La rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

La rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

La rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme

L’auteur

Né à Berlin en 1917, naturalisé français en 1937, Stéphane Hessel étudie à l’École normale supérieure quand il est mobilisé, en septembre 1939. Fait prisonnier en juin 1940, il s’évade et rejoint le Midi, où il assiste Varian Fry durant deux mois, avant de passer en Algérie. Passé de Casablanca au Portugal, il arrive en Angleterre en mars 1941 et s’engage dans les Forces aériennes françaises libres, obtenant son brevet de navigateur en mars 1942. Tony Mella le convainc alors de rejoindre le BCRA, où il est affecté à la section R (renseignement). Volontaire pour diriger la mission « Greco » en mars 1944, il est arrêté par les Allemands à Paris le 10 juillet suivant et déporté le 8 août à Buchenwald.

Condamné à la pendaison, il échappe à la mort grâce à un échange d’identité avec un mourant atteint du typhus, Michel Boitel. Transféré sous ce nom au camp de Rottleberode en novembre, il s’en évade à deux reprises mais est chaque fois repris : il est envoyé à la compagnie disciplinaire du camp de Dora, après avoir échappé une seconde fois à la pendaison.

Lorsque ce camp est évacué, au début d’avril 1945, il démonte deux lattes du plancher du wagon qui le conduit à Bergen-Belsen, saute sur la voie et rejoint les avant-gardes américaines. Intégré dans une unité américaine, il est capturé par une troupe de SS, mais, grâce à sa bonne connaissance de l’allemand, parvient à en ramener quatorze dans les lignes américaines. Rapatrié par avion, il arrive à Paris le 8 mai 1945 et participe, avec Daniel Cordier et son épouse Vitia, à l’élaboration du Livre blanc du BCRA. Engagé à partir de 1946 dans une carrière diplomatique, il devient secrétaire dans la troisième commission de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, chargée de préparer la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, auprès d’Henri Laugier, secrétaire général adjoint.

Bibliographie

• Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Hessel, Stéphane (né en 1917) », dans le Dictionnaire de la France libre, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010, p. 738-739.
• Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, 1997.

Le document

Stéphane Hessel, Danse avec le siècle, Le Seuil, collection Points, 2011 [1997], chapitre X : « Devenir diplomate », p. 147-153.

Dans ce passage de ses Mémoires, Stéphane Hessel témoigne des conditions de la rédaction et de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Trois figures émergent, côté français, toutes issues de la France Libre : René Cassin, Henri Laugier et Pierre Mendès France.

L’extrait

“[Le] travail [de l’ONU] était facilité par le nombre restreint des États adhérents. […] Le Conseil économique et social était composé de dix-huit membres et disposait de deux départements : celui de Laugier, chargé des questions sociales et des droits de l’homme, et celui du Britannique David Owen, chargé des questions économiques.

Tout cela ne faisait que quelques centaines de personnes […]. Leur travail consistait à préparer les réunions entre représentants des États membres […]. C’est de nous que devait venir l’imagination, la proposition novatrice. Eux préservaient prudemment leurs intérêts nationaux. Ainsi, lentement, on progressait vers des engagements qui rendaient plus étroite la coopération internationale […]. Car les membres de l’Organisation étaient des gouvernements, mais la charte [de San Francisco] se réclamait des peuples et les fonctionnaires internationaux s’en sentaient dépositaires comme s’ils avaient à défendre les peuples contre les États.

Cette optique était particulièrement celle de mes camarades du département des questions sociales qui travaillaient dans le domaine des droits de l’homme. Nous nous situions à la charnière de deux articles de la charte qu’il s’agissait de concilier : celui qui exigeait la protection et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales sans discrimination d’aucune sorte et celui qui posait comme principe la souveraineté des États qui interdisait à l’Organisation d’intervenir dans des affaires relevant essentiellement de leur compétence nationale. Si nous parvenions à faire adopter par l’Assemblée générale des textes juridiquement contraignants par lesquels ils s’obligeraient à respecter certains droits, nous créerions une brèche suffisante dans le mur de leur souveraineté pour affermir partout la démocratie, bannir le totalitarisme, protéger les libertés publiques et répartir équitablement les ressources entre toutes les catégories de population.

[…] Nous tâchions de tirer le meilleur effet possible de la leçon des horreurs récentes. À la source de ces horreurs il y avait eu la trop facile acceptation par les nations démocratiques des violations brutales des droits de l’homme par les puissances de l’Axe.

Les rédacteurs de la charte de San Francisco, sous le coup de l’émotion, avaient pris le risque d’y inscrire la mission pour l’Organisation de rédiger une charte des droits de l’homme et en avaient chargé une commission faisant rapport au Conseil économique et social, la Commission des droits de l’homme. […] Il s’agissait là de la plus importante innovation qui différenciait les Nations unies de la Société des Nations, comme de toutes les formes antérieures de coopération internationale. […] Il fallait faire vite, profiter de ce qu’il y avait d’hypocrite dans l’adhésion proclamée par les vainqueurs à ces valeurs que tous n’avaient peut-être pas l’intention de promouvoir loyalement […].

J’eus le privilège de participer à la rédaction du premier volet de cette charte des droits de l’homme qui devait comporter une déclaration, un pacte […] et des mesures de mise en œuvre […]. La Commission des droits de l’homme comptait douze membres. Elle était présidée par la veuve de Franklin Roosevelt et la France y était représentée par René Cassin […]. Les textes proposés par la commission étaient ensuite passés au crible par le Conseil économique et social, où la France était représentée par Pierre Mendès France. Puis ils étaient examinés par la troisième commission de l’Assemblée générale, où siégeaient les cinquante et un États membres et dont j’assurais le secrétariat […]. Le plus surprenant n’est pas que la Déclaration ait pu, sur la proposition de René Cassin, être appelée universelle mais qu’elle ait été reconnue sinon comme contraignante, du moins comme norme mondiale par tous les États […].

