Le Comité de la France Libre du Congo belge

Le Comité de la France Libre du Congo belge

Le Comité de la France Libre du Congo belge

Pour bien comprendre l’action de ce Comité de Léopoldville, à partir de 1940, il faut remonter jusqu’en 1932.
Au début de cette année, en effet, fut fondée, à Léopoldville, l’Amicale française du Congo belge dont le président-fondateur était le docteur André Staub, installé à Léopoldville depuis dix ans.
Cette Amicale déploya aussitôt une grande activité, un de ses buts les plus précieux étant de cultiver l’amitié franco-belge, et aussi de représenter officieusement l’Alliance française à Léopoldville.
Dès que la guerre éclata en 1939, la salle de réunion de l’Amicale fut transformée en ouvroir où une centaine de dames et de jeunes filles travaillaient, sans relâche, pour la Croix-Rouge française, sous la direction de Mme André Staub.
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Le Dr. André Staub (RFL).

Le 4 mai 1940, une grande fête de charité fut organisée à la Maison de France au profit des œuvres françaises et alliées, avec la participation des autorités et des habitants de Brazzaville et de Léopoldville : le président, le docteur Staub, s’était, en effet, créé à Brazzaville des relations et des amitiés, d’autant plus solides, que, tout en assurant son service à Léopoldville et au consulat, il avait été chargé au début de la guerre du service de chirurgie à l’hôpital général de Brazzaville.

