France Forever, par Richard de Rochemont

France Forever, par Richard de Rochemont

France Forever, par Richard de Rochemont

Le Comité de la France Libre aux États-Unis

Le destin a voulu que beaucoup de ceux qui, les premiers, avaient rejoint la France Libre aux États-Unis soient aujourd’hui disparus. Pas tous ni toutes, Dieu merci ! Mais quand nous nous sommes réunis dernièrement à l’invitation du consul général de France à New York, nous n’étions qu’une vingtaine à sabler le champagne offert par le ministre plénipotentiaire, M. Gérard Gaussen. Parmi nous, se trouvaient des anciens des F.F.L., qui vivent à présent à New York ou sont attachés aux Nations-Unies. Il y avait là aussi des Américains, vieillis maintenant comme moi, et qui, bien avant leur propre gouvernement, avaient reconnu le général de Gaulle et la France Libre comme la seule voie qui mènerait à la libération de la France.

Pendant les années de guerre, nous fûmes à France Forever, jusqu’à 50.000 adhérents, en grande majorité des Américains amis de la France, groupés de New-York à la Californie, en 29 chapitres ou comités, sans compter les sympathisants non inscrits qui venaient régulièrement à nos manifestations. Certains d’entre ces derniers craignaient sans doute de vagues représailles s’ils se déclaraient ouvertement à nos côtés, car le gouvernement des États-Unis maintenait toujours ses relations diplomatiques avec Vichy, et l’ambassadeur de France à Washington, Henri Haye, dénonçait France Forever comme une organisation hostile et subversive, ce qui était, en effet, pour Vichy, le cas. De même, certains Français, non carrément vichystes, qui cherchaient à ménager la chèvre et le choux, ne cessaient de dénigrer nos efforts, par des insinuations antisémites, des accusations de communisme ; traitant nos amis français d’âge militaire de déserteurs ou de « planqués », mais ne parlant jamais des nombreux jeunes gens Français et Américains, qui avaient rejoint les F.F.L. dès que cela fut possible.

Autour du président Roosevelt, tournaient certains anciens très hauts fonctionnaires français qui lui conseillaient la plus grande réserve envers la France Libre. Il était, dans ces conditions, compréhensible que le secrétaire d’État de l’époque, M. Cordell Hull, ayant appris la libération de Saint-Pierre et Miquelon, îles dont il ne connaissait certes pas l’existence auparavant, dénonça l’action comme une insolence des « so-called Free French ». Ce qui lui valut de nos amis du New York Post, un article intitulé : « The so-called State-Department », car l’un des grands services que rendit France Forever venait de nos amitiés dans la presse américaine, comme celles de Geoffrey Parsons, Sr. et Jr., du Herald Tribune, Walter Lippmann qui fit un article-bombe dès 1942 : « Il faut reconnaître le général de Gaulle », Mrs Dorothy Schiff du New York Post, et certains rédacteurs du New York Times.

Je me souviens d’avoir pris moi-même la parole contre M. Hull à un mass-meeting organisé par France Forever a New York pour affirmer que la liberté d’opinion existait toujours aux États-Unis, malgré la politique pro-Vichy de Washington, qui ne pouvait lier nos membres, dans une démocratie comme la nôtre.

Après le débarquement en Afrique du Nord, en 1942, et les succès des Français Libres en Afrique Noire, la victoire parut assurée aux Alliés. Beaucoup de Français qui n’avaient pas encore pris position, et qui nous traitaient jusque-là volontiers de « résistants de drug-store », s’interrogeaient sur l’avenir de la France libérée. L’apparition des personnages de Darlan, de Noguès, de Giraud, déroutait les esprits. Washington appuyait ses créatures, accordant le minimum d’égards au général de Gaulle.

La pression de Washington sur Eugène Houdry, le président fondateur de France Forever, dont les grands laboratoires de pétrochimie à Marcus Hook travaillaient nuit et jour pour l’effort de guerre, l’obligeait à renoncer à la présidence d’une organisation qui ne voyait aucune solution pour la France hors de de Gaulle. Le conseil d’administration pensa qu’un citoyen américain, d’ancienne souche américaine mais d’origine française, deux conditions que je remplis par le fait de mes ancêtres huguenots, serait plus à l’aise à la tête de France Forever. C’est ainsi que la présidence nationale me fut proposée et que je l’acceptais avec joie.

Il n’était plus seulement question pour France Forever de grouper les Français Libres et leurs amis américains, mais notre association, dont les liens avec la France Libre étaient officiellement enregistrés au département d’État par la formule : « Le comité de la France Libre aux États-Unis, associé avec le comité français de la libération nationale » puis : « avec le gouvernement provisoire de la République française », lorsque celui-ci fut créé, considérait comme son devoir le plus immédiat d’influencer l’opinion américaine en faveur de la France Libre.

Nous y travaillions par nos meetings, par nos publications, par nos communiqués à la presse où beaucoup d’amis, dont j’ai cité quelques-uns plus haut, leur donnaient un écho souvent considérable, enfin, par nos émissions régulières sur les grandes chaînes de radio. La télévision n’existait pas à l’époque, bien entendu.

