Normandie-Niémen, par Joseph Risso

Normandie-Niémen, par Joseph Risso

Normandie-Niémen, par Joseph Risso

De Gaulle à Moscou

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La 3e escadrille: Cherbourg (commandant Lefèvre). Debout, de gauche à droite: Lemare, Genès, Castin, Shoendorff, Moynet, Manceau, de La Salle, Henry. Assis: Gaston, Perrin, Emonet, Chatte, Taburet, Pinon (Amicale des FAFL).

C’est à Alitous que nous apprenons, avec la joie que l’on imagine, la libération de Paris. Ce 24 août fait suite à deux journées de festivités pour commémorer la naissance de l’aviation soviétique, un régiment de la 5 partage avec nous la plate-forme, présence qui entraîne moult toasts et liquide, face à une situation imprévue, ne trouve d’autre solution que dans l’allongement de sa provision par du… pétrole! Ce subterfuge, rapidement découvert malgré les précautions prises, coûtera quelques coliques chez les assoiffés impénitents et la dégradation avec envoi dans un bataillon disciplinaire au fils imprévoyant de l’Intendance.

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La 4e escadrille : Caen (commandant Challe). Debout, de gauche à droite: André, Panveme, Shick, Le Martelot, Matras, Monnier, Douarre, Pierrot. Assis: Jean, Sauvage, Miquel, de Geoffre, Mertzisen, Querne. (Amicale des FAFL).

Deux mois encore et nous pénétrons en Prusse-Orientale. Le paysage se transforme subitement, partout des lacs entourés d’immenses forêts de sapins. C’était le domaine de chasse réservé de Gœring. Depuis quelques jours, l’automne chancelle devant l’offensive de l’hiver, le 15 novembre marque le passage : – 7°C la nuit, – 2°C le jour. Les opérations ralentissent, le mauvais temps condamne tout mouvement d’envergure. Nous prenons nos quartiers d’hiver dans un tout petit village allemand, sur la frontière est de la Prusse orientale. Le calendrier indique que ce jour est le 27 novembre. Voici deux ans, à un jour près, une soixantaine de Français posaient leurs pieds en URSS, parmi eux 14 pilotes. Trois seulement connaissent la satisfaction de ce premier pas en territoire ennemi.

Le 6 décembre 1944, branle-bas de combat. Des bruits couraient de la visite possible du général de Gaulle, venu à Moscou pour des conversations avec les responsables soviétiques. Dans l’impossibilité de se déplacer, c’est le régiment qui se rend à Moscou par train spécial. Pour autant, le déplacement demandera pas moins de trente-six heures. Réception grandiose à l’ambassade de France, remise de décorations, le fanion de «Normandie» reçoit la croix de la Libération. Cette cérémonie accomplie, le Général se penche sur le Journal de marche que lui présente notre commandant le lieutenant-colonel Pouyade. Sans hésitation, d’une plume ferme, le général de Gaulle trace ces mots :

«Sur la terre russe martyrisée comme la terre française et par le même ennemi,

– le régiment «Normandie», mon Compagnon,

– soutient,- démontre,

– la gloire de la France

C. de GAULLE
Moscou, le 9 décembre 1944

Glorieux bilan

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Sur le front russe, en 1943. Le commandant Tulasne déjeune avec des officiers soviétiques. Il sera tué peu après en combat aérien (Amicale des FAFL).

Le 12 décembre 1944, le régiment reprend le train, destination la Prusse, sans les anciens qui restent quelques jours à Moscou, prélude à un imminent départ pour la France et Paris. De dures batailles dans un climat particulièrement hostile attendent nos camarades. Le thermomètre descendra jusqu’à – 45°C, transformant les Kurisches Haff et les Frisches Haff en patinoire. De nouvelles victoires, mais aussi hélas! des pertes. Enfin sonne l’armistice le 8 mai 1945, célébré le 9 mai en URSS. «Normandie-Niémen», au sacrifice de plus de la moitié de ses pilotes : 42 tués, 3 disparus et 6 blessés graves, devient le premier groupe de chasse français avec 273 victoires aériennes auxquelles s’ajoute un bon nombre de véhicules de tout genre détruits.

En réalité, ce 3 mai 1945, les pertes s’évaluent ainsi : 15 tués, 31 disparus et 6 blessés graves. Parmi les disparus, 3 seulement reviendront d’un séjour dans les geôles allemandes, ce qui en dit long sur le sort réservé à nos camarades tombés en territoire ennemi. Le procès de Nuremberg confirmait nos sentiments. Le commandement allemand nous considérant comme des francs-tireurs réservait à nos malheureux camarades tombés en leurs mains le sort que l’on devine.

Le 20 juin 1945, les 42 Yak’s 3 offerts à la France par le maréchal Staline atterrissent au Bourget où les accueille une foule considérable et pleine d’attentions. Parkings et terrasses ont été envahis. Les Yak’s 3 mourront rapidement de nostalgie; un seul, gardé par le musée de l’Air du Bourget, rappelle que la France fut présente sur le front de l’est du 2 novembre 1942 au 8 mai 1945. Quant à «Normandie-Niémen», il perpétue la tradition sur la base aérienne de Reims (1).

Joseph RISSO
Président de l’Amicale des anciens du «Normandie-Niémen»

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(1) Le lecteur aura noté ici quelques passages peu compréhensibles. Ils figurent dans le texte original et nous n’avons pas cru devoir les modifier (N.D.L.R.).

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 280, quatrième trimestre 1992.