Les Mallet dans la France Libre

Les Mallet dans la France Libre

Les Mallet dans la France Libre

Le capitaine Horace Mallet, en permission à Alexandrie, le 23 mai 1942. Il sera tué pendant la sortie de Bir Hakeim, le 10 juin (RFL).
Le capitaine Horace Mallet, en permission à Alexandrie, le 23 mai 1942. Il sera tué pendant la sortie de Bir Hakeim, le 10 juin (RFL).

Ainsi que l’a souligné un ami, on peut se demander s’il y a « beaucoup d’autres exemples d’un père et de ses deux fils engagés dans la France Libre. Il y a des exemples de trois frères engagés… » mais très peu de cas similaire à celui de la famille Mallet.

Il va de soi qu’aujourd’hui, un tel héritage conduit nécessairement au témoignage.
Horace Mallet, héritier d’une famille de vieille souche protestante, capitaine de réserve, ingénieur de l’Institut agronomique, avait créé sur les hauts plateaux du Cameroun une plantation de café. Plantation assez proche du Cameroun dit « zone anglaise » pour que, dès l’armistice de 1940, et d’après ses avis, son épouse, Yvonne Mallet, pût y faire passer ceux qui voulaient immédiatement rejoindre l’Angleterre, ou préparer au Nigeria l’accueil de Leclerc, en vue du ralliement du Cameroun à la France Libre. Par la suite, dénoncée par un administrateur vichyste rentré en France, des fuites organisées (pour faire peur ?) lui apprirent que son nom figurait sur une liste de Français dissidents déserteurs, condamnés à mort par la contumace vichyste. Sa médaille de la Résistance en témoigne.
Mobilisé à Yaoundé, le capitaine Horace Mallet s’affaire à éclairer l’esprit de chacun. « Au moment de la débâcle, il ne sait pas que son père vient d’arriver avec son tout jeune frère à Londres, pour répondre à l’Appel du général de Gaulle. » Lui-même s’arrachera de son poste à l’état-major de Yaoundé, « pour partir avec la brigade d’Orient du colonel Monclar ». Ayant signé son engagement dans les Forces Françaises Libres, il embarqua, le 25 décembre 1940, à Douala, sur le paquebot Touareg, avec la 13e DBLE. Le lendemain, le Touareg leva l’ancre à 15 heures… Adieux dans l’embouchure du Wouri, où son épouse, à bord d’une vedette, escortait le bateau jusqu’à la mer, drapeau à croix de Lorraine au vent.
Ce fut alors le tour de l’Afrique, la campagne d’Érythrée, Keren. « Il est cité à l’ordre au cours des opérations du printemps 1941, ses fonctions d’officier du premier bureau à l’état-major de la brigade ne l’empêchant pas de participer aux liaisons les plus audacieuses. » (Sa pratique de jeunesse des courses en montagne et sa formation scoute aidant.)
Suivit la douloureuse expérience de Syrie, avec ses responsabilités à l’état-major, et sur le terrain. Pendant ce temps, son épouse avait réussi à trouver des places sur le cargo Le Fort de Troyon pour embarquer le 20 mai 1941, avec leurs deux fillettes (Viviane, 6 ans, et Béatrice, bientôt 4 ans), avec également, jusqu’à Durban, Alice, la gouvernante, ainsi que la voiture Mercury Ford. Cela afin de pouvoir rejoindre la bagarre. Trajet pittoresque passant par Libreville ; longue escale où l’on attend pour charger du bois. On fête enfin, à bord, en rade du Cap, l’anniversaire de Béatrice. Son grand-père, le lieutenant-colonel Richard Mallet, les attend au port avec un cadeau. En effet, il dirige alors la délégation de la France Libre à Cape Town, Durban et Johannesburg. Il y représente le général de Gaulle.
Le lieutenant-colonel Richard Mallet, à Brazzaville, en décembre 1940. Il était le père de deux Compagnons de la Libération : Horace et Jean-Pierre Mallet (RFL).
Le lieutenant-colonel Richard Mallet, à Brazzaville, en décembre 1940. Il était le père de deux Compagnons de la Libération : Horace et Jean-Pierre Mallet (RFL).