Et c’est ainsi que se déroula à Léopoldville, le 15 juin 1940, une grandiose manifestation interalliée, à laquelle avait été convié le gouverneur général Boisson, venu spécialement de Brazzaville. Il prononça à cette occasion, à la radio de Léopoldville, une allocution où il affirmait sa conviction dans la victoire finale, « car pour l’obtenir, disait-il, la France et ses Alliés lutteraient jusqu’au bout ».
Après la signature de l’armistice entre la France et l’Allemagne, accueilli avec douleur, et après l’Appel du 18-Juin, le gouverneur général Boisson continua à entretenir l’équivoque en invitant l’A.E.F. à ne rien précipiter et à attendre (allocution radiodiffusée le 28 juin).
Et il partit pour Dakar, mais son départ n’avait pas trompé le général Sicé qui – à Brazzaville – tenait secrètement mais avec vigueur le flambeau de la Résistance. L’arrivée du général Husson, venu remplacer le gouverneur général Boisson, ne le prit pas au dépourvu, ni lui, ni ceux qui autour de lui préparaient la lutte : le commandant Delange, Balme, Gérard, etc., et le docteur Staub à Léopoldville.
Bien que, déjà, beaucoup de Belges et de Français – perdant patience – allaient rejoindre l’armée britannique en campagne au Kenya, ces hommes restaient sur place – espérant encore que tout n’avait pas été dit.
«La saison sèche au Stanley Pool avançait tout doucement et le 19 août 1940, à 16 heures – raconte le docteur Staub – les résidents de Léopoldville furent vivement intrigués par les évolutions impressionnantes, au-dessus de la capitale, d’un magnifique hydravion aux couleurs britanniques. Il s’agissait d’un appareil des Imperial Airways, procédant à un vol d’essai, qui devait rester quelques jours dans les eaux congolaises, puis reprendre son vol à une date indéterminée, pour une destination encore inconnue. À son bord se trouvait M. Percy 0. Harris, attaché au gouvernement du Nigeria, qui venait conférer avec le consul général britannique, M. Joint. Mais il y avait aussi le « colonel d’Entraigues » et le général Sicé m’avait prévenu qu’en réalité, il s’agissait d’un envoyé du général de Gaulle. Je me mis immédiatement à sa disposition, signalai la présence du colonel d’Ornano qui avait passé le Pool, avec armes et bagages, depuis quelques jours.
«Le colonel d’Entraigues, qui reprenait son nom de colonel de Larminat, envoyait le 22 août 1940, par le grand hydravion qui l’avait amené, le colonel d’Ornano, vers Lagos et vers le Tchad pour y déclencher le mouvement de la Libération.
« Ce fut alors le 26 août le ralliement du gouverneur Éboué avec le Tchad, le 27, le Cameroun avec Leclerc, et le 28, le colonel de Larminat – nommé le jour même général par le général de Gaulle – faisait une entrée triomphale à Brazzaville.
«À Léopoldville, comme partout, les opinions étaient divisées, mais la grande partie de nos compatriotes de l’Amicale française s’étaient rangés aux côtés du général de Gaulle, et le 28, dès que la nouvelle du ralliement de Brazzaville fut connue, l’Amicale française fut dans les premiers à hisser sur sa maison le drapeau tricolore à la croix de Lorraine.
«Ce qui provoqua aussitôt de la part du consul de France, M. Maigret, une violente réaction : il m’appela au téléphone et la conversation suivante s’engagea :
«Comment, vous, le président de l’Amicale française, reconnu le premier citoyen de la colonie française, vous avez autorisé d’arborer la croix de Lorraine à la Maison de France ? N’oubliez pas que vous avez deux enfants en France et que le gouvernement les prendra comme otages, si je signale votre rébellion contre notre gouvernement.»
«– Monsieur le Consul, lui répondis-je, j’ai bien enregistré votre déclaration et je tiens à vous dire que c’est justement parce qu’on m’a reconnu au Congo belge, après vous-même, la première place parmi les Français – que j’estime de mon devoir de mettre tout ce que je possède à la disposition de celui qui veut libérer notre Patrie et nous redonner l’indépendance. Quant à ce que vous dites au sujet de mes enfants, notez bien ceci, j’ai pris acte de votre déclaration et quoi qu’il arrive à l’un d’eux, c’est vous que j’en tiendrai responsable et je vous retrouverai, devrais-je y consacrer vie et fortune…»
Par son ralliement au mouvement de libération nationale du général de Gaulle, l’Amicale française constituait de ce fait, « Le Comité local de la France Libre à Léopoldville ».
Toutes les œuvres, qu’elle dirigeait, passaient immédiatement et intégralement à ce Comité et l’ouvroir continuait à travailler, mais pour la France Libre – et pour ses combattants qui arrivaient et se rassemblaient de plus en plus nombreux à Brazzaville. Cette période fut d’autant plus difficile pour les finances que les besoins augmentaient sans cesse, aussi il ne se passa pas une semaine où il n’y eut de recette provenant de fêtes, de matches de football, ou autres manifestations où la France Libre avait sa part.
Les anciens combattants belges furent d’un grand secours au Comité de la France Libre, aussi le 15 septembre 1940, lorsqu’ils décidèrent d’aller faire une visite officielle à Brazzaville au général de Larminat, notre Comité se joignit à eux en bloc pour aller saluer le nouveau chef de l’A.E.F.
Cependant, fin septembre, un appel pressant de la Croix-Rouge française nous signala la détresse des prisonniers de guerre en Allemagne et de nos compatriotes qui subissaient en France les rigueurs de l’occupation nazie. Notre Comité organisa aussitôt une souscription à travers le Congo belge, et le produit fut remis à la Croix-Rouge suisse pour être transmis à la Croix-Rouge française.
Nous nous préparions à recevoir le chef de la France Libre.
Déjà le 15 août 1940, au milieu d’un enthousiasme général, 160 combattants des F.F.L. arrivèrent en gare de Brazzaville. Beaucoup de Léopoldvillois, Français et Belges s’y rendirent pour les acclamer car on savait que, parmi ces volontaires, se trouvaient une trentaine de Belges qui n’avaient pas voulu cesser le combat, et qui, pour rallier l’Angleterre, s’étaient embarqués à Dunkerque lors de l’évacuation.
Le même jour, arrivant à Douala, le général de Gaulle envoyait au gouverneur général du Congo belge un télégramme de fidèle amitié et, quelques jours plus tard, le 23 octobre, le général de Gaulle arrivait à Brazzaville. Le 27, il rendit visite à Léopoldville, salué par les anciens combattants belges et français et une salve de 21 coups de canon au milieu d’un enthousiasme indescriptible, et d’une profonde émotion, qui éclata – comme l’écrivait le rédacteur du Courrier d’Afrique – lorsque, accueillant le général de Gaulle, en tant que président de l’Amicale, j’évoquai mon Alsace natale, livrée à Hitler par un gouvernement qui n’est pas et ne saurait pas être un gouvernement français.
C’est de Léopoldville, au poste de Radio Congo belge, que le jour de sa visite le général de Gaulle annonça la création du « Conseil de défense de l’Empire ».
Le lendemain, le général de Gaulle envoya une lettre de remerciements pour son accueil à l’Amicale française, dans laquelle, faisant allusion à mes propos, il écrivait : « Du courage, l’Alsace nous reviendra avec toute la France. »
Cette visite du général de Gaulle accentua le ralliement des Français résidant au Congo belge, sauf à Stanleyville en raison de la présence de Mgr Grison, condisciple du maréchal Pétain : éminente personnalité qui devait rallier plus tard.
En décembre 1940, le capitaine de frégate Thierry d’Argenlieu, de passage à Brazzaville, fut convié à venir faire une conférence à la Maison de France à Léopoldville : cette conférence eut lieu le 14 décembre, à 20 h 15, elle fut radiodiffusée sur les ondes de Radio Congo belge : elle représente une date importante dans la vie de notre Comité.
Après avoir précisé la position des Français Libres vis-à-vis de la Belgique et de son roi, l’orateur exposa comment à ses yeux il fallait parler à nos compatriotes pour leur faire comprendre ce qui séparait les Français Libres de ceux qui restaient fidèles à Vichy :
« Ces choses sont très simples, il suffit de poser la question : oui ou non, avez-vous accepté cet armistice sans honneur ? Si vous l’avez accepté je n’ai rien à vous dire, car pour discuter avec quelqu’un il faut s’entendre sur les prémices. Mais si vous hésitez, si vous condamnez ou si vous blâmez cet armistice, sachez donc vous recueillir en vous-même et réveiller ces énergies françaises et petit à petit vous comprendrez la voie du devoir pour vous et vous vous rallierez au général de Gaulle… »
Ces paroles firent une grande impression chez ceux qui les entendirent ou les lurent, et elles me servirent plus tard quand, sur l’ordre du général de Gaulle, je fis un voyage circulaire au Congo belge ; car à partir de fin janvier 1941, j’avais été nommé officiellement représentant de la F.L. dans ce pays.
Arrivant donc à Stanleyville en mai 1941, je demandai à mon ami le vicaire apostolique : Mgr Verfaille, successeur de Mgr Grison, de m’introduire auprès de ce dernier, qui avait pris sa retraite… À notre arrivée, je le saluai en ces termes :
« Monseigneur, un Français de passage vient présenter ses hommages respectueux à un compatriote qui, pendant plus de quarante ans au Congo belge, par sa vie, par ses gestes, par ses œuvres, a travaillé pour le prestige de la France. Du reste, je ne suis pas un inconnu pour vous, car, au moment de la création de l’Amicale française, nous avons échangé des lettres. »
«– Oui, répondit Mgr Grison, c’est exact, mais dans les derniers temps je ne vous ai pas répondu, ne partageant pas vos opinions, étant moi-même condisciple du maréchal Pétain. »
Or, les jours précédents, Vichy venait de livrer à l’Allemagne les bases d’aviation en Syrie, et rappelant à Mgr Grison les propos tenus par le commandant Thierry d’Argenlieu, lors de sa conférence, je lui demandai s’il considérait que ce qui venait de se passer la veille et l’avant-veille en Syrie était compatible avec ce qu’il savait de son ancien condisciple ; lorsque je le quittai, il me dit : « Eh bien, Docteur, je vous remercie de votre visite, et vous me laissez très ébranlé. »
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28 octobre 1940 : lettre du général de Gaulle au docteur Staub (RFL).

