Les évadés de Carantec-La Penze

Les évadés de Carantec-La Penze

Les évadés de Carantec-La Penze

Une page de l’histoire maritime de Carantec

« Carantec et le Pont-de-la-Corde peuvent s’enorgueillir de détenir le record des évasions vers l’Angleterre durant les années sombres de la défaite. » C’est ce qu’écrit l’historien anglais Richard Brooks dans son ouvrage « Secret Flotillas » consacré aux liaisons maritimes entre l’Angleterre et la France occupée durant la dernière guerre. Il fait référence aux très nombreuses évasions réalisées entre 1940 et 1944 grâce au réseau Sibiril-Gueguen. Près de 200 volontaires français, aviateurs alliés, militaires britanniques ont pu reprendre le combat de libération grâce à l’initiative et au courage d’Ernest Sibiril de Carantec et de Jacques Gueguen du Pont-de-la-Corde assistés de leur proche entourage.
Dès juin 1940, Jacques Gueguen, 65 ans à l’époque, ancien compagnon de Charcot, va entreprendre avec son Pourquoi pas, sablier de 8,40 m, trois allers et retours à Jersey, puis un aller et retour vers l’Angleterre pour y amener des retardataires de l’armée britannique et des volontaires français. Dès cette époque, il bénéficie de l’assistance d’Ernest Sibiril. Ce dernier organisera l’évasion de J. Gueguen menacé d’arrestation par les Allemands, et de son fils François, à bord de l’André cotre de 7 mètres, dans la nuit du 10 février 1942. L’André et ses quatre passagers atteindront Fowey sains et saufs après une traversée de 26 heures par très mauvais temps. Cette première sera suivie de 14 autres.

