort particulier aux Juifs, répartis en cinq catégories, distinguant les militaires tués dans les combats, au sein des différentes armées nationales où ils servaient, des civils morts de faim, d’épidémie, exécutés ou massacrés à travers l’Europe.

S’il montre le caractère massif de ces massacres – “le nombre de Juifs assassinés chaque vingt-quatre heures en Europe orientale est presque égal au total des tués de l’armée américaine pendant sept mois de guerre”, “les Juifs d’Europe furent les premières victimes de l’agression fasciste” –, Townsend met également en avant la mise en pratique d’une volonté exterminatrice de la part des Nazis – “Nous savons que les Nazis ont un plan arrêté pour l’extermination des Juifs, des Polonais, des Yougoslaves et des Grecs”.

Il arrive au total de 800 000 morts juifs, dont 700 000 civils victimes des Nazis, chiffre qu’il considère lui-même comme “le minimum probable de morts” depuis le début de la guerre.

À titre de comparaison, Raul Hilberg, dans La Destruction des Juifs d’Europe (Gallimard, coll. Folio histoire, 2006, trois tomes) évalue, p. 2273, à moins de 100 000 les victimes juives avant 1940, 1 100 000 en 1941 et 2 600 000 en 1942.

Autres documents

Le 23 janvier 1944, l’équipe dirigée par Jean-Louis Crémieux-Brilhac, en charge de la documentation de propagande adressée mensuellement par Londres à la Résistance diffuse une note de synthèse sur « les persécutions contre les Juifs en Europe occupée » rédigée à partir des informations fournies par les services polonais, l’Agence juive et des représentants du Congrès juif mondial. Elle recense, pays par pays, les mesures prises à l’encontre des juifs par les gouvernements nationaux et les nazis, chiffre les effectifs déportés et évalue à un total de trois millions le nombre de juifs exterminés. Expédiée en France à la dernière lunaison de janvier 1944, elle n’est reprise par aucun journal clandestin1.

En juin 1945, l’Institut des Affaires juives, fondé à New York le 1er février 1941 sous l’égide du Congrès juif mondial et du Congrès juif américain, dans le but d’enquêter sur la vie des Juifs durant les vingt-cinq années précédentes et d’esquisser des suggestions pouvant servir de base à la défense des intérêts juifs dans le règlement de l’après-guerre, rend un rapport consacré aux “Statistiques sur les victimes juives durant la domination de l’Axe”, qui fixe le nombre de victimes à environ 5,7 millions de personnes, pour quelque 3,8 millions de survivants2.

Toutes ces évaluations se fondent sur la soustraction des disparus des recensements ou évaluations d’avant-guerre.

1– Cette note a été publiée en annexes de l’article « La France Libre et le problème juif » dans Le Débat, n° 162, novembre-décembre 2010, p. 53-70, puis dans Jean-Louis Crémieux-Brilhac, L’Étrange victoire, Gallimard, 2016, p. 178-185.
2- Une copie de ce rapport est conservée à la Harry S. Truman Presidential Library and Museum.

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