Les parachutistes Français libres du SAS

Les parachutistes Français libres du SAS

Les parachutistes Français libres du SAS

Allocution de Georges Caïtucoli, président national de l’amicale des parachutistes français libres du Special Air Service (SAS), au mémorial de Sennecey-le-Grand, le 4 septembre 1988.

Georges Caïtucoli, président national des Parachutistes Français Libres du “Special Air Service”, a rejoint cette unité en Angleterre en provenance de Rayak.
Chef de stick, parachuté en Saône-et-Loire début août 1944 pour préparer le débarquement du sud, il participe à toutes les opérations de sabotages et d’embuscades sur les voies de communication ennemies.
Cité à l’ordre de l’Armée aérienne, il obtient la médaille militaire et la Military Medal britannique.
Parachuté en Hollande le 7 avril 1945, encerclé, il refuse avec son stick de se rendre. Il est blessé dans le combat qui a suivi. Prisonnier, il est amené au camp spécial de Tarmstedt entre Brême et Hambourg, il s’en évadera deux semaines après, porteur de messages pour le Q.G. du général Montgomery, qu’il remettra au commandant de la VIIIe Armée.
Cité à l’ordre de l’Armée pour cette mission, il a été décoré de la croix de guerre hollandaise.
NDLR


L’année dernière prenant, ici même, la parole par tradition, je vous disais mon vœu, mon espoir de dédier un jour ce Mémorial que nous avions inauguré le 4 septembre 1984, à tous les hommes du “Special Air Service”, à tous ceux qui, exaltés par leur fameuse devise “Qui ose gagne”, ont combattu jusqu’à l’ultime sacrifice.

Aujourd’hui, en lisant, la gorge serrée, ces noms gravés pour toujours en ce lieu, nous, vétérans que seul le hasard a transformés en survivants, car il y a eu, lors de nos combats, tant de balles connues et inconnues qui nous ont manqués, nous que le destin a voulu épargner, nous qui sommes encore là, dernière mémoire de ces temps de guerre, nous revoyons, comme dans un rêve, défiler la cohorte de ceux qui sont morts à nos côtés.

Passant qui demain s’arrêtera ici, enfants de France, enfants de partout si vous saviez quelle foi, quelle force, quelle détermination étaient en eux. Si nous avions pu ajouter sur ces stèles l’âge de chacun, vous auriez découvert que la plupart avaient à peine 20 ans. Vingt ans et une formidable envie de vivre. Cette vie qu’ils ont offerte sans marchander, jusqu’au jour où l’heure de la donner est venue, parce que c’était le prix à payer pour votre liberté d’aujourd’hui.

Alors, sachez qu’ils sont tombés sur tous les fronts, en avant-garde de toutes les offensives, de la Cyrénaïque, la Tripolitaine, la Tunisie, l’Italie, la France, la Belgique, jusqu’à la Hollande pour finir, fiers d’appartenir à cette exceptionnelle unité de combat dont le sigle des trois lettres SAS allait devenir, et ils ne le savaient pas, légendaire grâce à eux.

En revoyant tous ces visages disparus à jamais, en entendant encore le rire merveilleux de certains d’entre eux, je mesure mieux la difficulté d’évoquer pour les jeunes générations, la formidable aventure vécue par cette poignée d’hommes qui, en maintes occasions, fut amenée à se dépasser.

Avec l’humilité dont les survivants ne devraient jamais se départir, je vais essayer de vous dire comment et pourquoi, avec enthousiasme, ils se sont portés volontaires pour l’unité sûrement la moins conventionnelle, la moins classique des armées britanniques qui prit le nom mystérieux de “Special Air Service”.

Tout a commencé en 1941. À l’époque, la Libye et l’Égypte étaient les seuls territoires où forces de l’axe et Alliés s’affrontent dans un va-et-vient d’offensives et de contre-offensives.

Les dernières opérations ont fait que les forces de l’Axe après le recul de la 8e Armée britannique contrôlaient les rives de la méditerranée depuis la Sicile, la Crète, la Grèce au Nord et la Tripolitaine et la Cyrénaïque au Sud.

