Le lieutenant-colonel de Sairigné, par le lieutenant-colonel Saint-Hillier

Le lieutenant-colonel de Sairigné, par le lieutenant-colonel Saint-Hillier

Le lieutenant-colonel de Sairigné, par le lieutenant-colonel Saint-Hillier

Du guet-apens nocturne de la route de Dalat vient de surgir, en pleine lumière, aux yeux de l’opinion émue, la haute figure du lieutenant-colonel de Sairigné, grandie et transfigurée par la mort du soldat.
Français libres, vous avez ainsi appris brutalement qu’un des vôtres, parmi les plus glorieux, venait de disparaître. Il est inutile de vous présenter Gabriel de Sairigné, vous connaissiez sa silhouette, surtout vous, anciens de la 1re D.F.L. : mince, élancé, une allure de chef. Vous l’avez tous vu sur cette photographie où il recevait, des mains de notre chef, le général de Gaulle, la croix de la Libération, aux côtés du général Kœnig, du colonel Amilakvari, tué également à 35 ans à la tête de la même 13e demi-brigade de la Légion étrangère.
Il est allé rejoindre, dans la légende, les Brosset, Laurent-Champrosay, Amilakvari, Genin et tant d’autres que la 1re D.F.L. a perdu au cours des opérations de la libération de la France et de son empire.
D’autres ont écrit le glorieux palmarès de notre ami. En quelques mots dictés par mon amitié, je veux simplement, entre nous, évoquer son souvenir.
À la création de la 13e demi-brigade, la chance lui sourit, il part pour la Norvège en remplacement d’un camarade absent. On ne sait dire ce qui le caractérise le plus dans cette campagne, son courage au feu, son calme souriant dans les pires difficultés ou sa simplicité après l’action.
Ayant réussi à gagner l’Angleterre dans des conditions acrobatiques avec quelques officiers du régiment, il se joint à la France Libre. Officier d’état-major à la demi-brigade, puis officier du 4e bureau de la brigade française d’Orient, il montre toutes ses qualités d’organisateur. Il revient à la Légion après la campagne de Syrie à la mort du colonel Genin dont il était chef d’état-major. À Bir-Hakeim, avant même le siège, il montrait son audace et son allant en détruisant, avec un détachement de sa compagnie lourde, des chars allemands aventurés sur nos arrières. Pendant le siège il mérita la croix de la Libération. Après la bataille d’El-Alamein, le général Kœnig le choisit, lui, jeune capitaine, pour prendre le commandement du 1er bataillon de Légion. Dans ce poste, que son prédécesseur avait dû quitter après avoir été grièvement blessé, il se trouvait en présence de capitaines plus anciens. À tous ces officiers, belle équipe fortement soudée dans la bonne comme la mauvaise fortune, il sut s’imposer, avec tact, par son caractère, donnant raison à ses supérieurs pour ce choix et montrant qu’ils pouvaient compter sur une personnalité aussi complète que la sienne.
Se dépensant sans compter, il s’était attiré le respect de ses cadres et de ses légionnaires qui, obéissant d’amitié, trouvaient que rien n’était impossible sous ses ordres.
En Tunisie, au djebel Zaghouan il porte sans arrêt ses patrouilles en avant. En Italie, son bataillon force à Radicofani le seuil de la Toscane. En France, enfin, le commandement supérieur choisit personnellement ce jeune chef pour réaliser ses opérations d’Autun et de la côte 1.013, dans les Vosges, qui se terminent par de magnifiques succès.
C’est toujours avec le même calme, la même assurance qu’il exécutait, dans un point d’appui encerclé d’Alsace, Rossfeld, la relève du fameux B.I.M., dans une situation désespérée. Il réussit, deux jours après, sur ordre, à faire sortir son bataillon, n’abandonnant que des ruines à l’ennemi.
Peu après, au cours de la libération de Colmar, son bataillon, qui venait de s’emparer par surprise d’Illhausern, est mis à la disposition de la 2e D.B. Le général Leclerc, dans un compte rendu succinct sur l’opération projetée à Grussenheim, où tout n’était pas qu’éloges pour les ordres reçus et les troupes de renfort, affirmait que « ce 1er bataillon était un solide bataillon commandé par un chef de classe ».
Déjà, pour lui faire donner toute sa mesure, le général Garbay l’avait choisi comme chef d’état-major et c’est là qu’il termine la campagne avec la division sur les Alpes.
Fier, exigeant pour lui d’abord, obtenant tout de ses hommes par son exemple et son ascendant, servi en plus par une belle prestance, il avait les dons, et, disait-on, la chance d’un grand chef.
Parti en Indochine commander la 13e demi-brigade, il avait montré tout de suite ses qualités d’organisateur et d’administrateur.
Français libre, il avait donné un bel essor à la section F.F.L. qu’il présidait à Saigon.
Racontant sa mort, un journal rapporte ce dialogue du colonel avec les assaillants « Nous sommes prêts à accepter votre reddition. – Eh bien, nous, nous sommes prêts à combattre. « Je ne sais si ce dialogue eut lieu, mais il est bien dans sa note. »
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Pour moi, la dernière fois que je le vis, ce fut à son mariage, il y a deux ans. Les généraux Kœnig, de Larminat, ses camarades présents en France, beaucoup d’anciens légionnaires étaient venus lui apporter, avec leurs vœux, le témoignage d’une affection que son beau caractère lui valait.
Mme de Sairigné, qui l’avait accompagné en Extrême-Orient, avait joué là-bas un rôle important, se dépensant sans compter auprès de nos blessés, groupant autour d’elle et aidant les familles de ceux qui luttent pour la vie de notre Indochine française.
Nous lui adressons ici l’expression émue de notre respectueuse sympathie.
Puisse ce gage d’affection, de respect et d’admiration, joint à la certitude que ce parfait chrétien a obtenu maintenant la récompense d’une vie si bien remplie, être un adoucissement à son immense douleur.
Le 13 mars, au cours de la cérémonie des Invalides, une foule d’anciens compagnons d’armes ont pu exprimer à M. de Sairigné, père, et Mme, la peine intense qu’ils ressentaient tous.
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Exemple permanent pour ceux qui restent, le colonel de Sairigné vivra dans notre souvenir, fidèle à la belle devise de sa race : « Elle est ferme et fidèle ». Il s’est donné corps et âme à la France, jusqu’à l’ultime sacrifice.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 7, avril 1948