L’accueil des combattants par la population libérée d’une commune de Côte-d’Or

L’accueil des combattants par la population libérée d’une commune de Côte-d’Or

13 septembre [1944]. Après avoir pris Nolay et occupé Pomard, que les Allemands, hier, nous ont abandonné sans résistance, nous avons traversé Beaune, et atteint Aloxe-Corton en fin d’après-midi.
L’entrée dans ce haut lieu des vins de Bourgogne s’étant faite sans combat, notre première visite a été pour le maire à qui nous avons demandé d’héberger une ou deux nuits les 120 hommes de la compagnie.
Il a immédiatement convoqué le tambour du village.
En moins d’une demi-heure, une cinquantaine de ses administrés étaient rassemblés devant sa mairie :
« Le capitaine nous demande d’héberger ses soldats ! C’est bien le moins que nous puissions faire pour ceux qui viennent nous libérer. Nous n’avons pas l’habitude d’accueillir des Sénégalais dans nos contrées… Ce sera pour chacun de nous l’occasion de mieux connaître ces gens exotiques.
J’ai invité messieurs les officiers, qui ne sont pas nombreux, à s’adresser au docteur, sa maison est grande, il pourra les loger tous ! Quant aux hommes, j’en recevrai cinq chez moi. Qui me suit ? Qui peut en faire autant ? Qui fait mieux ? »
En quelques instants, nos tirailleurs avaient disparu de la place, enlevés par les gens du patelin […].
Vers 8 h, nous sommes allés, de maison, en maison, remercier les logeurs :
« Entrez, lieutenant, vous allez les voir… Ils ont, d’abord, bien mangé !
– Mais ils avaient déjà mangé à la compagnie !
– Ils ont recommencé de bon appétit. Ils en ont cassé mes fourchettes ! Si la guerre ne coûte pas plus cher que ça, la France se remettra vite. Mais venez les voir… »
L’hôtesse, suivie de son vieux mari, entrouvre doucement, maternellement la porte de la chambre.
Je reconnais, émergeant des draps blancs, M’Baïro et Naguilembaye1 qui vivent la nuit la plus extraordinaire de leur existence. Accueillis dans une maison de Toubabous2… servis à table par des Toubabous ! couchés dans des draps blancs, comme des Toubabous !… et, le saura-t-on jamais…, bordés par la dame de la maison avant de s’endormir ! On en parlera longtemps à Poto-Poto3 de l’accueil d’Aloxe-Corton !

Ouvrage

Henri Beaugé, 20 ans en 1940 : Chroniques de guerre d’un Français Libre (18 juin 1940-8 mai 1945), Les éditions du Cerf, 2012, pages 234-235.

Auteur

Dans ces notes, Henri Beaugé, lieutenant de 24 ans dans un bataillon de marche de la 1re division française libre, débarquée le 16 août en Provence, décrit l’accueil de sa section de tirailleurs noirs par les habitants d’une commune bourguignonne, en septembre 1944.
1) Tirailleurs tchadiens.
2) Blancs.
3) Ancien quartier populaire de Brazzaville.