Le ralliement de Leclerc

Le ralliement de Leclerc

Le ralliement de Leclerc

Leclerc le victorieux

leclerc_dessin
Le général Leclerc (RFL).

La deuxième année, ce fut la guerre.

1939-1940… Les indécisions de la campagne d’hiver, puis le drame rapide, déconcertant de mai et juin, l’héroïsme de tant de soldats inconnus, pire encore : méconnus par l’épithète méprisante et injuste de « drôle de Guerre » inventée par ceux qui ne l’ont pas faite.

La guerre, pour un Français tel que le capitaine de Hauteclocque, c’est l’affaire capitale puisqu’elle est un ensemble d’actes qui engagent la vie et l’honneur. On peut dire qu’il la fit religieusement, c’est-à-dire en y soumettant tout son être, en acceptant toutes les peines, en espérant toute la gloire.

Après s’être battu dans la forêt de la Warndt pendant l’hiver glacial de 1939, il s’installe avec la 4e division au Crotoy. Ses qualités l’ont fait choisir comme chef de bureau des opérations et son sens intransigeant du devoir plus encore que ses responsabilités l’empêchent de profiter de la proximité de Tailly où sont sa femme et ses enfants.

Pendant l’offensive de mai 1940, il se bat en Belgique et il se bat bien, n’étant pas de ceux qui retraitent sans faire du mal à l’ennemi. Mais le recul dégénère en désordre ; il envisage la possibilité d’être prisonnier et il se cabre :

« Vais-je me laisser prendre sans rien ? Prisonnier ? La La nuit suivante, il essaie en vain d’obtenir des vêtements civils chez des paysans ; il prend de force une casquette et un bleu qui fera un piètre déguisement avec son imperméable crotté. Il se débarrasse de ses papiers militaires et emprunte une nouvelle bicyclette qui lui permettra d’atteindre Cambrai, vide d’ennemis.

Il roule hardiment en plein jour et se tape à l’improviste, en bas d’une côte, dans un poste allemand qui le fouille et trouve un papier de comptabilité militaire oublié par mégarde. L’officier allemand prévient son prisonnier qu’en cas de tentative de fuite, les sentinelles tireront.

Le capitaine de Hauteclocque est prisonnier, et s’endort après tant de jours et de nuits sans sommeil.

Le lendemain, une camionnette emmène les prisonniers au quartier général où ils doivent attendre l’interrogatoire. Le sac contenant des documents saisis est bien en évidence dans un coin de la pièce. Trompant la surveillance des sentinelles, le capitaine de Hauteclocque réussit à retirer de ce sac la seule pièce qui établisse sa qualité d’officier, et à la détruire.

Quand le colonel allemand le fait comparaître, il peut prétendre qu’il est civil. Il a 38 ans, six enfants, et est réformé. Méprisant, le colonel allemand libère celui qui allait devenir un des plus redoutables adversaires de son pays.

Pendant quatre jours, ou plutôt pendant quatre nuits, l’évasion continue, et le 4 juin, à bout de forces il rejoint les troupes françaises qui se battent. Avant de lui donner une affectation, le général Frère lui prête une auto pour aller voir sa famille à Tailly puis à Belloy, d’où les Français sont partis et où les Allemands ne sont pas encore arrivés.

Dans le grand château de son enfance, tout le monde fait face gravement à l’invasion. Le comte Adrien de Hauteclocque est assis au haut bout de la grande table de la cuisine ; ses vieux domestiques et tous les paysans qui n’ont pas fui le village sont rassemblés autour du châtelain, retrouvant d’instinct la tradition de nos campagnes toujours menacées depuis des siècles par les invasions barbares et y résistant solidairement.

Le capitaine de Hauteclocque emportera dans l’exil cette haute et magnifique leçon, la dernière que lui donne un père digne d’éduquer un tel fils.situation la plus affreuse. Avec l’autorisation de mon chef j’essaierai d’y échapper. À ma première demande, le colonel répond : « attendez, nous allons voir ». Attendre… attendre… Une demi-heure après, c’est l’attaque directe : « Mon Général, je ne sers plus à rien ici. Je vous demande l’autorisation de tenter ma chance ». « C’est entendu, et je voudrais bien pouvoir faire comme vous », le tout accompagné d’une vigoureuse poignée de main dans laquelle je sens du cœur. Premier résultat, me voilà libre de mes mouvements ».

