Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

Les réalisations originales de la France Libre

Esquisser la vie de Radio-Brazzaville, c’est écrire l’histoire de la France Libre.0152p14

Ce poste, qui est venu ajouter son nom à la liste des grandes stations internationales, n’existait pas en juin 1940. Parti de presque rien, il a été mis en marche et organisé malgré l’extrême pauvreté des moyens et les difficultés de toute nature, parce qu’il fallait qu’il fût. Son histoire est un peu celle de Brazzaville, cité coloniale de 2.000 Blancs, à laquelle échut l’honneur d’être pendant près de trois ans la capitale de tous les territoires français qui se voulurent libres.

Enfin une voix a été donnée à ce morceau d’empire où fut préservée la flamme de la liberté française. Une poignée de volontaires et de techniciens, dont la bonne volonté était certes plus grande à l’origine que l’expérience, s’est efforcée, pendant trois ans, de faire connaître au monde ce qu’accomplissait la France Libre, d’appeler au combat le reste de l’empire, d’encourager et de soutenir la résistance métropolitaine. Ils savaient que leurs forces étaient bien peu de chose en face d’une pareille entreprise, mais ce qu’ils ont fait dans les limites de leurs moyens mérite d’être dit.

C’est au général de Gaulle que Radio-Brazzaville doit sa naissance. Le chef des Français combattants a fait preuve de la même clairvoyance dans le domaine de la propagande que dans tant d’autres.

«On se bat aujourd’hui avec l’effort, le sang et l’âme des peuples», a-t-il dit. «La stratégie moderne doit être inspirée et dirigée par une politique assez grande, assez humaine pour répondre aux aspirations des masses intéressées.»

Le général de Gaulle comprit que la propagande qui sert cette politique était une arme de guerre de premier ordre. Mais là encore, comme pour l’utilisation des forces aériennes et blindées, le bénéfice de l’initiative avait été laissé à l’ennemi, qui nous montra, de septembre 1939 à juin 1940, quel parti on en pouvait tirer. Les Allemands doivent une bonne part de leur succès dans la bataille de France au pilonnage psychologique exécuté par leur propagande pendant les mois d’inaction.

Cette leçon ne fut pas perdue. La propagande de la France Libre, en raison même des circonstances, devait être avant tout radiophonique; pour le général de Gaulle, la radio était le seul moyen de faire connaître son action à des millions de Français. Le point de départ de la France Libre c’est l’appel qu’il lança à la radio de Londres le 18-Juin 1940, appel qui a été suivi de nombreux autres discours radiodiffusés aussi décisifs, aussi efficaces, nous pouvons même dire aussi victorieux. Pour la première fois la radiophonie a joué un rôle capital dans les destinées d’un peuple.

L’objectif assigné par le général de Gaulle à cette propagande apparaît clairement aujourd’hui; il s’agissait de rendre à la France confiance en elle-même, en lui montrant qu’elle avait été trahie par ses dirigeants, de lui prouver que sa victoire restait pourtant possible en poursuivant la guerre aux côtés des Alliés, de parler en son nom et de sauvegarder ses intérêts vis-à-vis de l’étranger. Pour atteindre cet objectif, la ligne suivante s’imposait : attaquer tout ce qui encourageait la soumission à l’ennemi, c’est-à-dire le régime de Vichy, Pétain, sa contrition et ses jérémiades, Laval et sa collaboration; faire rentrer la France dans la guerre en montrant que les ressources dont disposaient les Alliés rendaient leur victoire certaine en adjurant l’empire de reprendre la lutte, en appuyant la résistance intérieure.

Mais la B.B.C., poste étranger, ne pouvait accorder qu’une hospitalité conditionnelle à l’opinion d’un mouvement indépendant comme celui de la France Combattante. Il était au contraire possible d’établir à Brazzaville, capitale des territoires ralliés, un poste parfaitement indépendant, capable en toutes circonstances d’exprimer le point de vue de la France Combattante. C’est ce qui fut fait dans les circonstances que nous allons rappeler.

