Les réalisations originales de la « France Libre »

Les réalisations originales de la « France Libre »

Les réalisations originales de la « France Libre »

Nous avons fait de tout dans la France Libre, des œuvres littéraires comme de beaux et profitables combats. Parmi nos écrivains, notre ami Jean Gaulmier, chef de la Propagande au Levant, fit montre de beaucoup de talent, d’érudition, de goût, et aussi, ce qui doublait la valeur de ses dons, d’un sens de l’humour délicieux. Nous lui devons entre autres un excellent Péguy et Nous et un « À la manière de… 1942 » qui nous a fait passer de biens bons moments dans le désert de Libye. Cet ouvrage est actuellement introuvable ; nous en publions quelques bonnes pages pour la délectation de nos lecteurs.

Jean Gaulmier avait su attraper à merveille le ton cafard, mélange de punaise de sacristie et de colonel Ramollot, qui fit florès sous Vichy. À ceux qui estimeraient – car la mémoire est courte – qu’il peint les vichystes plus bêtes qu’ils ne l’étaient, nous proposons ce petit thème de réflexions, basé sur un texte authentique.

Au début de 1943, à Bordj-le-Bœuf, dans le Sud tunisien, l’un de nous mit la main, dans une quelconque revue, sur un article de Monsieur René Benjamin décrivant la vie du Maréchal à Vichy.

C’était un fatras de platitudes bassement courtisanes qui remplit de stupeur notre ami, lequel ne pouvait arriver à « réaliser » que des Français fussent devenus aussi bêtes.

L’un des plus beaux couplets était sur « le pas du Maréchal » et « les pieds du Maréchal ».

Le pas, de longueur réglementaire, bien égal, etc. Les pieds, ni trop grands ni trop petits, ni en dedans ni en dehors, etc. Et cela se terminait par ce cri extasié du bouif qui examinait les « semelles du Maréchal » :

« Ah ! Monsieur, quel homme ! Il use partout pareil ».

Avouons que Jean Gaulmier est battu par René Benjamin, ce dernier ayant de plus le mérite de la spontanéité et de la naïveté.

« À la manière de Gustave Flaubert »

Un chapitre inédit de Bouvard et Pécuchet

Ô France, bien que ce soit notre patrie, c’est un triste pays, avouons-le. Je me sens submergé par les flots de bêtise qui le couvrent, par l’inondation de crétinisme sous lequel il disparaît…

C’était pendant l’été de 1940, dans le jardin, sous la tonnelle. Pécuchet, un petit banc sous les pieds, lisait les journaux de sa voix caverneuse, sans fatigue, ne s’arrêtant que pour plonger les doigts dans sa tabatière. Bouvard l’écoutait, la pipe à la bouche, les jambes ouvertes, le haut du pantalon déboutonné. Après cette lecture, ils échangeaient leurs impressions ; ils s’essayaient, sans y parvenir, à prévoir les événements, et parfois cela se terminait par des disputes. Bouvard, esprit libéral, se serait accommodé de M. Chautemps. Pécuchet, bilieux et de tendances autoritaires, se déclarait hitlérien. Il rejetait tous les crimes de l’histoire sur les manœuvres des israélites et des sociétés secrètes.

L’assassinat de Jésus-Christ n’était-il pas l’œuvre des Juifs ? Le massacre de la Saint-Barthélemy portait la marque des francs-maçons. Quant à Gamelin, chacun le savait communiste…

La Révolution Nationale leur fit la surprise d’un monde nouveau. Le Maréchal était celui qu’on attendait.

– Nous assistons, disait Bouvard, à l’enfantement d’une seconde Europe.

Un de leurs amis de Paris, un certain Barbaro, professeur de philosophie, leur envoya les livres et les brochures à la mode. Ils lurent d’abord Ferdonnet. Sans connaître les gens dont parlait celui-ci, ils trouvaient les portraits ressemblants et déploraient qu’un tel génie eût été si longtemps méconnu. Puis ils lurent Doriot et Maurras, Fabre-Luce et Montigny.

– Le Chef a parlé, disait Pécuchet. Qu’on le suive ! L’homme fictif de 89 nous a sclérosés, D’ailleurs, la vie des abeilles prouve la nécessité de la Monarchie.

– Pourtant, les fourmilières semblent des Républiques, disait Bouvard.

Et ils se perdaient dans ces contradictions.