La Royal Air Force trop lointaine ne pouvant pas protéger les convois allant ou venant de Gibraltar et Malte, ceux-ci étaient voués, sauf par ciel bouché, aux attaques, sans opposition, de la Luftwaffe qui leur infligeait les pertes les plus graves.

L’État-major, très préoccupé par cette situation, avait monté de vastes opérations commandos afin d’attaquer les aérodromes ennemis, tous proches de la zone côtière. Les résultats avaient été décevants, car la participation d’importants effectifs, exigeant une grande synchronisation entre les interventions de chaque arme, terre, mer, air, était tributaire de trop d’éléments extérieurs pour bien fonctionner. Les pertes avaient été sévères, les résultats faibles.

C’est alors que David Stirling, officier écossais des Guards incorporé aux “Specials Forces”, bien connu pour sa détermination et ses idées non conformismes, fit une proposition qui étonna fort le haut commandement. Privilégiant comme toujours les actions individuelles, il suggérait, tenant compte de la situation inquiétante des forces alliées, afin de suppléer l’impossibilité d’interventions de la RAF, de faire attaquer au sol les avions allemands, directement sur leurs aérodromes, par des petits groupes de combat spécialement entraînés, s’infiltrant très loin sur les arrières ennemis.

Après bien des hésitations, les généraux Ritchie et Auchinleck, parce que cela demandait peu de moyens, risquait peu de monde et qu’ils étaient à court de solutions, donnèrent leur accord. Le “Special Air Service” était né. Pour commencer, David Stirling, histoire d’impressionner et bluffer l’ennemi, le qualifia de brigade, alors que son effectif opérationnel ne devait pas atteindre plus de trois cents hommes.

Premières missions, premiers échecs, premières pertes, car il y avait tout à apprendre pour les hommes de la bande à Stirling parfaitement préparés, particulièrement motivés, ne reculant devant aucune audace, mais obligés d’improviser dans l’action même, et dotés de moyens rudimentaires encore mal adaptés à ce type inédit d’opération. Les leçons rapidement tirées, le patron des SAS organisa, avec ses premiers complices, le grand, le formidable Paddy Mayne, Lewes, Fraser, Jellicoë, pour ne citer qu’eux, ses nouvelles missions.

Abandonnant les parachutages qui, de nuit, dans le désert, par des pilotes non formés à ce type d’exercice, avaient provoqué des pertes sans atteindre les objectifs, David Stirling obtint la collaboration d’une autre unité spéciale, le Long Range Desert Group (LRDG), commandée par un officier exceptionnel David Owen. Avec des véhicules divers, il s’infiltrait derrière les lignes ennemies en profitant au sud du front, à hauteur de la vaste dépression d’El Quattara, réputée impraticable, de passages possibles pour ses voitures, qu’il avait découvert. Ses raids permettaient à son unité de pratiquer du sabotage, de provoquer l’insécurité et de ramener des prisonniers. L’accord fut vite trouvé entre Stirling et Owen. Les voitures de ce dernier serviraient de taxi aux SAS en les rapprochant le plus possible de leurs objectifs et, plus tard, de les récupérer, s’il y en avait, à un point de rendez-vous précis.

Effectuées par de petits groupes de quatre à cinq hommes, l’ampleur du succès des premières missions stupéfia l’État-major. Paddy Mayne, début décembre avait détruit 24 avions sur l’aérodrome de Tamet à une centaine de kilomètres des lignes et, y retournant la nuit de noël, il en fit sauter 27. De son côté, Fraser en avait détruit 34 à Agebadia, mais hélas Jack Lewes qui, grâce à sa formation d’ingénieur chimiste, avait mis au point la bombe mi-explosive, mi-incendiaire, placée dans les appareils, y trouva la mort.

Le commandement impressionné, voulant développer ce type d’action favorisa le recrutement nécessaire à la poursuite des missions. Mais former des hommes à de telles aventures exige un long temps. C’est alors que le chef des SAS apprend l’arrivée au camp de Kabret, base des SAS, de la 1ère Compagnie de parachutistes Français Libres pour un stage d’entraînement. Venant d’Angleterre où elle a été formée, elle est commandée par le capitaine Bergé, à qui le général de Gaulle a demandé, dès le mois d’octobre 1940, de former une unité de parachutistes avec des volontaires ayant rejoint l’Angleterre. Ils ne sont que 70, mais tous brevetés, parfaitement entraînés, motivés, et c’est exactement ce que Stirling recherchait ; de son côté, Bergé et ses hommes ne pouvaient espérer mieux pour participer au combat comme ils l’espéraient.

