Une évasion : le cas de Stéphane Hessel à Rottleberode

Une évasion : le cas de Stéphane Hessel à Rottleberode

Une évasion : le cas de Stéphane Hessel à Rottleberode

[Janvier 1945] L’offensive de von Rundstedt était en cours dans les Ardennes. « Vous verrez, me disait [l’ingénieur civil], nous allons bientôt gagner cette guerre et vous pourrez rentrer chez vous. » Ma propre conclusion était inverse. Il était temps de prendre le large. Un camarade, ingénieur de formation, Robert Lemoine, avec qui je m’étais lié, se déclara prêt à tenter une évasion. Il était facile de s’esquiver pendant la marche matinale entre le camp et l’usine. Robert s’était confectionné une boussole et avait fait main basse sur des coutils bleus. L’un des premiers jours de février, vers 5h30 du matin, nous nous glissâmes dans les sous-bois. Au lever du soleil, un peu frissonnants mais radieux, assis à la lisière de la forêt, nous regardions le paysage de Basse-Saxe s’étendant à nos pieds. Nous étions libres […].
Trop sûr de moi, de ma chance, de mon sens de l’orientation, je déclare que le pays est certainement vidé de tous ses hommes valides et qu’il n’y aura qu’à le traverser d’un pas décidé, comme pour rejoindre un lieu de travail sans avoir l’air de se cacher. Erreur. Dès le premier village, des vieux en uniforme de la Landwehr nous interpellent, nous démasquent, nous enferment au commissariat de police, alertent le commandement du camp, où on nous reçoit la matraque à la main. Walter et Ulbricht sont effondrés. Ils m’avertissent de ce qui nous attend : la pendaison ou vingt-cinq coups de bâton. Pendant l’appel, le commandant fait un discours qui ne nous rassure pas. Le lendemain, nous sommes embarqués en direction de Dora.

Document

Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997 – Points (poche), 2011, p. 119-120.