Témoignage d’une F.F.L. volontaire française

Témoignage d’une F.F.L. volontaire française

Témoignage d’une F.F.L. volontaire française

Les femmes n’aiment pas parler de leurs souvenirs de guerre et encore moins de leurs souvenirs de « militaires » car, d’une manière générale, cela prête plutôt à sourire. Peut-être est-ce aussi parce que les femmes – malgré les mythes – sont plus discrètes que les hommes pour tout ce qui touche profondément et surtout parce que, pour elles, l’essentiel de la guerre c’est la paix.

À Londres, la section féminine des F.F.L. baptisée « Volontaires Françaises », regroupait toutes celles qui, répondant à l’appel du général de Gaulle, voulaient participer à la libération de leur pays.

La plupart étaient arrivées au prix de difficultés inouïes, à pied à travers les neiges des Pyrénées via l’Espagne ou, en petits bateaux de pêche de Bretagne, elles avaient aussi rejoint l’Afrique du Nord ou d’autres dépendances lointaines. Leur voyage a toujours été compliqué car, même les représentants de la France Libre à l’étranger les estimaient souvent gênantes, peu utilisables, était-ce vraiment la peine de les embarquer pour l’Angleterre dans des convois déjà surchargés… Mais l’Angleterre assiégée, avait, dès le premier jour, été obligée de compter sur tous ses citoyens femmes et hommes. Affectées à tous les postes où elles étaient capables de remplacer un combattant, elles occupaient, en dehors des fonctions féminines habituelles, les postes les plus divers : opération des batteries de la D.C.A., repérage des avions ennemis, services secrets, chauffeurs autos, camions autobus, pilotes, mécaniciens, etc.

Pour les Françaises, il en fut de même. Dès leur arrivée, elles étaient envoyées dans l’armée britannique, dans l’A.T.S., où elles entreprenaient leur « Basic training ». Dur entraînement physique et moral car, isolées parmi les anglaises dont elles ne parlaient souvent pas la langue, les « Volontaires Françaises » subissaient un intense dépaysement auquel s’ajoutaient les épreuves physiques, la promiscuité des chambrées, le lever au clairon à 4 h 30, le « drill » interminable dans la cour de la caserne, la course à pied à travers la campagne froide et pluvieuse, les cours, la corvée de cuisine, etc.

Après trois mois la « second class » retrouvait la caserne féminine française à Londres « Moncorvo House », ancien hôtel jadis occupé par les émigrés français de la Révolution. Là elle avait droit au « basic » français. Comme il se doit, le côté sportif: marches, etc., était assez délaissé, mais par contre, les corvées ne manquaient pas: ménage, cuisine, ordures. On lui enseignait également des notions de l’organisation militaire française et alliée ainsi que la langue anglaise. Les jeunes de moins de 20 ans, dont je faisais partie, étaient très sévèrement tenues, les heures d’entrée et de sortie rigoureuses, défense d’habiter en dehors de Moncorvo, même en week-end, défense de sortir avec des officiers, etc. Suivant son âge et ses capacités de se débrouiller, l’entraînement durait de un à six mois, parfois plus. La prochaine étape était l’affectation. Selon la demande exprimée et surtout les besoins militaires, elles étaient affectées soit aux forces de l’air, soit à celles de la marine, soit aux forces terrestres.

Les volontaires étaient : dactylo, secrétaire, interprète, chauffeur, planton ou suivaient des cours d’officiers ce qui était la grande ambition de chacune, un peu pour l’uniforme plus seyant, mais surtout pour la liberté car les 2e classe devaient continuer à vivre au Moncorvo à l’exception de celles dont les familles habitaient Londres.

Pendant ce temps, la guerre continuait et nous la suivions avec passion, chaque nouvelle recrue qui arrivait de France (à mesure que la guerre durait, elles étaient de plus en plus rares car il était de plus en plus difficile de s’échapper de France) était accueillie par une avalanche de questions sur la France occupée.

Les bombardements avaient repris au cours de l’hiver 1943-1944 et bientôt, fin mai début juin, ce furent les V1 qui tombaient au hasard de la ville.