Ils étudièrent la question du suffrage universel. Suivant, Pécuchet, les fraudes électorales venaient de la sottise du peuple. Bouvard pensait qu’elles étaient dues à l’ignorance des masses. Mais comment expliquer que ces mêmes foules stupides et illettrées aient compris l’immense bienfait de la Révolution Nationale ?

Maintenant que l’autorité venait d’en haut, il n’y avait plus ces incessantes crises ministérielles. Quand le Maréchal le jugeait bon, il changeait son équipe, mais pas plus d’une fois par semaine, et cela prouvait, selon Pécuchet, la volonté coordonnatrice du Chef. Bouvard faisait remarquer que la réforme essentielle avait été d’appeler les ministres secrétaires d’État, ce qui les associait plus étroitement à la gestion du pays.

L’arrivée au pouvoir de l’amiral Darlan les enchanta. Qui, mieux qu’un amiral, pourrait administrer une grande nation ? La France était-elle autre chose qu’un cuirassé au mouillage ? Ils imaginaient alors de placer à la tête des municipalités de cent mille habitants des capitaines de frégate ; les villes moins importantes seraient confiées à des capitaines de corvette, tandis que les chefs-lieux de canton auraient pour maires des enseignes de vaisseau et les simples communes, un quartier-maître. Comme ils ne savaient pas bien exprimer leurs idées, ils envoyèrent leur projet à Barbaro qui le mit en forme et le transmit à Vichy. L’amiral Darlan leur adressa une lettre de remerciements.

Ce premier succès les encourageait à poursuivre l’étude de l’ordre nouveau. Ils commencèrent par la réforme corporative. Ils lurent Proudhon, Sorel, Valois, Charles Maurras, La Tour du Pin, Firmin Bacconnier. Ils se perdaient dans les termes de l’économie dirigée et du contrôle des changes. Le rationnement alimentaire surtout leur paraissait une immense découverte destinée à protéger le consommateur contre le gaspillage et la gourmandise. Pour Pécuchet, la Corporation formait un triangle dont le technicien était le sommet à égale distance des deux autres, ouvrier et employeur. Mais qu’est-ce qu’un technicien ? L’ouvrier ne l’est-il pas autant que l’ingénieur, et l’employeur ne peut-il, s’il travaille lui-même dans son entreprise, être considéré comme technicien et comme ouvrier en même temps ? Il était donc plus juste, disait Bouvard, de voir dans la Corporation un cercle dont le centre serait le Maréchal.

– Tout avec le Maréchal ! Rien sans le Maréchal !

Ils se sentaient revalorisés en tant que Français pour la révision des naturalisations, mais les mesures de protection de la race, dont ils proclamaient la nécessité, les inquiétaient un peu.

Pécuchet se demandait anxieusement s’il n’avait pas une arrière-grand-mère juive ; Bouvard se rappelait avec des remords que, dans une maison louche du quartier de la Bastille, il était un soir monté avec la négresse ; et tous deux se lamentaient à l’idée que leur sang pouvait charrier des globules impurs.

Quand ils étaient las d’étudier, ils prenaient leur uniforme de Compagnons de France ; les longues jambes poilues de Pécuchet s’enfonçaient dans de lourdes chaussures ; les genoux cagneux de Bouvard s’arrondissaient sous une culotte courte ; et tous deux, plus bardés de buffleteries qu’un chasseur de l’Arkansas, portaient un sac de montagne et un bâton ferré. Tout Chavignolles était aux fenêtres la première fois qu’ils sortirent en ce costume. À l’auberge de la « Croix d’Or », on commentait sans indulgence l’attirail des Parisiens ; et le docteur Vaucorbeil ne se gênait pas pour les traiter d’imbéciles.

C’était un homme dangereux, ce Vaucorbeil, un républicain, un athée.

– De tels individus déshonorent la France ! disait Pécuchet.

Bouvard pensait de même. Des gens pareils compromettaient l’œuvre du Maréchal. Leurs critiques négatives empoisonnaient les simples. On pouvait voir, d’ailleurs, à quels abîmes ces esprits forts avaient conduit la France.

– Peut-être devrions-nous faire un rapport au préfet ! dit un jour Bouvard.

Vers cette époque, heureusement, on créa la Légion. Bouvard avait été capitaine d’habillement à Toulouse ; Pécuchet, en septembre 1939, gardait héroïquement un pont du côté d’Aurillac ; et tous deux avaient fait don de leur personne à la patrie.

