Maurice Schumann

Maurice Schumann

Maurice Schumann

Allocution prononcée le 13 février 1998 par le général d’armée Jean Simon, chancelier de l’ordre de la Libération, à l’occasion de la cérémonie des obsèques aux Invalides de Maurice Schumann, compagnon de la Libération

Monsieur le Président de la République,
Madame,
Monsieur le Président du Sénat,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Académiciens,
Messieurs les Officiers généraux,
Messieurs les Parlementaires,
Mes Chers Compagnons,
Mesdames, Messieurs,
Il me revient aujourd’hui le pénible devoir de rendre un dernier hommage à Maurice Schumann, hommage auquel se sont associées les plus hautes autorités de l’État et ses camarades de combat qui opposèrent à la fatalité le refus de leur conscience en juin 1940.
Pour nous, saluer nos morts, ce n’est pas seulement témoigner de fraternel estime et d’affection, c’est affirmer qu’au travers des divergences inhérentes à la vie, au travers de l’oubli et du temps qui passe, une flamme est entretenue.
C’est maintenir l’exigence qui nous a réunis sous l’autorité du général de Gaulle, celle de la liberté personnelle attachée à l’indépendance de la nation, c’est transmettre par le récit d’une existence, aujourd’hui celle de notre compagnon Maurice Schumann, les choix d’un homme et son emprise sur une parcelle de notre histoire.
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maurice-schumannMaurice Schumann est né à Paris le 10 avril 1911 dans le 15e arrondissement. Son père était artisan joaillier et voulait « qu’il soit quelqu’un, qu’il réussisse. »
Alors qu’il poursuivait de brillantes études au lycée Janson de Sailly, son état de santé l’empêcha d’entrer à l’École Normale Supérieure et il fut réformé.
Après un séjour dans un sanatorium, il traversa alors une crise morale et physique grave, et le catholicisme lui apporta ce qu’il recherchait – la paix intérieure et la ferveur religieuse.
De formation très éclectique, sa vie fut façonnée par de multiples influences – « Qu’aurais-je été, écrivait-il, si Alain ne m’avait appris à douter, Simone Weil à croire, Marc Sangnier à aimer et de Gaulle à combattre ? »
En 1932, il se dirige vers le journalisme et occupe les fonctions de chef adjoint de grand reportage à la rédaction de l’agence Havas à Londres, puis à Paris. Il est éditorialiste de politique étrangère à Temps Présent, à la Vie Intellectuelle et à Sept, où il rencontre Georges Bidault, François Mauriac et Hubert Beuve-Méry. Il dénonce avec eux les accords de Munich, faisant déjà preuve d’esprit de résistance. Il sera plus tard directeur politique de l’Aube.
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En automne 1939, malgré sa réforme, Maurice Schumann s’engage et devient officier de liaison interprète auprès du Corps expéditionnaire britannique.
Survient la débâcle. Il est fait prisonnier et s’échappe.
Le 18 Juin 1940, il entend l’Appel à la résistance du général de Gaulle, dans un café à Niort. Sa décision est prise, il cherche à rejoindre la Grande-Bretagne et embarque à Saint-Jean-de-Luz, sur un bateau polonais.
Il fait désormais partie de cette petite phalange d’hommes et de femmes qui n’ont pas désespéré de la France quand tout semblait perdu.
