Parmi d’autres, une attaque est repoussée

Parmi d’autres, une attaque est repoussée

Parmi d’autres, une attaque est repoussée

Par Sébastien Moga, le « Petit Chef » de la compagnie lourde du B.M. 2

Bir Hakeim, 8-6-1942 Point d’appui des « Mamelles »

Dès l’aube, une première détonation éclate, la sarabande des jours précédents recommence. Objectif : « les Mamelles ».

Les gros « noirs » tombent comme la pluie, ricochent au ras du sol, détruisent tout sur leur passage, le choc final est terrifiant.

L’adjudant Lemoine bondit sous les rafales, il me demande de remplacer à soixante mètres de là le chef de pièce d’un 75 anti-char. Il s’agit de régler le tir au télémètre.

Au début de l’après-midi, une attaque allemande fonce sur nous: quatre gros chars suivis d’infanterie, quatre autocanons de 88 et quatre A.M. huit roues. Cette formation crache le feu de tous les bords. Va-t-elle nous submerger?

Mes servants sont à leur poste, caporal tireur Germain et quatre tirailleurs dans le trou circulaire, le reste camouflé dans les boyaux en zigzag. Je dois me jeter à plat ventre avec le télémètre tant le tir ennemi est dense.

Une fois encore la chance nous favorise: le vent rabat poussière et fumée à l’arrière, gêne l’attaquant dont les salves légèrement déréglées creusent un cratère de plus en plus profond à quelques mètres en arrière de la pièce. Un obus finit par nous atteindre ; par miracle seule la bêche du canon est touchée, le télémètre est bousculé sans dommages et… mes pieds criblés d’une vingtaine d’éclats. Aux trois quarts enterré, ma tête émerge et j’encourage mes braves Noirs qui redoublent d’activité tout au long des quatre heures de combat.

Bientôt, dans une éclaircie, apparaissent le toubib, docteur capitaine Guenon et mon cher capitaine Lhuillier accompagnés de tirailleurs et d’une civière ; ils sont plutôt surpris de nous trouver encore vivants après ce déluge d’obus et de mitraille. Où sont les morts? Nous leur montrons la bêche du 75 !

Tout à la joie d’avoir repoussé l’attaque, nous voulons oublier nos meurtrissures et ces nombreuses petites blessures auxquelles pas un seul combattant de Bir-Hakeim parmi les plus favorisés n’a échappé.

Dans le no man’s land, six engins blindés allemands sont immobilisés ; tout autour les brancardiers protégés par la Croix rouge relèvent leurs nombreux morts et blessés.

Notre capitaine est ému et, rompant avec sa froideur apparente, nous félicite chaudement.

Un soir de plus tombe sur Bir-Hakeim.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.