La mission Savannah

La mission Savannah

La mission Savannah

À la fin de 1940, l’Air Ministry demanda au SOE de détruire la Kampfgeschwader 100, une formation de bombardiers allemands stationnée sur l’aérodrome de Meucon, au nord de Vannes, dans le Morbihan. Cette escadrille avait la charge de jalonner les cibles afin de faciliter les bombardements de la Luftwaffe. Elle décollait de Meucon à la pleine lune en vol de nuit, et orientée par les spécialistes de la gonio qui se trouvaient à bord, larguait des bombes incendiaires sur les objectifs prévus, constituant un véritable triangle d’incendies à l’intérieur duquel les bombardiers allemands déversaient leur chargement de bombes explosives.

L’entraînement de ces équipes durait environ deux ans. En effet, les pilotes et navigateurs de la Luftwaffe étaient à cette époque, pour la plupart, des jeunes pilotes, les plus expérimentés d’entre eux ayant été abattus pendant les deux premiers mois de la bataille d’Angleterre.

C’est à partir de l’intervention de l’escadrille de Meucon qu’ont eu lieu les plus graves bombardements qu’ait subis la Grande-Bretagne : les docks de Londres, Coventry, etc. Or cette escadrille, en raison de l’absence, à l’époque, de chasse de nuit anglaise, ne pouvait aller et revenir de sa mission que par la pleine lune et évidemment de nuit, de façon que la chasse anglaise ne puisse pas l’intercepter, au moins au retour de ses missions de bombardement. Il fallait donc, pour les Anglais, neutraliser l’escadrille pour trois ou quatre mois avant juin, époque où les nuits raccourcissent. Il y avait donc urgence à neutraliser cette escadrille, baptisée par la RAF du terme de “pathfinder” (“éclaireur”).

Le SOE, en cette fin 1940, ne disposait d’aucune équipe capable de détruire cette escadrille ou, du moins, de neutraliser les hommes qui la composaient. C’est pourquoi il eut recours aux parachutistes de la France Libre. Ceux-là – pas plus de 13 officiers, sous-officiers et hommes de troupe – subissaient, dès début de janvier 1941, un entraînement très poussé à la station XVII, un château au cœur d’un vaste domaine, au sud-ouest de Londres.

Le capitaine – futur général – Bergé, chef de la mission Savannah (coll. musée de Saint-Marcel).
Le capitaine – futur général – Bergé, chef de la mission Savannah (coll. musée de Saint-Marcel).

Le capitaine Bergé, qui commandait cette compagnie d’infanterie de l’Air réduite au minimum, fut chargé de choisir quatre hommes dont il prit la tête : le sous-lieutenant Petit-Laurent, les sergents Forman et Le Tac, le caporal Renault ; cinq au total. Ceux-ci rejoignirent une station spéciale sur les bords du Loch Morar, au nord de l’Écosse, où ils subirent un entraînement intensif afin de préparer cette opération nommée Savannah.

Il s’agissait, avec un engin du type “road-trap”, de faire sauter le car allant de Vannes à Meucon et qui transportait 70 aviateurs allemands, dont les spécialistes de navigation par gonio. L’équipe devait sauter vers le 15 février dans les environs de Meucon. L’engin était fait de fers en U bourrés de plastic, articulés entre eux comme une sorte de mètre pliant, de façon à le tirer au milieu de la route, juste avant que le car n’arrive. La mise à feu devait se produire à l’origine lorsque les roues avant du car passeraient dessus par un système de « press switches ». Mais pour des raisons de sécurité, au moment du parachutage entre autres, on choisit la mise à feu commandée à distance, quelques incidents s’étant produits durant de l’entraînement en Écosse. Les parachutistes disposaient, en outre, d’un armement puissant : colts, mitraillettes Schmeitzer de fabrication allemande, grenades Mill Bombs, trench-knives et deux bidons de cinq gallons d’essence chacun. Le car était en principe suivi d’une voiture chargée d’officiers supérieurs. Il fallait que le compte de cette dernière soit réglé dans la foulée.

Une telle opération ne manqua pas de poser un certain nombre de problème d’ordre moral aux commanditaires. En particulier le haut commandement de la RAF, pourtant à l’origine de ce projet, s’interrogea pour savoir s’il était décent de parachuter des hommes en civil et non en uniforme, faisant remarquer que la RAF ne pourrait être associée à “ce parachutage de ce qu’on peut seulement appeler des assassins” (lettre de Portal à Jebb). Selon l’historien Michael Foot, ces tergiversations retardèrent l’opération et, malgré l’accord préalable, obtenu sans difficulté, du général de Gaulle et du commandant Dewavrin-Passy, la renvoyèrent à la lune de mars.

La récupération des parachutistes devait s’effectuer dans la nuit même de l’opération par un embarquement sur le thonier la Brise des FNFL, sur la côte au sud du Morbihan. Une autre opération de recueil, faite cette fois-ci par un sous-marin, avait été prévue pour la fin mars, début avril, sur la côte française à un point suffisamment éloigné du lieu de l’opération, en la circonstance à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, sur la côte vendéenne. Le mauvais temps fit annuler l’opération d’embarquement par la Brise, et seule fut maintenue l’opération par sous-marin.

Le parachutage “blind” fut effectué dans la nuit du 14 au 15 mars. Les paras français furent largués dans la campagne à l’ouest d’Elven, très loin de la Dropping Zone prévue. L’équipe prit contact au sud avec deux paysans, les frères Renaud, et avec le vicaire d’Elven, l’abbé Jarnot. Le capitaine Bergé et le sous-lieutenant Petit-Laurent partirent en reconnaissance à Vannes. Ils revinrent avec une mauvaise nouvelle : les aviateurs allemands ne rejoignaient plus Meucon en car, mais en voitures particulières, ou logeaient dans les baraquements de l’aérodrome de Meucon.

L’opération Savannah proprement dite s’annulait d’elle-même. En attendant la fin mars, date de l’embarquement à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, l’équipe se dispersa pour des missions complémentaires de reconnaissance.

L’embarquement par sous-marin eut lieu dans la nuit du 4 au 5 avril.

La mission Savannah, même si elle n’a pas été réalisée selon les plans prévus, a néanmoins apporté aussi bien au SOE qu’au SR français, d’importantes informations. Première mission parachutée en France occupée, elle a ouvert la route à toutes celles, heureusement plus réussies, qui se succédèrent jusqu’en 1944. C’était en tout cas la première mission Action.

Ce récit de Joël Le Tac est paru dans l’excellent livre édité par l’Amicale Action sous le titre les réseaux Action de la France Combattante.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 285, 1er trimestre 1994.