En avril 1944, devenue sous-lieutenant, j’étais affectée avec une de mes camarades, Monique Boncenne, au Civil Affairs Staff College de Wimbledon. Il s’agissait d’une école de l’état-major britannique qui apprenait aux officiers de liaison britanniques et alliés à connaître l’administration française et l’organisation des camps de réfugiés. Je faisais partie d’une nouvelle section organisée en vue du débarquement la M.M.L.A. (Mission Militaire de Liaison Administrative). Ce corps comprenait plusieurs centaines d’officiers de liaison masculins et environ 80 femmes. Il avait une mission tactique, civile et administrative et était destiné à servir de liaison entre les armées britanniques et américaines d’une part les autorités civiles françaises d’autre part et les forces de la Résistance. La section féminine était spécialement formée pour mettre sur pied les camps de réfugiés et les rendre viables. La seule volonté du général de Gaulle avait forcé les gouvernements alliés à reconnaître la France comme un allié combattant. Ainsi la France, au fur et à mesure de sa libération, ne fut pas soumise au gouvernement militaire (A.M.G.O.T.). Son administration propre fonctionna immédiatement l’autorité de préfets nommés par le général de Gaulle.

Le 6 juin 1944, la nouvelle du débarquement en France éclata. Au camp de Camberley (le camp militaire F.F.L.) où je me trouvais, ce fut l’allégresse. Cet enthousiasme fut vite tempéré, par les mauvaises nouvelles de la dureté des combats, des pertes importantes, des destructions de villes et de villages. Tout le monde était anxieux. Sur les cartes, la surface de territoires libérés aux alentours de Bayeux semblait minuscule par rapport à toute la France occupée.

Pendant une quinzaine de jours, nos journées furent remplies par les exercices les plus divers: lecture de cartes, cuisine en masse, diététique, maniement des armes carabines et mitraillettes, conduite de camions, de motos, de half-tracks, gymnastique, drill, etc. Avant tout, il y avait les nouvelles, les mauvaises et les bonnes, la radio, les rumeurs. Tout le camp était consigné et une atmosphère permanente de tension régnait. Les hommes s’énervaient, tous brûlant déjà d’être en France. Nous étions plus calmes car nous pensions, de toute manière, être les dernières à partir.

Ce fut le contraire qui arriva. Au milieu de la nuit, fin juin, on nous embarqua dans des camions. Pour satisfaire aux préoccupations de sécurité des britanniques, nous dûmes changer plusieurs fois de camions, de trains, de direction.

Chaque fois, il fallait tirer, porter d’innombrables cantines etc. Finalement, notre train s’arrêta au bord d’un quai et, à la nuit, nous étions embarquées dans un petit bâtiment de guerre anglais L.C.I. La mer assez agitée mais il faisait beau. Je passai toute la nuit dehors à regarder… Au petit matin, nous avons aperçu la côte tout près, ce fut un grand moment. Au fur et à mesure que nous approchions, nous apercevions des objets noirs déchiquetés, des carcasses de bateaux, d’avions, de chars. La plage était jonchée d’objets hétéroclites, à quelques centaines de mètres, il y avait une tente, c’était le poste de commandement du Beach Officer. Le bateau n’ayant pu accéder jusqu’à la plage, nous sommes descendues dans l’eau. Des militaires anglais accoururent de partout en nous voyant mais repartirent assez rapidement, écœurés, ils pensaient que nous étions une troupe de, théâtre aux armées…

Le « Beach Officer », un officier de marine britannique portait une grande barbe noire, il nous adressa un court discours de bienvenue « chez nous » en français, plein d’humour et de gentillesse et nous convia ensuite à la roulante pour le thé.

Ce fut une bonne surprise de trouver Bayeux quasiment intacte car les villages, le long de la route, étaient en ruine. Notre Q.G. était installé au petit séminaire de Bayeux récemment évacué par les Allemands ; cette belle bâtisse ancienne était dans un état de saleté repoussante. Notre première tâche fut de nettoyer, laver, frotter et ensuite brûler les ordures… par la suite, ce devait être la routine de chaque nouveau camp.

Le front était à 5 kilomètres et l’on entendait un grondement continu d’artillerie lourde, Lorsque cela s’arrêtait, le silence semblait étrange, mais quelle joie extraordinaire que de se promener dans les petites rues françaises, de bavarder avec des Français, de rentrer chez eux, de visiter la cathédrale.

De Bayeux, notre groupe fut divisé en équipes de quatre et chaque équipe rejoignit un détachement de Civil Affairs de l’armée britannique ou U.S…. Plusieurs équipes partirent pour Caen où le travail fut particulièrement dur et utile car la ville resta sous les bombardements pendant de longues semaines.