Il est présenté au général de Gaulle; il a écrit sur une enveloppe de lettre de son ami Daniel Rops la formule suivante : « Nous ne sommes pas à l’arrière-garde d’une armée qui s’en va, mais l’avant-garde d’une armée qui reviendra. »
Quand le général de Gaulle lit cette formule, il décide de confier à Maurice Schumann la mission de porte-parole de la France Libre. Il n’est pas venu en Angleterre pour cela, mais il espère bien qu’au moment venu, « il fera partie de l’armée qui reviendra. »
La première rencontre avec de Gaulle constitue le grand moment de son existence. Elle a été décisive et passionnante. De Gaulle lui déclare, je cite : « Si Hitler avait dû venir à Londres, il y serait déjà. Comme sous-secrétaire d’État du gouvernement Paul Reynaud, j’ai demandé aux Anglais leur aviation de chasse, ils ont refusé. Je leur en ai tenu rigueur, maintenant je m’en félicite : c’est elle qui gagnera dans le ciel de Londres la Marne de cette nouvelle guerre… Avez-vous lu Mein Kampf ? Hitler ne résistera pas à l’envie d’implanter des colonies germaniques dans les plaines fertiles de l’Ukraine. Regardez la mappemonde ! Quand, faute de pouvoir atteindre Londres, il se sera jeté sur Moscou et aura entraîné la Russie dans la guerre, le Japon y entrera par la force des choses. Dès que le Japon y sera, l’Amérique ne pourra pas ne pas y être. »
Avec le don qu’il avait de donner des ordres à l’Histoire, la conclusion du Général est tombée : « Cette guerre est une guerre mondiale. Elle est donc un problème terrible, mais résolu. Il reste à ramener du bon côté, non seulement les Français, mais la France. » C’était le 26 juin 1940.
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Maurice Schumann ignorait à ce moment-là qu’il deviendrait le porte-parole du général de Gaulle, ce qu’il est resté jusqu’au 30 mai 1944, date à laquelle il a quitté Londres pour reprendre sa place au combat.
Le porte-parole de la France Libre.
Il n’a jamais reçu une directive ou des instructions du Général. Les préceptes initiaux lui ont suffi : « Cette guerre est une guerre mondiale, donc Hitler la perdra. Le vrai problème n’est pas de savoir qui gagnera, mais de savoir si la France sera une puissance victorieuse. » C’est la seule consigne qu’il ait jamais reçue.
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Entre le 17 juillet 1940 et le 30 mai 1944, il parla plus de mille fois à la radio de Londres.
Tous les soirs, « les Français parlent aux Français », et dans d’innombrables foyers le cercle de famille se forme autour du poste de radio. On baisse le ton pour ne pas être entendu par les Allemands ou surpris par quelques mouchards.
Sa voix chaude, profonde, entretient les énergies, réveille les espérances qui ne peuvent s’exprimer sous la botte nazie. Sa voix fait déjà partie de l’histoire de France !
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Quelques semaines avant le débarquement, comme il avait été convenu, Maurice Schumann se fait verser dans une unité commando. Il continue la guerre avec la 2e DB.
Il est cité à l’ordre du corps d’armée par le général Kœnig, délégué militaire pour la zone Nord, commandant en chef des FFI, pour « avoir effectué une liaison périlleuse dans la nuit du 18 au 19 juillet 1944, entre des éléments des FFI et les forces canadiennes, pour la libération de Vaucelles. »
En traversant l’Orne, il ramène sous le feu un FFI grièvement blessé.
Le 15 août 1944, le général Leclerc le cite à l’ordre de la Division pour avoir participé à l’attaque de la place de la Concorde, à l’assaut du ministère de la Marine et à la reddition de la garnison.
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La citation accompagnant sa nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur mentionne : « Porte-parole de la France Libre, a soutenu et fortifié le moral des populations sous la domination de l’occupant, donnant aux Français une raison de croire aux destinées immortelles du pays. Débarqué en Normandie avec les troupes d’assaut, il a donné aussi l’exemple du courage du combattant et apporté à la terre métropolitaine le salut de la France Libre. »
Pour reconnaître tant de dévouement au service de la patrie, le général de Gaulle lui décerna la croix de la Libération par décret en date du 13 juillet 1945.
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La paix revenue, Maurice Schumann mène une triple existence d’homme politique, d’écrivain et de journaliste.
Il n’a pas de plan de carrière mais un goût très prononcé pour l’action, l’approfondissement de la culture et le débat des idées.
Lorsque le gouvernement provisoire s’installe à Paris, il est élu à l’Assemblée consultative au titre de la Résistance métropolitaine.
Il rêve de créer un grand parti chrétien qui n’a jamais existé en France.
Militant dans les mouvements chrétiens dans la ligne de Marc Sangnier, il participe à la fondation du MRP et devient éditorialiste de l’Aube.