Nous avions heureusement aussi des amis américains qui, dans les premiers jours avaient rejoint les F.F.L, comme le lieutenant John F. Hasey, premier citoyen américain à devenir Compagnon de la Libération, et le capitaine Hassoldt Davis. Après les combats d’Afrique ils nous avaient été envoyés par Londres. Avec des militaires français comme Adrien Alcan, l’actuel président de la section des F.L. des États-Unis, Henri de Vilmorin, Henri Laussucq, et un grand blessé de Bir-Hakeim, le lieutenant Pierre Gabard, ils parcouraient le pays par le canal de nos chapitres pour démontrer la présence de la France Libre aux côtés des Alliés sur tous les fronts de guerre.

Notre comité exécutif comprenait des noms comme ceux de Henri Laugier, Fred G. Hoffherr, Jacques Hadamard, Henri Focillon, Gilbert Chinard, Paul Périgord, Robert Valeur, Francis Perrin, Henri Bonnet (notre délégué exécutif qui devait être ambassadeur de France aux États-Unis) ; des avocats comme Mildred Bixby, Paul Weill, Henri Torres ; des anciens ministres comme Pierre Cot ; des industriels comme Eugène Gentil, Jules Jeandros, Alfred Montprofit, Henri Reichenbach, J. Delattre-Seguy, Paul Verdier; des médecins comme le docteur Albert Simard (président des Anciens Combattants Français aux États Unis), et des hommes de lettres et des journalistes comme Lucien Vogel, Jules Romains, D.C. Emmet Jr., et Louis Bromfield.

L’administration de France Forever, au siège central national du 587 Fifth Avenue, était assurée par notre secrétaire général, Pierre-André Weill, ancien combattant de la campagne de France, et qui, engagé volontaire dans les rangs de la France Libre, avait été à plusieurs reprises refusé au service actif. Affecté à sa fonction par le représentant de la France Libre à Washington, il assurait nos relations avec la presse et l’édition de nos publications : le bulletin hebdomadaire « News of France at War », un bulletin mensuel d’information, et l’annuaire de la France Libre (Year book), ainsi que la diffusion de nombreux communiqués de presse et de publications de circonstance. Il assurait également les émissions de radio, l’organisation des meetings et manifestations à New York.

Son collègue Jean Steck, directeur des Chapitres, également ancien combattant de la campagne de France qu’il avait faite en volontaire, coordonnait et dirigeait l’action de nos 29 chapitres et comités, parcourait le pays pour leur apporter les éléments nécessaires à leur action, leur envoyait des conférenciers, et assurait des projections de films. En un mot, il animait, maintenait et encourageait le réseau si important de nos divers points d’action dans tout le pays.

Pierre-André Weill et Jean Steck étaient entourés de collaborateurs, qui se nommaient eux-mêmes gentiment « le petit personnel », dont le dévouement et l’efficacité restent au-dessus de tout éloge, et qui après la guerre rentrèrent dans l’ombre sans que personne jamais ne songe à leur adresser un remerciement officiel ! Je leur fais ici le seul compliment à la mesure de leur mérite : « lls n’avaient pas fait ça pour ça ».

Je n’oublie pas que France Forever abritait dans ses bureaux une œuvre indépendante, dirigée par la dévouée Caroline Ferriday en faveur des prisonniers et déportés français. Plus tard cette œuvre a été incorporée dans une organisation internationale.

Il ne m’incombe pas ici de résumer l’histoire de la deuxième guerre mondiale et de la France Libre vue des États-Unis. Pour ma part, j’avais été accrédité comme correspondant de guerre américain auprès des armées françaises pendant la « drôle de guerre » de 1939 et j’ai assisté aux événements qui ont mené à l’armistice de Pétain. J’ai pu visiter la France de Vichy en 1941, et j’en ai retiré en quelques semaines une amère déception.

En 1944, j’étais à nouveau envoyé comme correspondant en Algérie et en Italie. À Alger, je fus l’invité du général de Gaulle en deux occasions, et en Italie, il me reçut à son quartier général de Castel del Piano. Peu après j’eus l’honneur et la joie de le recevoir dans les bureaux de France Forever à New York, lors de sa première visite aux États-Unis. Pour nous de France Forever, sa visite et son approbation de notre oeuvre couronnaient nos efforts de quatre années.

Après la Libération, j’ai pensé que la place de président national devait être obligatoirement tenue par un Français de naissance, et j’ai salué avec joie la désignation de notre troisième président, le docteur Albert Simard, grand blessé de 1914-1918 et l’un des fondateurs de France Forever dès 1940.

Je veux, pour terminer, citer l’inscription faite par le général de Gaulle dans notre Livre d’Or lors de sa visite aux bureaux de France Forever :

« Des, hommes et des femmes de cœur, Français et Américains, qui n’ont jamais cru à l’abaissement de la France et qui ont eu raison ! Voilà ce qu’est France Forever ! que je salue amicalement aujourd’hui ».

Richard de Rochemont, ancien président national

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 209, janvier-février 1975.