Ils adhérèrent donc à la Légion avec enthousiasme. Le président pour Chavignolles était un notable du pays, M. de Noir du Bois Brun. Il avait, sous des cheveux déjà rares, un front étroit, des yeux myopes, des lunettes dorées et un teint rose de bébé colérique. Il bégayait en parlant ; il se croyait cultivé parce qu’il faisait relier des livres qu’il ne lisait pas, et son activité brouillonne se dépensait au service de la Révolution Nationale. Il s’entendait fort bien avec Bouvard et Pécuchet, ses voisins, desquels il aimait à prendre conseil. Et chaque semaine, ils développaient dans la grande salle de la « Croix d’Or », décorée pour la circonstance d’une photographie du Maréchal et d’un drapeau tricolore, les beautés de l’ordre nouveau devant des paysans ahuris.

– Légionnaires, nous devons tous l’être, même si nous n’appartenons pas à la Légion. Ainsi se créera cette élite constructive et totale, dont le dynamisme et l’enthousiasme, par le travail consenti et joyeux, par la discipline d’un mouvement collectif d’équipe, animeront les Chantiers de France.

Plus de discours vains ni de mots à majuscules. Le labeur physique endurcit l’âme comme les muscles ; il est un calme contre la douleur : labor callum abducit dolori. Les jeunes seront dans tous les actes de leur vie les Missionnaires du Maréchal.

Bouvard et Pécuchet applaudissaient ce fier langage. Pécuchet foudroyait du regard ceux qui n’écoutaient pas avec l’attention voulue ; et tous deux prenaient des mines fermes et dévotes, tandis que M. de Noir du Bois Brun terminait en ordonnant une minute de silence pour penser à la Révolution Nationale.

Chaque matin, du fond de son lit, Bouvard à sept heures précises, criait d’une voix enrouée :

– À moi, compagnon !

Pécuchet, le bonnet de coton sur l’oreille, se dressait sur son séant, se frottait les yeux et répondait :

– France d’abord !

Et conscient d’avoir accompli l’essentiel de leur devoir légionnaire, ils reprenaient leur sommeil interrompu.

« À la manière de Alphonse Daudet »

Nouvelles soirées au cercle de Tarascon

(Chant Funèbre pour la cité de Tarascon)

Dieu soit loué ! J’ai enfin des nouvelles de Tarascon ! Je me demandais, comme vous tous, bonnes gens, si notre illustre ami, le Capitaine Rigaudon, héroïque payeur aux Armées en Syrie, gendre du non moins illustre tarasconnais Tartarin, avait été reçu dignement à son retour au pays natal. Eh bien ! Soyez rassurés !

Lisez plutôt ceci :

Donc, l’intrépide Rigaudon, après l’armistice de Saint-Jean-d’Acre, opta pour Vichy et sacrifia sans hésiter une situation douillette pour rester fidèle au Maréchal. Nous autres Latins, nous sommes ainsi bâtis, que voulez-vous, incapables de penser une minute à notre intérêt personnel quand le devoir commande. Il craignait aussi, disons-le, un retour offensif des Allemands : si les Hitlériens avaient été un tant soit peu plus escagassés en Russie, alors, oh ! alors l’affaire se serait présentée tout autrement. Mais dans les circonstances présentes, à la veille de toucher une bonne retraite, pourquoi se lancer dans les aventures, je vous le demande !

Chaque soir, depuis qu’il est rentré héroïquement à Tarascon, il se rend au Cercle et là, il en raconte, des histoires, des histoires à faire frémir les Costecalde et les Bézuquet.

– À Alep, où j’étais, et qui est une ville grande, tenez, comme Marseille, il y a eu des bombardements terribles… Chaque nuit, des immeubles entiers s’écroulaient avec un bruit, ah ! mes amis, un bruit… Je pouvais faire mes comptes, mettre mes livres à jour à la lueur des obus… Mirone, ma pauvre femme, vous savez comme elle est courageuse ! Tout le portrait de son père, notre grand Tartarin ! Eh bien ! à chaque éclatement, elle avait une crise de nerfs, pas moins.

Il s’arrête pour reprendre souffle et, ses gros sourcils froncés, il foudroie l’auditoire en gonflant ses joues avec une moue effrayante.

– Nous avons tenu plus d’une semaine sous les bombes. (Si vous n’avez pas entendu Rigaudon prononcer ce mot-là, vous n’avez rien entendu. Dans sa bouche, ce n’est plus un mot, c’est un pétard ! c’est un fracas !) Jusqu’à l’assaut final des Australiens, avec des milliers de chars…

« Des brutes, ces Australiens. Ils chargent tout nus, comme des nègres, avec une grenade dans chaque main et un poignard entre les dents… Autant dire qu’ils ne connaissent rien aux règles de la guerre. Moi, en voyant ça, oui, moi Rigaudon, j’avoue que j’ai eu peur… Heureusement que je pensais à notre bon Maréchal. Sa pensée me soutenait, pas moins !