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En octobre 1940, le général de Gaulle chargea des journalistes de fonder à Brazzaville un service d’information de la France Libre en Afrique française libre.

Il leur fallait tout d’abord trouver du personnel, recruter une équipe de rédacteurs et de techniciens de la radio et, en attendant de recevoir du personnel qualifié, improviser. Improvisation qui ne sera pas la dernière, comme on le verra. Il fallut d’abord trouver un local pour loger les bureaux et les services, en plus aménager techniquement ce bâtiment, souvent avec des moyens de fortune et cette capacité d’adaptation qui a donné aux Français la réputation de «débrouillards». Il fallut encore recruter le personnel indigène, organiser les studios d’émission, se procurer le matériel indispensable pour les divers services, s’assurer les moyens de transport pour faire la navette entre le service et les studios. Tout se faisait dans l’enthousiasme et dans la hâte car il fallait commencer le plus tôt possible. Le 5 décembre 1940 Radio-Brazzaville commençait son existence régulière. Le 16 décembre 1940, le télégramme suivant était envoyé au général de Gaulle :

«Plan propagande radio maintenant appliqué. Sept émissions quotidiennes dont deux en morse, trois entendues en Afrique du Nord et en Syrie, et deux locales.»

Le service fonctionnait; il ne s’arrêtera plus. Grâce aux circonstances, à la largeur de vue des dirigeants, aux moyens nouveaux mis à sa disposition. Il ira toujours en s’améliorant.

*

Avant de parler du fonctionnement de Radio-Brazzaville, il convient de dire quelques mots de celui qui, presque sans appui officiel, a monté la station locale du Radio-Club. Ce poste à faible puissance a permis aux broussards d’être constamment au courant des nouvelles depuis le mois d’avril 1936, date de sa fondation, jusqu’à l’armistice de juin 1940.

C’est en effet à partir de cette date que M. Boilleau, son fondateur, et le docteur Bizien, rédacteur et speaker, commencèrent à mener le combat pour la France Libre. Aux jours héroïques d’août 1940, ils durent déployer tout leur courage, leur patriotisme et leur astuce pour rallier autour du général de Gaulle tous les hommes de bonne volontés de l’A.E.F. Il s’en fallut de peu que le sinistre Boisson et son comparse Husson ne leur fissent payer de leur liberté la gloire d’avoir voulu rester Français.

Le 28 août 1940, Brazzaville accueillait le général de Larminat, envoyé du général de Gaulle, et c’est la fierté d’hommes comme MM. Boilleau et Bizien, d’avoir par tous les moyens en leur pouvoir, permis que l’Afrique équatoriale française, demeurât le seul territoire français où n’ait jamais flotté qu’un seul drapeau, celui de la France.

Les sources

A première vue, il semble difficile de réunir, en plein cœur de l’Afrique, assez d’informations pour alimenter plusieurs fois par jour un poste de radio et suivre les courants de l’opinion internationale. Mais les ondes ont résolu ce problème. Radio-Brazzaville a rapidement pu rivaliser avec les plus grands postes mondiaux pour l’exactitude et la rapidité de son information. La plus grande partie de cette information nous parvient par nos services d’écoute en phonie et en graphie. Nuit et jour ils déversent sur la table des rédacteurs et des secrétaires un flot continu de nouvelles de toute espèce.

Au début, c’est notre photographe qui chaque nuit écoutait les postes américains et britanniques en prenant des notes et qui reconstituait ensuite le texte de ces émissions. Nous eûmes heureusement la chance de nous assurer dès janvier 1941 les services d’une excellente sténo-dactylographe bilingue, Française habitant l’Union sud-africaine, engagée comme ambulancière dans les Forces françaises libres. A son passage à Brazzaville, elle nous fut affectée provisoirement jusqu’à l’arrivée du nouveau personnel demandé au quartier général de Londres. Ce provisoire dure encore. Le service dispose maintenant d’un personnel suffisant pour capter les principales émissions de la B.B.C., des postes américains, de Radio-Alger, de Radio-Dakar, de la Radio allemande, de Radio-Paris et de Radio-Vichy.