Le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme fut adoptée. Ce fut dans les salles hâtivement aménagées du palais de Chaillot, où la France accueillait la troisième session de l’Assemblée générale.”

René Cassin

Docteur en droit, agrégé de droit (1919), ancien combattant de la Grande Guerre, René Cassin (1887-1976) s’implique après-guerre, en parallèle à une carrière de professeur de droit civil, dans la défense des intérêts des anciens combattants, participant à la fondation en 1918 de l’Union fédérale, dont il devient secrétaire (1920) puis président (1922). Membre de la délégation française à la Société des Nations (SDN) de 1924 à 1938, il rompt avec l’« esprit de Genève » après les accords de Munich (30 septembre 1938).

Le 23 juin 1940, il embarque à Saint-Jean-de-Luz pour Londres, où il rallie le général de Gaulle, six jours plus tard. Rédacteur de l’accord de Gaulle-Churchill (7 août 1940) qui fixe les relations entre le Royaume-Uni et la France Libre, il devient le légiste de la France Libre. Membre puis secrétaire permanent du Conseil de défense de l’Empire institué en octobre 1940, il obtient le Commissariat national à la Justice et à l’Instruction publique lors de la formation du Comité national français, le 24 septembre 1941 et participe aux premières conférences interalliées réunies dans la foulée de la Charte de l’Atlantique.

Après la formation du Comité français de la Libération nationale (3 juin 1943), il est nommé président du Comité juridique (septembre 1943) et membre de l’Assemblée consultative provisoire, où il préside la commission de législation et de réforme de l’État.

À la suite de la Libération, il occupe la vice-présidence du Conseil d’État (novembre 1944-1960), la présidence du conseil d’administration de l’ENA (1945-1960), la délégation de la France à l’Unesco (1952-1958), la présidence du comité constitutionnel provisoire (1958), avant d’être nommé membre du Conseil constitutionnel, la vice-présidence (1959) puis la présidence (1965) de la Cour européenne de justice, enfin, la vice-présidence de la commission des droits de l’homme de l’ONU auprès d’Eleanor Roosevelt. Rédacteur du programme initial de travail de la commission (1946), il est l’un des principaux artisans de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU à Paris, au palais de Chaillot le 10 décembre 1948. Prix Nobel de la paix (1968), il repose au Panthéon depuis 1987.

Henri Laugier

Physiologiste de formation, Henri Laugier (1888-1973) est en 1939 le premier directeur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Membre du cabinet d’Yvon Delbos au ministère de l’Éducation nationale, il refuse l’armistice annoncé par le maréchal Pétain et embarque à Bordeaux le 18 juin 1940 à destination de l’Angleterre pour participer au Comité interallié de recherches scientifiques, puis part, en août, en mission aux États-Unis pour tenter de faire sortir les scientifiques de France.

Tout en enseignant à l’université Laval de Montréal, il adhère à l’association France Forever, dont il devient secrétaire puis vice-président (mai 1942). D’abord réticent à l’égard du général de Gaulle, il est rassuré par ses discours et la publication de la “Déclaration aux mouvements” (23 juin 1942) ; il se lance dans la propagande en faveur de la France Libre, publiant un bulletin d’information, Free France, un trimestriel, France Forever, et un Yearbook, organisant des manifestations publiques, des conférences, des projections de films, des émissions de radio.

Après la formation du Comité français de la Libération nationale (3 juin 1943), il est nommé recteur de l’académie d’Alger. Après-guerre, il prend la direction des Affaires culturelles au ministère des Affaires étrangères (1946) puis devient secrétaire général adjoint de l’ONU (1947-1948) et membre du conseil exécutif de l’Unesco (1952).

Pierre Mendès France

Docteur en droit, avocat à Louviers (1929), Pierre Mendès France (1907-1982) s’engage très jeune. Membre du parti radical dès l’âge de seize ans, militant à la Ligue d’action universitaire républicain et socialiste, dont il devient secrétaire général puis président, il se fait élire député de l’Eure en 1932 et accède au sous-secrétariat d’État au Trésor dans le second gouvernement Blum (mars-avril 1938).

Lieutenant d’aviation au Liban à la déclaration de la guerre, il est en permission en France en mai 1940 et embarque sur le Massilia pour rejoindre sa nouvelle affectation au Maroc. Arrêté sur ordre du gouvernement de Vichy pour désertion (31 août 1940) et transféré à Clermont-Ferrand, où il est jugé à condamné à six ans de prison lors d’une parodie de procès (mai 1941), il s’évade et gagne Londres par la Suisse puis le Portugal le 20 février 1942.

Il obtient de rejoindre le groupe de bombardement Lorraine et part pour les États-Unis, où il retrouve sa famille, avant de retourner en Angleterre, suite au transfert de l’escadrille. Lieutenant navigateur, il participe à des missions de bombardement sur la Ruhr et le nord de la France.

En novembre 1943, le général de Gaulle le nomme commissaire aux Finances au Comité français de la Libération nationale ; il représente la France lors de la conférence monétaire de Bretton Woods (juillet 1944). Devenu en septembre 1944 ministre de l’Économie nationale du Gouvernement provisoire de la République française, il démissionne le 5 avril 1945.

Élu président du conseil général (1945) puis député de l’Eure (1946), il est nommé executive director pour la France de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (1946-1947), gouverneur pour la France du Fonds Monétaire International (1946-1959) et délégué de la France au Conseil économique et social de l’ONU (1947-1951). En 1948, il est élu président des gouverneurs du Fonds monétaire international.

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