Alors, grisé par ses propres paroles, l’intrépide Rigaudon ôte ses lunettes, tandis qu’il les essuie, on voit rouler ses gros yeux globuleux qu’il essaye de rendre terribles, et il conclut simplement :

– Dire qu’on était si tranquilles en Syrie avant toutes ces histoires… Ces cochons de Gaullistes… Ils ne pouvaient donc pas nous laisser finir la guerre en paix.

(Extrait de : Nouvelles aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon).

« À la manière de Victor Hugo »

L’année honteuse

Dans son ouvrage l’Année Honteuse, où l’on retrouve la corde d’airain qui vibrait dans les Châtiments et dans la Légende des Siècles, Victor Hugo stigmatise

Adolphe et Benito, ces deux moitiés du diable,
Porte-clefs monstrueux de ce bagne effroyable
Qu’un continent est devenu.

On connaît trop le poème célèbre qui commence ainsi :

Hideux Pierre Laval, lorsque vous empoignâtes
La France au col meurtri de vos mains auvergnates…

Ou celui qui, unissant le tragique à l’ironie grotesque, parlant d’Hitler, nous dit :

Cet homme épouvantable
Mériterait qu’on mît son orgueil formidable
Sous ta douche, ô Niagara !

Nous avons préféré citer ici, avec un extrait de la Préface de l’Année Honteuse, Sourire du Printemps et la Chanson des doreurs de pilules, qui forme l’écho burlesque de la fameuse Chanson des doreurs de proue.

 

***

Ce livre est un acte

Ce livre est un acte. Mens agitat molem.

Sous ce gouvernement-caporal et sous cette constitution-consigne, la France étouffe, mais tout marche militairement.

Ah ! Armée de la République ! Armée qui a eu pour capitaines Carnot, l’austérité ; Marceau, le désintéressement ; Hoche, l’honneur ; Kléber, le dévouement ; Desaix, la vertu ; Bonaparte, le génie, tu es réduite aujourd’hui à Dentz, la collaboration ! Règle, discipline, humiliation, pénitence, silence dans les rangs, tel est le joug sous lequel courbe en ce moment la Nation de l’initiative et de la Liberté, la Grande France révolutionnaire. Le réformateur s’arrêtera quand la France sera assez caserne pour que Darlan dise : « À la bonne heure ! » et assez séminaire pour que Baudrillard dise : « C’est assez !… »

Le Maréchal a effacé de nos murs Liberté, Égalité, Fraternité. Il a eu raison. Il ne vous prend en traître cet homme. Il vous dit : « Français, vous n’êtes plus libres, la Gestapo est là ; ni égaux : les amiraux sont tout ; ni frères : la guerre civile couve dans vos rangs ».

Ici, la pensée hésite, la voix se tait, le cœur se serre.

Cet homme dit à la France qu’il l’a sauvée. Et de qui ? D’elle-même ! Depuis vingt ans, il y avait en France toutes sortes de choses pernicieuses : cette sonorité, la Tribune ; ce vacarme, la Presse ; cette insolence, la Pensée libre.

Il est venu, lui, et à la place de la Tribune, il a mis Darlan ; à la place de la Presse, il a mis la censure ; à la place de la Pensée, il a mis le sabre.

Et de par Darlan, la censure et le sabre, la France est sauvée. Car qu’était-ce que la France, s’il vous plaît ? Une peuplade de bavards, de jouisseurs, de communistes, de démagogues. Il a fallu la lier, cette forcenée, la France, et c’est M. Laval qui lui a mis les poucettes.

Ah ! qu’est-ce que c’est que ce spectacle-là ? Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar-là ? D’un côté, une Nation, la première des nations ; de l’autre, un homme, le dernier des hommes ; et voilà ce que cet homme fait à cette nation ; chaque fois que M. Laval crache, il faut que tous les Français s’essuient le visage !

Mais on sortira de cette torpeur qui pour un peuple est la Honte. Et quand la France, Lazare prodigieux, sera réveillée, quand elle ouvrira les yeux sous le suaire dont ils l’ont couverte, quand, rejetant son linceul, elle verra ce qu’elle a devant elle, et à côté d’elle, elle reculera devant ce monstrueux forfait.

Alors, l’heure suprême sonnera et, livides, les traîtres verront surgir du caveau la Patrie ressuscitée.