Il est partagé désormais entre sa fidélité à de Gaulle et son attachement profond au Mouvement républicain populaire.
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En 1946, le général de Gaulle quitte la présidence du gouvernement. Le MRP vote la constitution de la IVe République et s’éloigne du Général. Maurice Schumann reste président du MRP.
Solidement implanté comme député dans le Nord, il est secrétaire d’État aux Affaires européennes dans cinq cabinets ministériels successifs.
En 1958, il se rapproche du Général. Il sait bien que celui-ci n’est pas un dictateur et qu’il est le seul à pouvoir régler le problème algérien.
En mai 1962, à la suite d’une conférence de presse, Maurice Schumann ne peut admettre la position du Général sur l’Europe, et il se replie encore une fois dans le Nord.
On a souvent dit de lui qu’il était « le plus Européen des gaullistes et le plus gaulliste des Européens ».
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En 1967, Georges Pompidou lui confie, avec la dignité de ministre d’État, le portefeuille de la Recherche scientifique, puis celui des Affaires étrangères.
Il participe à ce poste à l’élargissement de la Communauté européenne. Il est très intéressé par ce ministère et perd les élections législatives dans le Nord en mars 1973.
Maurice Schumann n’a jamais été à la retraite. En 1974, il est élu sénateur et préside la Commission des Affaires culturelles. Conseiller régional, il est toujours resté fidèle au Nord-Pas-de-Calais et à ses beffrois.
Maurice Schumann était un homme d’action, qui se passionnait pour l’écriture ; il a d’ailleurs été président des journalistes catholiques.
Il a constamment écrit sur l’histoire, et plus particulièrement sur Talleyrand, Mazarin, et aussi sur Gandhi et Péguy.
Ses œuvres littéraires et historiques ont été couronnées et il fut élu en 1974 au Quai de Conti membre de l’Académie française. Très récemment, c’est lui qui avait prononcé le discours de réception de François Jacob à l’Académie française le 20 novembre dernier. Ce fut une des rares occasions où un Compagnon de la Libération reçut sous la coupole un autre Compagnon. Maurice Schumann insista sur le rendez-vous avec la grandeur que représente l’engagement dans la France Libre.
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La Résistance nous a laissé un message spirituel et la page de l’histoire qu’elle a écrite restera l’une de celles que les Français n’ont pas le droit d’oublier parce qu’elle est porteuse de foi en notre pays et d’espérance dans l’avenir de celui-ci.
Maurice Schumann, un jour de pèlerinage à Colombey, avait évoqué l’Appel du 18 Juin devant la foule rassemblée autour de la tombe du Général, je cite : « Chaque fois qu’un être seul avec lui-même refuse l’apparence de la démission, chaque fois qu’il défie le destin tout en devinant le monde, chaque fois que son cœur se révolte pour mieux obéir à l’histoire, il entend l’Appel du 18 Juin. »
Et il ajoutait : « Le jour approche où, parmi ceux qui marcheront vers votre tombe, il ne restera plus aucun de vos premiers Compagnons : mais qu’importe, mon Général ! Si votre vieille garde a fait son temps, votre temps commence à peine. »
Sur sa table de travail était posée une photo du Général avec cette dédicace : « À Maurice Schumann qui fut l’un des premiers, l’un des meilleurs, l’un des plus efficaces. »
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Toutes ces considérations et ces souvenirs ne rendent pas compte complètement de la personnalité de Maurice Schumann. Très fidèle en amitié, c’était un homme chaleureux, apprécié de ses amis qui pleurent aujourd’hui sa disparition.
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Me tournant vers Mme Schumann et ses enfants, je voudrais leur dire combien nous sommes de tout coeur avec eux dans le souvenir de notre compagnon.
Nous vous sommes très reconnaissants, Madame, de votre vigilance et des soins attentifs dont vous l’avez entouré jusqu’à sa fin.
Puisse l’affection de tous ceux qui sont ici présents, physiquement ou par la pensée, vous apporter, ainsi qu’à vos enfants, un peu de réconfort dans votre grand malheur.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 302, 2e trimestre 1998.