De Gaulle-Roosevelt: les vicissitudes d’une alliance transatlantique

De Gaulle-Roosevelt: les vicissitudes d’une alliance transatlantique

De Gaulle-Roosevelt: les vicissitudes d’une alliance transatlantique

Lorsque le 18 juin 1940, le général De Gaulle décide de continuer la guerre au nom de la France à partir du territoire anglais, un écueil le guette lui et le mouvement qu’il s’apprête à mettre en place : devenir le chef d’une force d’appoint française vouée à ne jamais s’affirmer politiquement.

La France Libre a mauvaise presse en Amérique qui lui préfère Vichy, quelles que soient les conséquences morales de ce choix. De Gaulle ne cède cependant jamais à la tentation d’une intransigeance oublieuse des nécessités de la politique. Lorsque ses relations se tendent avec Londres à cause de rivalités locales, il se tourne vers Washington pour lui offrir son concours. Les aérodromes d’Afrique et ses ressources en homme appuient matériellement ses démarches. Ces tentatives datent d’avant l’entrée en guerre de l’Amérique. Le 19 mai 1941, le Général s’adresse à son proche collaborateur René Pleven : “Étant donné l’attitude presque belligérante des États-Unis, le moment est venu pour nous d’organiser nos relations avec l’Amérique. Je vous confie personnellement cette mission.” Le travail de Pleven doit être discret par rapport à l’Angleterre.

En juin, De Gaulle qui se trouve au Caire, fait porter au consul général des États-Unis un aide mémoire, qui en insistant sur la situation précaire de l’Angleterre face à une attaque allemande, offre l’AEF, où le gaullisme a triomphé, comme base arrière à l’aviation américaine. La signification de l’acte est double : d’une part le Général fait participer à la guerre un territoire français, afin de mettre «la France dans la guerre», et d’autre part il se pose en interlocuteur indépendant de la première puissance industrielle du monde, il tente de s’imposer comme membre à part entière du «club des Grands». Le refus de l’offre par Washington est dû également à deux raisons : l’hostilité personnelle de Franklin Roosevelt à de Gaulle et l’espoir de voir Weygand livrer sans combat l’Afrique du Nord à l’armée américaine. Parallèlement à cette diplomatie du court terme, de Gaulle tente avec la mission Pleven d’imposer la France Libre comme gouvernement légitime de la France, aux États-Unis. Il s’agit de conquérir à la fois l’establishment politique américain et l’opinion publique, c’est-à-dire la presse.

René Pleven est l’homme de la situation. Grand connaisseur des États-Unis, homme d’affaires et souple négociateur, il atténue l’image de raideur du général De Gaulle. En dépit de la méfiance à l’égard de la France Libre du State Department (ministère des Affaires étrangères) et des diplomates influents que sont Cordell Hull et Summer Welles, Pleven rencontre de la compréhension chez le conseiller présidentiel Henry Morgenthau. Le secrétariat à la Guerre est également sensible à ses arguments. La cause de la France Libre trouve enfin un certain appui médiatique avec le New York Herald Tribune. La mission Pleven aboutit à une triple offre américaine de collaboration sanitaire avec la Croix-Rouge : intégration de Pleven en tant qu'”expert” français à des débats interalliés ; et envoi d’un observateur en Afrique. De Gaulle, méfiant devant le caractère peu politique de l’offre, n’accepte que ce dernier point.

En août 1941, est signée la «Charte de l’Atlantique» entre Roosevelt et Churchill. Le Premier ministre de l’empire britannique doit s’accommoder du caractère formellement anticolonialiste de celle-ci. De Gaulle réagit avec froideur, s’indignant de l’absence de la France à la signature d’un tel accord, et refusant l’idée «d’un non-agrandissement territorial» après la victoire. Pour manquer de souplesse, sa réaction est néanmoins confidentielle. Pleven continue à marquer des points. Après une conférence de presse du Secrétariat d’État Cordell Hull le 5 septembre, favorable à la reconnaissance du mouvement gaulliste, des relations presque officielles avec la France Libre sont envisagées. De Gaulle choisit le syndicaliste Adrien Tixier pour le représenter à Washington contre l’industriel Adrien Boegner. Ce choix n’est pas des plus habiles compte tenu des milieux d’affaires auprès de la Maison Blanche. Le 1er octobre, René Pleven est néanmoins reçu par le ministre d’État adjoint Summer Welles qui offre quelques maigres garanties. Le 11 novembre 1941, la France Libre est associée au crédit illimité que représente la loi de «prêt-bail» américaine sur la livraison d’armement. Le colonel Cunnigham et l’ancien ambassadeur en France Laurence Taylor se rendent en AEF comme observateurs américains auprès de l’administration gaulliste. Cela soulève l’indignation de Vichy et de son représentant en Afrique du Nord, Weygand. L’ambassadeur de Roosevelt auprès de Pétain, l’amiral Leahy, s’inquiète aussi du rapprochement de plus en plus évident entre Vichy et l’Allemagne.

Mais le choix de la Maison Blanche reste Vichy, et Pétain bénéficie toujours d’un grand crédit auprès du Président. La révocation de Weygand, les choix nettement pro allemands de Darlan, n’influencent en rien Roosevelt en faveur de De Gaulle. Au contraire, ménager Vichy pour l’amener dans le giron américain reste la ligne de conduite. Les progrès de la mission Pleven sont stoppés lors du rappel de Cunnigham par Washington. L’entrée en guerre des États-Unis le 7 décembre 1941 ne modifie pas la diplomatie américaine à l’égard de la France. Le 29 janvier, le provichysme de Washington est confirmé par le secrétaire d’État Cordell Hull dans un entretien avec Adrien Tixier devenu représentant de De Gaulle à Washington.

Par la suite, aussi bien dans l’affaire d’Afrique du Nord que jusqu’à la mort du président Roosevelt, l’administration américaine fera son possible pour écarter De Gaulle et la France Libre. Les Français d’Amérique influents auprès du secrétariat d’État, tels Jean Monnet ou Alexis Léger, seront toujours hostiles à la personne du Général et maintiendront Roosevelt dans ses préventions. On a beaucoup parlé de l’anticolonialisme américain et de la méfiance toute démocratique devant le pouvoir personnel du général De Gaulle. Ces éléments ont certes leur rôle à jouer mais il faut peut-être expliquer la méfiance américaine par des intérêts plus immédiatement pragmatiques. Une France rétablie dans sa puissance, associée à la victoire alliée, peut en effet paraître gênante dans le jeu européen des États-Unis.

Ainsi tous les efforts américains qu’entreprend la diplomatie de la France Libre, portent-ils sur la reconnaissance d’une légitimité française et d’une souveraineté intacte. Il est en revanche normal que les États-Unis cherchent des interlocuteurs auprès du pouvoir français le moins souverain, ainsi auprès de Weygand, de Darlan, quand il ne s’agit pas de simples militaires sans aucune légitimité politique, comme Giraud. Le projet AMGOT prend la suite de l’échec des «expédients provisoires».

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