 

***

 

Sourires du printemps

Le Maréchal a dit dans son discours d’Annecy (23 septembre 1941) : « Je respire un renouveau ».
(Les Journaux).

Ils ont donc fusillé ce matin douze otages,
Douze innocents. Paris, pleins d’obscurs sabotages,
N’est plus qu’une hideuse et confuse prison.
Où le peuple traqué gronde à la trahison.
De la Ville-Lumière ils ont fait des ténèbres
Que parcourt le fracas des patrouilles funèbres.
Ils sont le crime, ils sont la honte, ils sont la mort.
La croix gammée ainsi qu’un serpent qui se tord
D’un noir fourmillement couvre la France blême.
Le Peuple s’interroge et doute de lui-même
Devant les je m’accuse et les confiteor
Que l’Amiral Darlan, valet galonné d’or,
Te voudrait arracher, ô sainte République !
Et pendant ce temps-là, toute une sombre clique,
Un effroyable amas de Lavals, de Scapins,
Mêlant les Baudrillards avec les turlupins,
Unissant le jocrisse et le Robert Macaire,
Équipe où l’amiral trinque avec le sicaire,
À qui Tartuffe eût dit : Bien ! et Judas, Bravo !
Impose la famine avec l’ordre nouveau.
À Paris, on massacre, à Vichy l’on moucharde ;
Autour du Ministère, on redouble la garde
L’occupant généreux prête sa gestapo
Parce que ces gens-là frissonnent pour leur peau,
Inquiets de sentir la France qu’on bâillonne,
Farouche, s’agiter de Dunkerque à Bayonne,
La France, ce lion morne, saignant, vaincu
Sur qui, sinistre essaim de mouches abattu,
Dans cette pestilence et dans ce crépuscule,
Le Bouthillier bourdonne et le Pucheux pullule !

Et c’est devant cela, devant nos murs noircis,
Nos captifs par milliers hâves, blêmes, transis,
Devant Metz allemand, devant Tours en ruines,
Devant les pelotons, les fers, les guillotines
Que manœuvre un troupeau d’esclaves commandés,
– (Ô Forêts, frais talus, prés verts, vous entendez ?)
C’est devant tout cela, cris d’enfants, pleurs de mères,
Que viennent l’adorer ses préfets et ses maires
Et que, les Te Deum lui montant au cerveau,
Le très vieux Maréchal respire un renouveau !

***

Chanson des doreurs de pilules

Nous sommes doreurs de pilules,
Nous transformons les crépuscules
En aubes pour la Nation.
Le peuple songe à sa défaite,
Mais nous, nous célébrons la fête
De la Collaboration.

L’invasion décrit des courbes,
Les nazis, tortueux et fourbes,
Massacrent et pillent, dit-on.
Nous, nous disons : C’est l’Angleterre
Qui nous réduit à la misère
Et non pas notre ami teuton !

Nous sommes une belle équipe :
Darlan joyeux, fumant sa pipe,
Nous guide, après le grand Flandin ;
Pierre Laval est notre maître,
Nous avons Judas pour ancêtre
Et Quisling pour cousin germain.

Nous sommes doreurs de pilules :
Armés de points et de virgules
Nous corrigeons qui mal parla ;
Nous triomphons dans l’euphémisme
Et rendons en jésuitisme
De nombreux points à Loyola.

Vous pensez la France meurtrie ?
Famille, Travail et Patrie
Sont plus prospères que jamais !
Nos prisonniers en Allemagne ?
Ils s’y trouvent à la campagne
Et nous reviendront le teint frais !

Hitler, qu’on traitait de sauvage
Et qu’on insultait avec rage,
Est un doux végétarien :
S’il incendia Varsovie,
S’il tient encor Prague asservie,
Soyez sûrs que c’est pour leur bien.

Pour nous, les doreurs de pilules,
De la Tamise à la Vistule,
Un seul pays doit exister.
Pourquoi faire le misanthrope ?
Les vrais États-Unis d’Europe
Hitler va nous les cimenter.

Dans cette union, chaque race
Aura son travail et sa place :
Seigneur Nazi commandera,
Les Polonais dans les usines
Les Tchèques au fond des mines
Feront tout le labeur ingrat ;

Et nous, Français, aurons la chance
De pouvoir placer à la France
Sur le ventre, un petit jardin :
C’est là, disons-le sans mystère,
Le dernier retour à la terre
Dont rêve notre bon Pétain.

 

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 20, juillet 1949.