Un sauvetage : le cas de Geneviève de Gaulle à Ravensbrück

Un sauvetage : le cas de Geneviève de Gaulle à Ravensbrück

Malgré mes réticences, je fus un jour réquisitionnée pour un travail fixe. J’entrai dans un atelier de réparations d’uniformes en provenance du front russe. J’avais à travailler une semaine de jour, une autre de nuit. Les uniformes arrivaient en vrac, venant des champs de bataille, des hôpitaux, bref de partout où on les ramassait. Comme il y avait pénurie de vêtements à ce moment-là en Allemagne, il s’agissait de récupérer tout ce qui pouvait l’être et de réparer ce qui pouvait être utilisé. Tous ces uniformes n’étaient, bien sûr, ni lavés ni désinfectés lorsqu’ils nous parvenaient et grouillaient de vermine. Nous étions sous les ordres d’un terrible SS et d’une surveillante non moins redoutable. Ces deux êtres étaient tout simplement des assassins déterminés. Une femme qui était dans le même atelier que moi et qui était affectée à la lessive avait eu la malencontreuse idée de vouloir profiter de l’occasion pour laver un peu de linge personnel. Elle fut tuée à coups de battoir à linge par la surveillante.
Celle-ci ne fut pas tendre à mon égard. Je commençais à être en très mauvais état de santé, je souffrais d’avitaminose, une des maladies de la vie concentrationnaire, qui se porta sur mes yeux. J’avais des ulcérations de la cornée et des dernières semaines que je passais à l’atelier furent affreuses car je ne voyais plus ce que je faisais. Je devais découdre des poches, des doublures et je n’arrivais plus à faire certaines tâches. Je fus horriblement battue, comme je ne l’avais jamais été durant ma vie concentrationnaire. Il s’en fallut de peu que je fusse assommée comme ma compagne d’atelier. Mes camarades s’émurent de mon état et leur solidarité joua en ma faveur. Ce fut une fraternité internationale puisque les Tchèques décidèrent de me prendre sous leur protection.
On confia mon sort à une camarade tchèque, Milena Seborova, qui était responsable d’un kommando de fourrures. Elle parvint à me faire changer d’atelier. Il était très dangereux pour elle de s’occuper de moi. En effet, j’étais plus connue sous mon numéro que sous mon nom mais, si une vérification avait été faite, elle aurait pu entraîner pour Milena des conséquences dramatiques. Elle le savait. Ce qui ne l’empêcha pas de se rendre courageusement au bureau du travail pour demander le détachement de la prisonnière n° 27 372 et son affectation à l’atelier dont elle était responsable. C’est ce qui me sauva la vie.

Bibliographie

Geneviève de Gaulle, « Prise dans une souricière », En ce temps-là, de Gaulle, tome 3, 1972, n° 45, p. 31.