Effectivement, le lieutenant-colonel Mallet, avec son second fils, Jean-Pierre avait décidé, dès le 18 juin au soir, de partir le lendemain matin, pour rejoindre, en Afrique du Nord (ou en Angleterre) les forces décidées à continuer la lutte contre l’Allemagne. N’ayant pas entendu l’Appel historique du 18 Juin 1940, c’est le 19 juin au soir, à Verteuil, chez leur cousin Maurice Harlé, qu’ils reçoivent la deuxième diffusion de l’appel à la poursuite du combat jusqu’à la victoire. C’est donc pour l’Angleterre qu’ils décident de partir immédiatement. À Saint-Jean-de-Luz, ils réussissent à s’embarquer sur le Sobieski qui rapatriait les troupes polonaises. Jean-Pierre fêtera ses 20 ans en rade de Plymouth le 24 juin 1940. Le 25 juin, ils retrouveront à Plymouth le même cousin Harlé. Après leur débarquement, dès leur arrivée à Londres, Richard Mallet et son fils Jean-Pierre s’étaient inscrits, le 1er juillet 1940 (à l’Olympia où les volontaires étaient regroupés), pour un engagement dont la signature surviendra à l’automne sur documents officiels. Mais ils s’étaient d’emblée mis à la disposition du général de Gaulle, dans les Forces Françaises Libres. Jean-Pierre Mallet intégrera plus tard la compagnie d’élèves aspirants à Camberley. La communication télégraphique entre Mallet, l’Angleterre et le Cameroun s’était alors établie.

