Le ralliement de Tahiti

Le ralliement de Tahiti

Le ralliement de Tahiti

Tahiti, terre française libre

par le docteur Émile de Curton, médecin du corps de santé colonial, ancien gouverneur des Établissements d’Océanie (1942)

Le ralliement des établissements français de l’Océanie à la France Libre s’est effectué officiellement le 2 septembre 1940 sous l’impulsion de quelques hommes de bonne volonté… Pour eux, le devoir était clair. Malgré les ordres de capitulation, de collaboration, il fallait répondre à l’appel vibrant du général de Gaulle.

La population indigène d’Océanie a réagi à la défaite et à la capitulation françaises de façon tout à fait analogue… Dans toutes les « fare putuputuraa » (maisons de réunion) où chaque semaine les anciens du village viennent disserter sans fin devant la population assemblée, les discours des orateurs reflétaient d’une façon étonnante cette similitude de vues et cette même compréhension des vrais devoirs des Français.

Le 14 juillet 1940, trois semaines après l’armistice, étaient réunis autour de moi une cinquantaine de chefs et notables indigènes représentant le quart de la population des établissements français d’Océanie.

Je leur dis combien notre jour de fête nationale était triste cette année, endeuillé par la défaite de notre Patrie, par le malheur de nos frères de France…

Alors, selon la coutume indigène, les orateurs se levèrent successivement pour discuter mon allocution.

Le premier fut un vieux chef dont le père avait combattu les Français lors de la conquête de son île :

« Tu nous parles de ta tristesse de savoir les Prussiens à Paris, à Bordeaux, à Lyon. Nous la comprenons et nous la partageons parce que tous nos frères sont prisonniers de l’ennemi… Mais les Prussiens n’ont pas encore vaincu tous les territoires français si vastes que le soleil ne s’y couche jamais. Ils ne sont pas à Tahiti… Par conséquent, pourquoi serions-nous désespérés puisque nous pouvons encore nous battre pour notre pays ? »

Un autre se leva, un juge indigène qui, depuis quarante ans, faisait respecter dans ces îles la loi française. Sa longue carrière n’avait été interrompue que par deux ans de combat dans les tranchées de Champagne lors de la dernière guerre et il dit :

« La France ne peut pas être tout à fait triste. Car elle ne peut avoir oublié ses enfants de Tahiti qui ont combattu pour elle, qui l’ont aidée à vaincre. Car elle doit bien penser qu’ils sont prêts à reprendre les armes contre ses ennemis. »

Un autre était un « oremetua haapii » (instituteur indigène) et il déclara avec émotion :

« La France nous a donné des écoles pour instruire nos enfants, des médecins pour guérir nos malades.

« Aujourd’hui, la France est malade. Nous voulons la soigner.

« …Nous voulons former un autre bataillon du Pacifique, et tous les « tamarn maohi » (enfants polynésiens) iront aider les « piritas » (Britanniques) à chasser les Prussiens du sol de France. Vive la France ! Vive Tahiti ! » (…)

Cette communauté de pensée entre les dirigeants du mouvement de la France Libre et les populations indigènes d’Océanie est émouvante.

Elle explique pourquoi le 1er septembre quand fut soumise à un libre plébiscite la question « devons-nous continuer la lutte comme nous y invite le général de Gaulle ? » 5.564 Français d’Océanie contre 18 décidèrent de reconnaître le général de Gaulle comme leur chef et de continuer la lutte aux côtés de nos Alliés jusqu’à la libération du territoire français…

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 156 bis, juin 1965.