Dans un camion, le capitaine trouve une boule de pain, plus loin, une bicyclette, il traverse Lille et sort par la porte de Douai, en plein jour. Au bout de 20 kilomètres, il aperçoit des motorisés allemands ; la route n’est plus sûre, il abandonne le vélo dans le fossé et se cache dans un champ de seigle pour attendre la nuit. Il allonge ses jambes exactement dans la direction à suivre pour ne pas se désorienter quand il partira dans le noir. L’obscurité ne dure pas longtemps, de 22 h 30 à 4 heures, et en cinq heures et demie de marche, il faut aller le plus vite possible pour rattraper l’armée française en retraite. Deux fois pendant la première nuit, il se heurte au «Wer da ? » des sentinelles allemandes, mais il sera assez agile pour éviter la balle ou la capture.

Le jour suivant, il reste caché à quelques pas d’un char allemand dont la radio diffuse de la musique assez fort pour qu’il n’en perde pas une note, goûtant le contraste du monstre blindé, arrêté dans la campagne française et émettant insolemment de la musique aux oreilles d’un officier français fugitif et désarmé réduit à s’aplatir sur le sol comme un gibier pourchassé.

Le 8 juin, il est affecté au 2e Groupement Cuirassé : loin d’être abattu par les premières défaites qu’il a vécues depuis un mois, il se conduit comme un héros et agit comme un chef.

Son général, qui fut fait prisonnier par la suite, le jugea ainsi dans un rapport rédigé en captivité, le 14 mai 1941 :

« Le capitaine de Hauteclocque va, du 10 juin au 15 juin 1940, donner la mesure de sa valeur dans des missions du champ de bataille où, à côté de sa modestie ou d’un courage forçant l’admiration, il va surtout s’affirmer en chef d’un grand caractère. J’ai très rarement rencontré un officier de cette envergure et aussi complet, et je suis sûr de servir l’intérêt de l’armée en demandant qu’on le suive et qu’on le pousse, car le capitaine de Hauteclocque a l’étoffe d’un grand chef. »

Le général terminait en proposant le capitaine de Hauteclocque pour le grade d’officier de la Légion d’honneur, à titre exceptionnel. Il ne pouvait pas savoir qu’à ce moment même, son protégé était au Tchad, avait changé de nom et que le colonel Leclerc venait de recevoir du général de Gaulle la croix de la Libération pour avoir pris Koufra et pour avoir « ramené la victoire sous les plis du Drapeau ».

leclerc_velo
Dessin représentant le capitaine Philippe de Hauteclocque pendant son évasion pour rejoindre la France Libre (RFL).

Le 15 juin, il est blessé à la tête et continue à se battre toute la journée, mais le soir, il est évacué sur l’hôpital d’Avallon où les Allemands arrivent le 16. Le 17 au matin, il s’évade de l’hôpital, réussit à prendre dans une maison occupée par l’ennemi des vêtements civils et une bicyclette et pédale vers le sud, la tête enveloppée d’un pansement, pour continuer à se battre.

Il est impossible de traverser la Loire, il remonte à Paris où il entend pour la première fois parler du général de Gaulle et de la France Libre.

Le 26, il se dirige vers la frontière espagnole. En Gironde, il retrouve sa femme, et dans cette ambiance tragique de juin 1940, ils tracent leur destin héroïque. Seule, elle assurera la charge des six enfants ; elle regagnera la Picardie, Tailly, la maison familiale, elle défendra le foyer. Seul, mais soutenu par le magnifique courage de sa famille, il prendra le chemin de l’exil, pour rejoindre la poignée de Français résolus à se battre, envers et contre tout.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 119, juin 1959 (reproduisant l’ouvrage du colonel de Guillebon « Leclerc le victorieux » pp. 27-28-29-30).