Ces écoutes en phonie sont précieuses aux rédacteurs, non pas tant pour les nouvelles qu’elles contiennent, et qui sont pour la plupart déjà fournies par les dépêches d’agence que nous apportent les écoutes en graphie, que par les indications qui s’en dégagent sur la ligne politique suivie par les différents postes. Elles nous montrent les arguments employés par la propagande vichyste ou allemande et nous mettent en mesure d’y répondre. Elles nous font connaître la façon dont les autres postes, amis ou ennemis, choisissent et présentent leurs informations, ce qui nous permet d’affirmer plus nettement notre position en face de la leur et de retenir aussi certaines suggestions d’ordre pratique sur la forme à donner à nos propres émissions.

Les dépêches d’agence, dont la réception est assurée par notre service d’écoute en graphie, restent notre principale source de nouvelles. À mesure que ce service s’est développé nos informations sont devenues plus rapides, plus complètes et mieux sélectionnées. Leur abondance et leur diversité nous ont permis d’élargir nos perspectives et de déterminer plus sûrement l’importance relative de chaque nouvelle.

À l’origine, l’écoute était assurée au casque par trois radiotélégraphistes des Forces Navales Françaises Libres, et un opérateur européen engagé sur place, qui prenaient le quart à tour de rôle. Ils se servaient d’appareils récepteurs ordinaires qu’il avait fallu transformer pour l’écoute des ondes entretenues du morse.

La qualité de la réception s’améliora d’autre part lorsqu’on put remplacer les appareils ordinaires de phonie par des récepteurs militaires français qui faisaient partie du matériel récupéré de Norvège et qui nous furent envoyés de Londres. Mais le seul moyen d’obtenir des résultats d’écoute vraiment satisfaisants était d’employer des ondulateurs.

Dès novembre 1940, nous demandions au quartier général de Londres de nous faire parvenir ces appareils. La demande fut exécutée; mais sur six ondulateurs expédiés, quatre furent coulés et deux seulement atteignirent Brazzaville en janvier 1941. Un de ces ondulateurs nous fut attribué, l’autre étant destiné aux P.T.T. Cependant, grâce à l’ingéniosité d’un de nos marins radiotélégraphistes, chargé du dépannage et de l’entretien, un autre ondulateur fonctionnait déjà. Il avait été fabriqué avec un vieil appareil trouvé dans le bric-à-brac de la Station de M’Pila, une boîte métallique de cigarettes, un frein de bicyclette et divers autres accessoires hétéroclites. Jusqu’à l’arrivée de quatre nouveaux ondulateurs, en décembre 1942, le service d’écoute en graphie ne disposa que de ces deux appareils.

Le problème du personnel fut réglé d’une façon particulièrement hardie. Il fut décidé, malgré les avertissements des sceptiques, de former des radio-télégraphistes, indigènes. Ainsi fut fondée une école, la seule en A.E.F., où sous la direction d’un Européen, on enseigne aux indigènes à la fois la lecture au son, la lecture de la bande et la dactylographie. Cette école, qui a donné et donne encore d’excellents résultats, attire de nombreux candidats de toute la région, pris parmi les élèves les mieux doués sortis des écoles du gouvernement ou des missions. Il faut en moyenne six à huit mois pour former un lecteur dactylographe correct. Les indigènes font preuve de surprenantes qualités et de grande bonne volonté pour ce genre de travail.

Actuellement, l’écoute en graphie est assurée par des équipes de six à huit opérateurs indigènes, dirigées par un chef d’équipe européen, qui se succèdent nuit et jour par quart. Ces équipes prennent simultanément plusieurs services des grandes agences mondiales.

Nos sources d’information ne se limitent pas aux écoutes en phonie et en graphie. Radio-Brazzaville est en liaison, par Londres et Alger, avec les mouvements de résistance en France qui nous écrivent aussi pour nous donner des suggestions.

Radio-Brazzaville a par ailleurs diffusé en priorité les communiqués publiés par le quartier général du général Leclerc sur les opérations du Fezzan.