René Pleven

René Pleven

René Pleven

Par Jean Marin

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René Pleven, commissaire aux Finances, à l’Économie, aux Colonies et aux Affaires Étrangères entre 1941 et 1944, mort le 13 janvier 1993, à 91 ans (RFL).

René Pleven n’est plus. La Bretagne, l’ordre de la Libération, les Français Libres, la France, lui ont fait à Dinan d’émouvantes funérailles.

Les Français Libres ont appris sa mort avec un chagrin fraternel. Ils lui gardent le souvenir affectueux et fidèle qu’ils réservent à chacun des leurs qui s’en vont, en mémoire de l’action commune qu’ils ont eu la chance de pouvoir conduire pendant la guerre, lorsque Charles de Gaulle était leur inspirateur, leur guide, leur chef au service, dans l’honneur, du pays malheureux mais toujours riche de fierté et d’espérance.
René Pleven avait été l’une des figures les plus attachantes et les plus dévouées de la France Libre. Après la fin des combats, très vite il devint une personnalité de premier plan parmi les nouveaux parlementaires que la Résistance donnait à la Nation et à la République. À ce titre, au titre de chef de formation politique, de ministre et de président du Conseil, il se montra constant européen, pionnier des progrès de l’Europe, en tout domaine, à l’époque des Jean Monnet et des Robert Schuman. Il souhaita – et il parvint à ses fins – que les perspectives du Marché commun, de l’Europe agricole et politique fussent aussi, dès l’origine, celles du renouveau et de l’essor de la Bretagne moderne dont il exorcisa, avec intelligence et douceur, quelques-uns des esprits qui ne s’agitaient, au demeurant, qu’en raison de comportements administratifs mal inspirés et injustes. Breton autant qu’il est possible de l’être avec authenticité, en profondeur et en finesse, ce grand Français eut le courage, à travers un livre grave et lucide et une action infatigable à la tête du CELIB de montrer que le malaise évident de la Bretagne tenait fondamentalement au désir naturel de faire valoir sa riche originalité, partie inhérente du Tout français, lui même édifié sur la tradition centenaire du droit du sol. René Pleven se sentait assuré que cette aspiration, loin de risquer d’être une source de déperdition, contenait la promesse d’un actif renforcement de l’ensemble français au sein du groupement européen. Attentif au détail décisif, il obtînt après l’invention des Pays-de-Loire, que Rennes demeurât la juridiction d’appel de Nantes comme elle l’était du reste de la Bretagne. Dans chacune de ces quatre grandes étapes de sa carrière historique, il fut le même. Dans chacune, il aura servi la France, selon sa conscience d’homme et de patriote, aux termes d’une conviction libérale et humaniste, démocratique et européenne. On doit aussi penser que, d’un bout à l’autre, son sillon, également, resta le même et que son action fut toujours conforme, dans l’esprit, à celle qui aux heures difficiles du courage et de l’audace avait fait de lui, près du général de Gaulle, l’un des mieux accordés et des plus efficaces serviteurs de la France Libre, de la Résistance et du grand dessein de leur chef.
De Gaulle trouva en René Pleven, comme il le fit dans un domaine voisin en René Cassin, les compétences particulières qu’il souhaitait réunir pour étendre et étoffer l’action quotidienne aussi bien que l’ambition de la France Libre. Juriste, financier, administrateur studieux, homme de réflexion et de diplomatie, René Pleven intervint, avec efficacité sans que la prudence portât ombrage à la vision d’ensemble, farouchement poursuivie par le Général, dans le domaine des colonies au ralliement desquelles, en compagnie de Leclerc et de Larminat, il avait personnellement participé ; dans celui de la monnaie et aussi dans bon nombre d’épisodes diplomatiques. Pour les mener à bien, conformément aux instructions et intentions du Général, il disposait d’un atout précieux : celui que lui donnaient ses bonnes relations personnelles avec de nombreux et influents Britanniques, Américains, ou alliés continentaux dont les gouvernements étaient venus s’établir à Londres. À chaque pas, il convenait, alors, d’être attentif ; de franchir patiemment des obstacles qui sans cesse renaissaient ; de neutraliser des hostilités et surtout des préventions souvent irrationnelles. Pleven était là et remplissait ses tâches avec doigté. C’est à lui que le Général confia la mission de sonder, aux États-Unis, les intentions d’une douzaine de personnalités françaises, très diverses, auxquelles il songeait au moment de constituer son premier Comité National. Plus tard, Pleven joua un rôle important dans la mise en oeuvre et en forme de la déclaration de Brazzaville dont la relative modestie ouvrait pourtant, et délibérément, l’une des grandes portes de l’avenir de la France et de l’Occident.
Après la Libération, alors que tout était à reconstruire de fond en comble, c’est René Pleven que le chef du gouvernement provisoire de la République française choisit pour détenir, au point crucial, le portefeuille des finances ; déjà, avec Jean Monet, Pleven jetait les bases de la politique du Plan qui allait étonner l’Europe et même au-delà.
Après le départ du Général et tout ce qui s’ensuivit sur le plan politique et le plan constitutionnel, il entama sa carrière de grand parlementaire français, un peu à la manière anglaise. Quelles qu’aient été ensuite ses responsabilités et ses choix politiques, il demeurait attaché à nos souvenirs et solidaire de ses camarades de la guerre. C’est par son entremise que le Pandit Nehru, avec qui il était lié d’amitié, intervint lui-même auprès du Viêtminh pour que fut retrouvé et rapatrié en France par l’Inde le corps du fils de Leclerc tué au combat. Compagnon de la Libération assidu à tous les rendez-vous du Mont Valérien, René Pleven suivait l’activité de l’Association des Français Libres : l’une de ses dernières grandes joies dans ce domaine lui fut donnée par l’inauguration à Paimpol du monument à la mémoire des marins du commerce et de la pêche de la France Libre qu’il souhaitait, depuis longtemps, voir érigé sur les côtes de la Bretagne résistante et fidèle.
C’était, avec tendresse et fierté, un ancien de la France Libre qui chérissait la chance, comme il disait, qui lui avait permis d’en être l’un des volontaires à l’heure du choix le plus tranché et du plus grand péril.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 281, 1er trimestre 1993.