Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

Radio-Brazzaville, par Géraud-Jouve

La rédaction

La matière des bulletins ainsi assurée, leur qualité ne dépend plus que des rédacteurs. Des quatre sous-officiers qui assurèrent la rédaction en français pendant les premiers mois, un seul était journaliste de profession avant la guerre. Les trois autres : un docteur en droit chef de contentieux, un ingénieur des travaux publics et un professeur de lettres, se mirent à la tâche avec beaucoup de zèle, d’enthousiasme et de volonté de combattre qui remplacèrent à l’origine l’expérience et le savoir-faire.

Quel est donc le travail du rédacteur? Il consiste essentiellement à lire, choisir et présenter les nouvelles. Ce choix est guidé par certains principes qui correspondent au but qu’on se fixe et qui deviennent à la longue des réflexes intellectuels.

Tout dépend en somme du jugement qu’on porte sur le public. Or nous nous adressons au peuple de France, «pauvre peuple qui de siècle en siècle porte, sans fléchir jamais, le plus lourd fardeau de douleurs. Vieux peuple, auquel l’expérience n’a point arraché ses vices, mais que redresse sans cesse la sève des espoirs nouveaux. Peuple fort, qui, s’il s’étourdit à caresser des chimères, est invincible dès qu’il a su prendre sur lui de les chasser». Notre lourde tâche était de parler à ce peuple au moment où il était en proie à tant de souffrances, et où il faisait preuve de tant d’héroïsme, au moment où il méritait plus que jamais le respect, la confiance et l’amour.

Nous n’avons jamais perdu confiance en lui, même quand il paraissait anéanti par la stupeur de sa défaite; nous l’avons traité en peuple majeur capable de beaucoup plus de courage, de bon sens, de persévérance que ses misérables dirigeants ne l’avaient cru. Nous nous sommes efforcés de réagir contre la politique de l’autruche qui était pratiquée par la radio française avant l’armistice et qui consistait à traiter le public comme un grand malade auquel il faut éviter toute émotion et jusqu’à la moindre contrariété.

Nous avons donc choisi nos nouvelles d’abord en vue de renseigner les Français exactement et complètement, en les tenant à égale distance d’un optimisme béat et d’un défaitisme qui n’a jamais eu cours qu’à Vichy.

Aujourd’hui la France est devenue un véritable théâtre d’opérations et les actes de sabotage, les exécutions de traîtres, la résistance sous toutes ses formes sont autant de communiqués de victoire qu’il nous appartient de diffuser le plus largement possible.

Aujourd’hui enfin, la France revit; elle a un gouvernement, un embryon de Parlement, elle est reconnue par toutes les Nations unies comme une grande puissance dont les malheurs forcent le respect et que sa volonté de renaître ne permet pas de tenir écartée des grands conseils alliés.

Aujourd’hui comme hier, c’est-à-dire en 1944 comme en 1943, 1942, 1941, 1940, 1939, les soldats français, les marins français, les aviateurs français sont présents au combat. La France, la vraie France, n’a jamais abandonné la lutte.

Ce fut et c’est la tâche principale de Radio-Brazzaville de répéter aux Français et au monde entier ce que le général de Gaulle disait en juin 1940 : «La France a perdu une bataille, mais la France n’a pas perdu la guerre».

La diffusion

La diffusion des nouvelles est l’œuvre des speakers. Si l’histoire a connu la «Querelle des Anciens et des Modernes», je crois que notre temps connaîtra la querelle des rédacteurs et des speakers. Car la voix qui charme l’auditeur quand elle est bien timbrée, variée et claire, peut aussi fermer tous les récepteurs du monde si elle est sourde, monotone et hésitante. Aussi le rédacteur qui n’est pas en même temps speaker, ce qui est la plupart du temps le cas, frémit d’entendre son «papier» massacré par un speaker en baisse de forme. Quant au speaker, il trouve que les termes employés ne sont pas assez bien choisis, que la construction n’est pas radiophonique, que la phrase est trop longue.

Ce ne sont là, heureusement, que des plaisanteries courantes entre camarades qui travaillent pour la même cause. Car le speaker met autant de cœur à rendre le papier vivant que le rédacteur en a mis à le faire radiogénique.