C’est ainsi qu’au printemps 1942, sous le nom de “French Squadron”, la 1ère Compagnie fut intégrée au SAS. Le major fut d’autant plus heureux de cet apport qu’il découvrit que le capitaine Bergé avait déjà effectué une mission en France, se rapprochant de ce qu’il avait lui-même imaginé.

C’est ainsi qu’après un entraînement spécifique complémentaire, les hommes de Bergé, le général de Gaulle ayant donné son accord, sont affiliés au Special Air Service, et après un entraînement spécifique complémentaire dans le désert, ils sont progressivement intégrés à leurs camarades britanniques pour de premières missions. Cela se réalisera, par exemple, en juillet 1942, lorsque David Stirling aura décidé une attaque générale des aérodromes allemands. Des groupes, opérant simultanément, se chargeront des terrains d’envol de la côte libyenne. L’un d’entre eux sera spécialement envoyé par sous-marin en Crète pour attaquer la base de Héraklion d’où décollent les avions spécialisés dans l’interception des convois.

C’est Bergé qui est désigné pour cette mission avec trois Français [Pierre Loestic, Jacques Mouhot, Jack Sibard], un Britannique [Lord Jellicoe] et un Grec [Pétrakis]. Elle sera une formidable réussite. Vingt-et-un appareils détruits ainsi que les dépôts de bombes et de carburant. Mais dans la traque impitoyable qui suivra, l’équipe sera décimée. Loestic qui n’avait que 17 ans sera tué ; Bergé, Sibard et Mouhot seront pris. Ce dernier réussira un formidable exploit. Trois fois il s’évadera des camps allemands, la quatrième fois, l’ennemi ne le reverra plus et, traversant seul, sans aide, l’Allemagne, les Pays Bas, la Belgique, la France et l’Espagne, un an après presque jour pour jour, il rejoindra son unité en Angleterre.

De leur côté, sur la côte, les hommes de Stirling ont, par dizaines, fait sauter les avions de guerre de la Luftwaffe. Si vous saviez, vous qui m’écoutez, que de fabuleux exploits se cachent sous la sécheresse de ces deux lignes de bilan et combien je regrette, le temps m’étant compté, de ne pas pouvoir vous raconter certains d’entre eux. Quelques mois plus tard, Stirling va en réussir un autre exploit qui est devenu légendaire.

Changeant de tactique, il décide de s’équiper en Jeeps sur lesquelles il monte des mitrailleuses Vickers d’aviation à tir rapide, souvent jumelées et complétées par des mitrailleuses lourdes de 12/7 pour leur donner une puissance de feu pouvant faire des ravages.

Avec ces engins il projette tout simplement de se “promener” en territoire ennemi, et, au moment propice, pénétrer en force sur un aérodrome pour tout y détruire. Idée folle, mais “Qui ose gagne”, elle va réussir.

Après un détour par le sud désertique, il remonte cap au nord et, après mille difficultés que je vous laisse imaginer, il est à l’approche du terrain d’envol de Sidi Hanneisch.

La nuit venue, il dispose ses 16 Jeeps en U renversé. Trois d’entre elles ont des équipages français avec à leur tête le capitaine Jordan qui a pris la succession de Bergé, au commandement du “French Squadron”. À 1 heure du matin c’est l’attaque. Elle cloue sur place une défense qui n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Soixante mitrailleuses avançant comme à la parade, crachent la mort sur leur passage et laissent en feu 34 avions de guerre.

Quelle escadrille n’a pas rêvé d’un tel tableau de chasse en quelques instants de combat… Une seule Jeep a été perdue mais dans la poursuite organisée par un ennemi rendu enragé par cette défaite, l’aspirant André Zirnheld succombera à ses blessures. Dans ses papiers, ses camarades trouveront une admirable prière aujourd’hui récitée avec ferveur par tous les paras.