Horace, le frère aîné, avait signé son propre engagement pour s’embarquer à Douala, le 25 décembre de la même année. Après la campagne d’Érythrée, les exploits de la Légion à Keren, sa croix de guerre, « à la formation de la 1re DFL en Palestine, ses qualités l’imposent tout naturellement comme officier d’état-major de cette grande unité » qui l’emmènera vers la campagne du désert dès Noël 1941, au sein de la 1re Division Légère.
Son épouse, Yvonne Mallet (agent de la France Libre à partir d’août 1941) qui venait, à Durban, d’être chargée d’un pli personnel, l’avait remis en main propre au général Catroux au Levant. De retour, elle avait trouvé Viviane et Béatrice, bien gardées. Elle s’était embarquée avec elles, le 16 décembre 1941, sur un navire de Sa Majesté britannique, le Mauritania.
Entre Madagascar et la côte d’Afrique, ce fut l’apprentissage de la guerre, avec les multiples alertes d’entraînement, liées à la menace des sous-marins (ou des torpilles vichystes), les courses vers le canot attitré, gilet de sauvetage dûment attaché. Les peurs des petites filles ! Les fillettes revirent leur papa… l’espace de courtes permissions.
Arrivées au Caire, elles s’étaient finalement installées avec leur maman à l’hôtel Cecil, à Alexandrie. Leur mère leur avait appris à sourire aux marins à pompons bleus FNFL et à détourner le regard des marins à pompons rouges, vichystes. Étant diplômée de la Croix-Rouge, Yvonne Mallet, se trouvait dès lors, sous les ordres de la générale Catroux, infirmière volontaire à la maison d’accueil où les blessés recevaient des soins ou poursuivaient leur convalescence (que de filleuls !) Lors des bombardements visant les navires de la France Libre, c’était de nuit, dans la cave du Cecil, que fusaient les questions faute d’être imprudemment montées sur la terrasse pour admirer le feu d’artifice portuaire.
Arrive Bir-Hakeim : les lettres, les colis, les récits de ceux qui font un saut, pour une mission ou une permission. Puis c’est l’encerclement, le suivi, l’attente… la prière. Dans la dernière lettre, retrouvée après, dans sa cantine rapportée par son ordonnance, la dernière phrase d’Horace à Yvonne : « (…) tes jus de fruits ont un goût délicieux. »
Après la sortie de vive force, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942 le capitaine Horace Mallet est porté disparu. Certains ont cru le voir tomber, mais ne peuvent le garantir, tant à cause de l’explosion des mines que de la hâte générale, conformément aux ordres du général Kœnig.
C’est à Broumana, au Liban, depuis la résidence d’été d’Edgar de Larminat, grâce à l’accueil profondément chaleureux du général et de son épouse Suzanne, que se poursuit l’enquête d’Yvonne Mallet. Indomptable, elle interroge tous ceux de Bir-Hakeim passant à sa portée. Ceux qui en sont sortis, ceux qui en reviennent après s’être perdus dans le désert, ceux qui parlent d’un possible recueil de tous les blessés par les Italiens. Enquête auprès de la Croix-Rouge (aurait-il été dans ce paquebot torpillé en Méditerranée ?)… C’est la recherche, l’incessante interrogation, l’attente et encore l’attente, le refus le plus farouche, touchant au déni… la prière enfin.
Cinq mois plus tard, en novembre, après El-Alamein, lorsque l’accès à Bir-Hakeim redevint possible, le lieutenant-colonel R. Mallet, en mission, en tête de la première colonne du 1er détachement DFL et cherchant les traces de son fils, remarque une tombe de fortune et retrouve le corps. Il peut alors rapporter à Yvonne la seule et irréfutable preuve : la plaque d’identité de son mari.
Par la suite, la tradition orale familiale a voulu que ce soit peut-être un camarade au moment de la sortie, voire un officier italien juste après, qui aurait tout de suite, par honneur, enfoui le corps dans le sable.
Ce n’est qu’ultérieurement, en 1982 (après le décès d’Yvonne), qu’un échange de correspondance de ses filles avec le général de Cidrac, alias Beauroir, leur révéla que c’était lui, Beauroir, qui lors du retour sur la position avait – avec un camarade – pris le risque, sur ce champ de mines, d’ouvrir hâtivement cette « tombe » pour ensevelir les restes retrouvés, juste avant l’arrivée du père.
Beauroir s’était trouvé tout proche d’Horace lorsque celui-ci, frayant un passage aux véhicules, fut touché par l’explosion d’une mine. Il fut lui-même très gravement brûlé ; mais, invectivé par Kœnig, il avait continué à foncer sans pouvoir revenir en arrière. (Sa lettre de témoignage est pieusement conservée.) C’est bien Beauroir qui avait, ultérieurement, signé le certificat de décès du capitaine Horace Mallet.
Richard Mallet se trouva chargé par le général de Gaulle de l’aménagement du cimetière de Bir-Hakeim, au cœur du désert. Il y fit dresser le fameux monument à croix de Lorraine dont la silhouette est bien connue de tous ceux pour lesquels elle veut dire quelque chose.
Quelque temps après, en présence des survivants qui viennent de prendre part à la bataille d’El-Alamein, c’est lui qui, après la messe dite par le RP Hirlemann, donnera lecture des textes bibliques et dira les prières de la liturgie protestante.
À la mort de Richard Mallet, le général de Gaulle écrivit à madame H. Mallet : « Je me rappelle notamment Mallet, droit dans son angoisse, mais aussi dans sa fermeté, au chevet de son fils grièvement blessé en Italie… Je n’ai rien oublié de ses sacrifices, de ses mérites, de l’exemple qu’il donnait à tous. »
Effectivement, l’aspirant Jean-Pierre Mallet, embarqué le 1er octobre à Liverpool, sur le Chantilly (avec la 2e promotion de Camberley) pour rejoindre la DFL – en passant par Durban, Elizabethville, Aden, Ismaïlia – était arrivé en train à El-Kantara, où il avait retrouvé son frère Horace. Il put alors, pour la dernière fois, déjeuner avec lui et avec les capitaines Jean Simon et Pierre Messmer, (tous trois arrivant d’Alep).
Il combattra en Cyrénaïque, en Tunisie, et enfin en Italie, où il sera très grièvement blessé à Radicofani, le 19 juin 1944 ; soit quatre ans jour pour jour après avoir entendu l’Appel BBC du général de Gaulle, répété le 19 juin 1940.
C’est sur son lit d’hôpital que le sous-lieutenant Jean-Pierre Mallet fut reconnu Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, en présence de son père.
À Alger, en mars 1944, c’est à la Villa des Glycines que le général de Gaulle reconnut le capitaine Horace Mallet Compagnon de la Libération à titre posthume (sortie de vive force de Bir-Hakeim, en juin 1942) en remettant, sa croix de l’ordre à Yvonne Mallet, aux côtés de laquelle se trouvaient placées leurs deux filles, Viviane et Béatrice. La citation de son mari mentionne :
– Lors des combats de Bir-Hakeim, du 17 mai au 11 juin 1942, a été sans cesse sur la brèche et a parfaitement accompli son travail sous des bombardements très violents. A trouvé une mort glorieuse au cours de la sortie de vive force qui, dans la nuit du 10 au 11 juin 1942, a arraché la 1re Brigade Française Indépendante à l’étreinte d’un ennemi supérieur en nombre qui encerclait la position. Avait déjà été cité en Érythrée. »
Béatrice Decoster Mallet
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.