Affectée à un détachement de Civil Affairs de la First U.S. Army dont la mission était d’installer les camps de transit avancés, nos occupations étaient multiples et variées, Il s’agissait de chercher, recenser, nourrir, loger, soigner, et réexpédier les réfugiés, Il fallait aussi, bien sûr encourager, consoler, expliquer, car la plupart des réfugiés, dont la majorité était des femmes et enfants, avaient été soumis à des bombardements intenses et arrivaient au camp totalement démunis moralement et matériellement. Nous faisions également la liaison entre l’armée et les autorités françaises. Ainsi il nous arriva d’être les premiers témoins des contacts entre des officiers américains et les autorités d’un village libéré, C’était toujours très émouvant et, malgré le drame, souvent passionnant.

En général, les réfugiés arrivaient dans nos camps dans les camions à munitions vides qui se rendaient à l’arrière vers les plages mais parfois, nous allions chercher des familles isolées dans des fermes dans la zone des avant-postes. Le plus délicat était de ne pas se perdre dans les innombrables petites routes et de ne pas se trouver par mégarde du côté ennemi.

C’est ainsi qu’un jour je suis rentrée dans un village qui était encore occupé par les Allemands. La chance voulut que je sois repérée à l’entrée du village par un fermier qui cacha ma camionnette dans une étable et m’offrit l’hospitalité de sa cave. Le lendemain matin, les Américains entèrent dans le village et furent très surpris de me trouver déjà sur place… Quelque temps plus tard, le colonel Chandon, qui commandait la M.M.L.A. tombait entre les mains d’une patrouille allemande. Accompagné de deux de nos camarades, il se rendait à Avranches pour installer un nouveau camp de réfugiés. Les deux jeunes filles furent blessées et le colonel abattu; l’armée allemande avait en effet déclaré que les militaires français en uniforme se battant avec les Alliés étaient des francs-tireurs et que par conséquent, ils devaient être passés par les armes.

Notre équipe disposait d’une camionnette Peugeot évacuée de Narvik sur l’Angleterre en 1940. Admirable voiture, qui bien qu’ayant servi plusieurs années en Angleterre à l’entraînement de la troupe, marchait toujours ! Elle avait l’avantage considérable d’être pratiquement inutilisable par d’autres que moi et, la principale réussite de ma carrière militaire a été de la conduire jusqu’en Allemagne. Bien que mitraillée deux fois près de Vire et à Bastogne, un peu bancale et percée de balles, elle nous transporta jusqu’au bout.

Je suis sûre que d’innombrables gens se sont réjouis lorsqu’ils ont aperçu la vieille camionnette, sa grande croix de Lorraine et son drapeau tricolore.
Après la Normandie, Fontenay, Cavigny, Saint-Lô, Mortain, ce fut l’immense et indescriptible joie de la libération de Paris. Engagées pour la durée de la guerre, les équipes de la M.M.L.A., renforcées par de nouvelles volontaires de France, continuèrent la marche en avant vers le Nord, la Belgique, les Ardennes, l’Alsace-Loraine et l’Allemagne. Ce furent les immenses camps de D.P. (1) où 20.000 personnes transitaient par jour, le rapatriement des prisonniers et la grande tragédie des camps de déportés.

Au fur et à mesure de son avance en territoire ennemi, l’armée américaine consacrait un effort accru aux réfugiés, prisonniers et D.P. Cet énorme déplacement d’hommes et de femmes dans les conditions chaotiques d’un pays ravagé était devenu le problème n° 1. Grâce à la remarquable organisation et à l’équipement de l’armée américaine, le rapatriement par rail, route et air se fit très rapidement.

Vingt-cinq ans après, ces péripéties n’ont guère qu’un intérêt anecdotique mais il était bon que la France fut représentée dans cette tâche avant tout humanitaire, et il reste que les Forces Françaises Libres parmi les armées alliées ont accepté d’envoyer sur le terrain des équipes féminines. Ainsi des milliers et des milliers de D.P. de toute l’Europe (les plus nombreux étant les Russes et Polonais) furent accueillis par des Françaises dès leur libération. L’aide apportée a d’ailleurs été reconnue par l’armée américaine qui décerna des décorations à notre groupe :
« Pendant toute cette période, les services rendus par la M.M.L.A. dans le contrôle des réfugiés et leur réadaptation contribuèrent matériellement aux efforts et à l’avance de la 1re armée américaine. »

(Extrait de citation attribuant le Bronze Star Medal signé de Courtney H. Hodges lieutenant général, commandant la First U.S. Army).

Sonia Éloy

(1) D.P. : « displaced persons », soit « réfugiés ».

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 187, octobre 1970.