Témoignage du général Kœnig

Témoignage du général Kœnig

Témoignage du général Kœnig

Dans son traité De la guerre, Charles von Clausewitz écrivit dans un chapitre consacré à ce quil appelle les Grandeurs morales (1) : « … C’est l’esprit qui imprègne la guerre tout entière… Même si la thorie de l’art de la guerre devait se borner à rappeler l’existence de ces grandeurs, à démontrer la nécessité d’estimer les grandeurs morales à leur juste valeur et de les faire entrer en ligne de compte, elle aurait déjà pour avantage d’étendre son domaine à cette sphère de l’esprit, – et rien qu’en constatant l’importance de ce point de vue, elle condamnerait à l’avance quiconque tenterait de justifier devant son tribunal le fait de n’accepter que les rapports de force purement physique. »
Quand certains événements contemporains se seront suffisamment éloignés avec le temps, j’écrirai avec l’ampleur désirable, ma propre contribution à l’histoire de cette bataille de Bir-Hakeim, telle qu’elle fut, à mes yeux préparée et conduite jusqu’à son point final… Je n’essayerai pas de farder la vérité, ni à mon encontre, ni visà-vis de ceux qui furent alors sous mes ordres.
Mais je puis attester ici que mes subordonnés, état-major, chefs de corps ou de services, officiers, sous-officiers, quartiers-maîtres, hommes de troupe, furent animés de cet esprit qui « imprègne la guerre », d’un esprit de grande qualité, allié à une foi profonde dans l’exceptionnelle grandeur de leur cause, essentiellement la libération de la France comme des Territoires qui lui étaient, à l’époque, attachés outre-mer. Sur ce point précis, aucun doute dans mon jugement de chef.
C’est pourquoi il nous faut attacher une réelle importance aux appréciations finalement élogieuses que porta sur notre action le chef des forces adverses qui, durant ces deux semaines, nous menèrent la vie dure, très dure! Si, dans les dernières de la bataille, nos propres forces, mal en point, ne fléchirent pas, c’est qu’elles étaient animées par l’esprit et la foi qui souleva les montagnes.
Honneur à ceux qui périrent, les armes à la main, au cours de ces journées décisives dont dépendirent, je l’affirme sans outrecuidance, le sort du théâtre d’opérations du Moyen-Orient.
 
(1) Livre III, ch. 3.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.