Et quelques semaines plus tard, je devais rencontrer le général de Gaulle à Stanleyville le 15 juillet, mais retardé par une panne, je ne pus y arriver que le 17, après le départ du général ; mais quelle fut ma surprise de me voir accueilli par M. Brunet et M. Samzun qui, sans même me saluer, m’informèrent que le jour de l’arrivée du général de Gaulle, un vieillard en soutane épiscopale descendit de voiture et s’approchant du général, chapeau bas, lui dit à très haute voix, devant la foule assemblée :

« Mon Général, je suis sur mon chemin de Damas, il y a quelque temps je n’étais pas pour la France Libre, mais j’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours et je viens vous faire ma soumission et vous reconnaître comme chef, car je sais aujourd’hui que vous défendez la bonne cause. »
Un frisson parcourut l’auditoire, l’impression fut immense à Stanleyville où tous, noirs et blancs, vénéraient Mgr Grison, et où désormais toute trace d’opposition à la France Libre avait disparu ; je ne manquai évidemment pas de lui rendre visite et c’est les larmes aux yeux qu’il me remercia de l’avoir aidé à voir clair.
De par sa situation à proximité de Brazzaville, notre Comité eut la faveur de recevoir le gouverneur général Éboué et Madame, le 9 février 1941, le général Legentilhomme le 3 octobre 1941 ; le professeur Cassin, le 23 février 1942 ; le contre-amiral Auboyneau, le colonel Valin, le 3 novembre 1942, etc., chaque visite étant l’occasion d’une conférence ou d’une réception venant servir notre cause.
Parmi les nombreuses manifestations du Souvenir qui furent organisées, il convient de rappeler les cinq minutes de silence du 1er novembre 1941 pour les fusillés de Nantes et de Bordeaux, le début et la fin de ces minutes de recueillement furent annoncés par les sirènes des usines de la localité.
Jusqu’en 1944, toute la production de l’Ouvroir de notre Comité fut acheminée aux F.F.L. ; les produits de nos collectes envoyés à Londres, et plus spécialement le produit de la souscription ouverte « Pour un avion sanitaire pour les F.F.L. à Brazzaville », pour répondre au désir exprimé par le général de Gaulle auquel avait été demandé de quelle façon le Comité de la F.L. à Léopoldville pouvait le mieux servir les intérêts de la France Libre.
Notre propagande fut assurée par des émissions radiophoniques, des expositions photographiques, des projections cinématographiques, etc.
Il est certain que – comme cela se produisit ans la plupart des Comités de la F.F.L. à l’étranger – la manifestation qui atteignit le plus grand succès dans le maximum d’enthousiasme fut celle organisée à l’occasion de la libération de Paris, dès que la nouvelle en fut connue.
Avec la participation des musiques militaires et de la police, au milieu d’un immense concours de la population, cette fête avait à Léopoldville une signification particulière, car la Libération de Paris était aux yeux de tous et de nos alliés les Belges plus spécialement, l’aurore de la libération de Bruxelles.

D’après la relation du Dr Staub

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 126, juin 1960.