Le rôle du réseau Sibiril

Les autorités allemandes ayant recensé tous les bateaux en état de naviguer et désigné leurs propriétaires comme otages, il s’agissait pour les Sibiril de trouver des bateaux mis au rancart, de les restaurer et de les équiper, voiles et moteurs, pour qu’ils soient en état de naviguer. Dans un cas, le Requin, le bateau a été construit spécialement pour le chantier Sibiril. Il leur a fallu aussi héberger et nourrir, à l’époque ce n’était pas simple, les évadés en attente de départ.
Échappant de peu à une arrestation par la Gestapo le dimanche 18 juillet 1943, Ernest Sibiril entre dans la clandestinité avec sa famille. Il partira avec son frère Léon le 31 octobre 1943 vers Plymouth. L’Amity d’Armand Léon clôturera cette série impressionnante le 14 février 1944. Tous ces bateaux, longs de 5 à 6 mètres pour la plupart, rejoindront sains et saufs, souvent dans des conditions très difficiles, les ports de Cornouailles ou du Devon, de Newlin à Salcombe.
Parmi ces évadés figuraient quelque 66 Carantécois et six aviateurs alliés. Tout cela ne put se faire et durer que grâce à la discrétion complice des Carantécois.
On connaît le nom des passagers des 15 bateaux qui quittèrent Carantec entre le 4 juillet 1940 et le 6 février 1944.
En voici la liste :
Le POURQUOI PAS, sablier de 8,50 mètres, parti le 4 juillet 1940, avec 32 évadés, arrivé à Plymouth après 31 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jacques Gueguen : François Colin, Joseph Tous, Jean Morvan, Jean Daniélou, Michel Le Saout, François Laurent, Jean Erlan, Maurice Guegant, André Le Roux, Jean Le Saout, Jean Moal, François Queguiner, Robert Deniel, Jean Gallou, Jean Crenn, Fernand Simon, Louis Le Saout, Francis Moysan, Yves Marzin, Louis Queau, Louis Créach, Jean Cabioch, Pierre Le Fer, Auguste Coarec, Joseph Quéré, Pierre Faucon, Yves L Guellec, Mathurin Abejean, Georges Daniélou, Jacques Malgorin, Alain Quéré et Marcel Le Fur en étaient les passagers.
L’ANDRÉ, cotre de 7 mètres, parti le 10 février 1942, avec quatre évadés, par une forte tempête, arrivé à Fowey après 26 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jacques Gueguen : Bruley des Varannes, François Gueguen et Van Hacher (Belgique) étaient à bord. La MONIQUE, cotre de 5,90 mètres, parti le 20 juillet 1942, avec cinq évadés, par une météo bonne, arrivé à Plymouth après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés ; le bateau était commandé par Alain Beauge : La Forêt et Charles l’accompagnaient. Il manque le nom de deux autres évadés volontaires pour la France Libre.
L’YVONNE, cotre de 6 mètres, parti le 5 février 1943, avec 11 évadés, par une mer forte, vent force 6/7, arrivé à Salcombe. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliées. Le bateau était commandé par Jean Rivial : Jean-Batiste Allard, Albert Billard, Christian Billet, René Bolloré, Georges Coste, Claude De Laguiche, Mark Dermott, Roger Esperonnier, Reginald Smith et Sabastian Vogel firent la traversée.
Le S’ILS TE MORDENT, cotre de 7 mètres, parti le 6 mars 1943, avec neuf évadés, par une mer forte, arrivé à Plymouth après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jacques Gueguen : Gwenaël Bolloré, Etienne Couillou, Bertrand du Pouget, Michel Fourquet, Robert Guiader, Marcel Jassaud, Martin, Valentin Souflez et Marc Thube étaient du voyage.
Le JEAN, goémonier de 6,50 mètres, parti le 29 mars 1943, avec 18 évadés, par une mer très forte, vent de force 8/9, arrivé à Salcombe après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jean Gestalin : Jean Bodolec, Joseph Boulic, Yves Cadiou, Lucienne Cloarec, Jean Donval, Marcel Donval, François Hélias, François Hémon, Louis Kernanec, Roger Marec, Ernest Moriaty, Jean Person, Alex Priac, François Prigent, Guillaume Rivoal, Jean Jourdren et un imprimeur clandestin du Havre étaient à bord.
LA JEANNE, cotre de 4,9 mètres, parti le 4 avril 1943, avec quatre évadés, par météo bonne, arrivé à Plymouth après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jean Jourdren accompagné de Maryvonne Jégot et deux autres volontaires pour la France Libre dont les noms manquent.
Le RED ATAO, cotre de 5,60 mètres, parti le 28 avril 1943, avec cinq évadés, par mer formée, vent force 6/7, arrivé à Plymouth après 24 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jean-Pierre Mercier : Jean Braouezec, Henri de Bire, Yves Gourvil, Jean-Pierre Mercier et Gérard Marcier firent la traversée.
Le TOR E BENN, cotre de 6,70 mètres, parti le 11 mai 1943, avec 12 évadés, par vent frais de sud, arrivé à Penzance après 22 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Jean Péron : Charles Christian, Gilles Cochard, Roger Delaye, Louis Herledan, Jean Jourdren, Louis Jourdren, Paul Krebel, René Le Boeuette, Jean Le Men, Jean Le Page, Robert Roussillat et Jean Tricaud étaient ses passagers.
Le METEOR, cotre de 6 mètres, parti le 29 mai 1943, avec 13 évadés, par une météo moyenne, arrivé à Plymouth après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Émile Léon : Chauvin, Yvan Clech, Jacques Crouan, Émile Jegou, Raymond Kerrien, Michel Le Gouer, Émile Léon, Yvonne Pétrement, Harold Tilbury et trois élèves de Saint-Cyr, volontaires pour la France Libre dont manquent les noms (1).
Le KERMOR, cotre de 5,6 mètres, parti le 29 mai 1943, avec dix évadés, en même temps que le Météor, par une météo moyenne, arrivé à Plymouth après 23 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par André L’Hour : Jean Donnard, Adolphe Hamonaou, Paul Le Dises, Maurice Le Gall, Jean Léon, Robert Meudec, Robert Moguerou, Ambroise Morizur et Jean Pleyber.
Le SAINT-YVES, sablier de 13 mètres, parti le 7 juin 1943, avec 24 évadés, par vent de sud ouest et brume, arrivé à Fowey après 28 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Olivier Le Borgne : Bataille, Alain Cledic, Bertrand de Keratem, Louis Galliou, Olivier Guivarch, Alain Herry, Pierre Herry, Jacques Jamet, Jean Kerleroux, Albert Kéroulé, Pierre Le Duc, Ernest Léon, Charles Mériadec, François Moguerou, Didier Paugam, Félix Perrin, Gervais Person, René Person et Hervé Quéré. Il manque le nom de sept autres évadés volontaires pour la France Libre.
L’ARMORIK, cotre de 5,75 mètres, parti une première fois le 17 juillet 1943, avec 13 évadés, puis une seconde fois le 23 juillet 1943 avec trois évadés par mer avec des grains, puis temps maniable au deuxième passage, arrivé à Plymouth. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Première traversée, le bateau est commandé par Jean Kerrien, accompagné d’André Moguerou et de Jean Pirou.
Le PIRATE, goémonier de 6,50 mètres, parti le 23 juillet 1943, avec sept évadés, par météo calme et brume, arrivé à Penzance après 26 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Louis Le Ven : Marcel Diguier, Roger Le Prêtre, Étienne Le Ven, Jean Le Ven, Joseph Le Ven et Alexandre Le Ven firent la traversée.
Le REQUIN, cotre de 5,80 mètres, parti le 31 octobre 1943, avec huit évadés, par vent de sud-ouest force 5/6 avec houle, arrivé à Plymouth après 21 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour les services secrets alliés. Le bateau était commandé par Ernest Sibiril : Paul Daniel, Paul Fleuriot, Charles Guizen, Lancien, Jean Queguiner, Léon Sibiril et Georges Wood arrivèrent en Grande-Bretagne.
L’AMITY, goémonier de 6,75 mètres, parti le 14 février 1944, avec 22 évadés, par vent fort de sud et grosse houle, arrivé à Falmouth après 22 heures de navigation. Il transportait des documents et du courrier pour la France Libre. Le bateau était commandé par Léon Armand : André Breton, André Dachelet, Ernest Daniel, Eugène Daniel, Louis Daniel, Paul Daniel, André Derrien, Louis Kerrien, Auguste Le Cloître, Armand Léon, Robert Léon, François L’Hour, Jean L’Hour, Jacques L’Hour, Marcel Merret, Yves Meudec, François Nicolas, Jean Nicolas, Jean Pailler, Guillaume Paugam, Jean Paugam et Pierre Richard.

Sources : dossier établi à l’occasion de l’opération « Retrouvailles » à Carantec le 9 septembre 2000.

(1) Certains noms cités sont des homonymes de ceux de personnages déjà mentionnés dans cet ouvrage, en particulier dans l’index des patronymes. Il s’agit peut être des mêmes personnes (Michel Fourquet, par exemple). Faute d’indications dans la Revue, ils ont été distingués en utilisant le signe Ev.C. = Evadés par Carantec, afin de les distinguer. Il est évident, par ailleurs, que la grande majorité d’entre-eux s’est engagé dans la France Libre.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.