Mais si une jolie voix est un don naturel, ce don n’est pas très répandu et nous n’en prendrons pour exemple que le nombre de gens bénévoles que nous avons essayés ici à Radio-Brazzaville. «Il faut en essayer cinquante avant d’en rencontrer un bon.»

*

Pour couper les différents bulletins d’informations, tenir l’audience à l’écoute, sans lasser son attention, il est opportun de diffuser des émissions musicales. C’est en même temps un moyen de répandre dans le monde la culture musicale et de faire connaître les chefs-d’œuvre de la musique française ancienne et moderne, sans en exclure ce qu’on tient à appeler la «musique légère», c’est-à-dire ces chansons, ces mélodies, ces refrains, où tout un peuple épanche ses soucis, révèle ses goûts, fait connaître ses amours sans contrainte et quelquefois sans retenue.

L’émission

Du temps où la station de Brazzaville ne disposait que d’un émetteur de cinq kilowatts, l’influence du poste était limitée par sa puissance. Cependant, dès cette époque nous avons reçu de nombreuses lettres d’auditeurs des États-Unis, d’Angleterre, des pays scandinaves et même de France, celles-là les plus appréciées. Malgré tout ce manque de puissance paralysait en grande partie les efforts des collaborateurs de Radio-Brazzaville.

Aussi, dès la création de la station, l’ambition de ses fondateurs, agissant selon les consignes du général de Gaulle, ce fut de doter Brazzaville d’un émetteur puissant et moderne entendu dans le monde entier.

Dans un excellent article publié par le journal Combat, d’Alger, M. Jacques Soustelle, ancien commissaire national à l’information, en donne la pittoresque description suivante :

«Si, écrit-il, Radio-Brazzaville ou plutôt, pour employer le terme officiel, le Poste national français, était situé, non au Congo, mais en Amérique, en Russie, ou même en Alle-magne, pas un journal n’aurait pu se dispenser d’accabler ses lecteurs de mille précisions techniques entrecoupées d’exclamations admiratives ou envieuses. Ainsi, on n’eut pas manqué d’apprendre aux multitudes que la station de Brazzaville (Texas), dispose de six antennes orientées respectivement vers Paris, l’Amérique du Sud, les États-Unis, le Proche-Orient et Moscou, l’Indochine et Madagascar. On n’aurait laissé ignorer à personne que les antennes de Brazzagrad (U.R.S.S.), sont portées par 24 pylônes mesurant chacun 33 mètres de haut. Nul n’aurait pu décemment ignorer que l’émetteur de Brazzastadt (Allemagne) est un des plus puissants et des plus modernes du monde avec ses 50 kilowatts sur les ondes de 25,6 mètres et de 19 mètres.

«Mais comme il ne s’agit que de Brazzaville (Moyen-Congo), la ville française combattante, on ne s’est guère soucié jusqu’à présent de dire que la France possède là un instrument supérieur à tout ce qu’elle possédait, même avant la guerre, comme émetteur à ondes courtes ».

Ajoutons que cet émetteur, fabrication de la firme américaine R.C.A., après avoir franchi l’Atlantique au nez des sous-marins allemands, a été monté en deux mois grâce au labeur acharné d’un ingénieur américain et de l’ingénieur en chef de la station, Henri Defroyenne, le même qui avait fait du premier Radio-Brazzaville, poste colonial uniquement destiné aux transmissions télégraphiques entre les différentes capitales de l’Afrique Noire, un poste susceptible d’être entendu jusqu’en France.

Laissons à nouveau la parole à M. Jacques Soustelle :

«Dans la salle centrale, le technicien qui contrôle l’émission siège, comme un juge, et comme un pilote, à son bureau d’orgue chargé de cadrans et de molettes. Devant lui, sur la muraille s’étale une mappemonde dont Brazzaville est le centre et que coupent les six faisceaux des ondes dirigées. Au-dessus, une croix de Lorraine.

«Un câble souterrain, long de 3 kilomètres, relie l’émetteur situé dans le quartier de M’Pila, près du Congo, au bâtiment de l’information. Celui-ci est une maison allongée de 156 mètres de façade, entourée d’une véranda.

«C’est là que palpite, au bord du Congo, l’esprit de la France Libre.»

Géraud-Jouve

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 44, janvier 1952.