Vingt-cinq ans après

Vingt-cinq ans après

Vingt-cinq ans après

Voyage du colonel Hautefeuille – mai 1967

Nos camarades se souviennent sans doute qu’en 1965, le colonel Bellec, ancien du BP1, avait été invité par l’armée britannique à participer à un voyage d’études sur les champs de bataille de Cyrénaïque et, entre autres, à Bir-Hakeim.
Cette année, le commandement des forces britanniques à Malte et en Libye a organisé un nouveau voyage et, de nouveau, invité un officier français à participer, à côté de deux officiers allemands, anciens de l’Afrika-Korps. Notre camarade le colonel Hautefeuille a donc été, du 7 au 12 mai, l’hôte du major général Leackey, commandant des forces britanniques à Malte et en Libye.
Avec quelques cent cingt officiers britanniques (1) et six officiers de la jeune armée libyenne, il a pu visiter les principaux centres des combats de mai-juin 1942 : Knightsbridge, le Chaudron, le périmètre de Tobrouk. A chaque point les officiers allemands apportaient leur témoignage après l’exposé des organisateurs britanniques.
A Bir-Hakeim, notre camarade Hautefeuille a, à son tour, évoqué la résistance de la 1re brigade française libre, et assuré ses auditeurs que les sentiments de fraternité de cette époque étaient toujours aussi forts au cœur des anciens de la brigade. Un télégramme avait été envoyé le matin par le major général Leackey au général Kœnig ; la réponse de celui-ci, reçue le soir même, a été particulièrement appréciée par tous les participants.
Le dernier jour a été marqué par de brèves et émouvantes cérémonies aux cimetières militaires du Commonwealth, de l’Afrika-Korps, et enfin à celui, français, qui a été construit en 1955 à King’s Cross, plus facilement accessible que Bir-Hakeim : à chacun d’eux, trois couronnes ont été déposées, marquées des couleurs britanniques, françaises et allemandes, en présence de tous les participants.
Leurs Excellences Monsieur R.F.G. Sarell, ambassadeur de Sa Majesté britannique, et Monsieur Paul Fouchet, ambassadeur de France en Libye, assistaient également à ces cérémonies.
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Le désert libyen est toujours aussi désert. Il l’est même plus que du temps où nous l’avons connu, car toutes les carcasses de chars ou de véhicules ont disparu, de même que les barbelés marquant les champs de mines, et même ces « barrels », ou bornes, qui jalonnaient les différentes pistes. Si bien que le fort de Bir-Hakeim prend maintenant dans le paysage une importance qu’il n’avait pas autrefois.
Tous les trous, tous les abris subsistent, mais, faute de points de repère, il est difficile de trouver « le sien », d’autant que l’on accède maintenant à la position sous un angle inhabituel, par le Trigh Bir-Hakeim, dont le tracé traversait autrefois le V, et qui ne pouvait de ce fait être utilisé.
L’ancien cimetière est toujours là à titre de mémorial, mal entretenu, certes, car il n’y a pas de gardien et les visites y sont rares, mais décent malgré tout, et combien émouvant dans ce dépouillement.
Le nouveau cimetière de King’s Cross en a repris toute la disposition monumentale, mais à une échelle plus réduite ; le monument est en calcaire du pays, de couleur fauve et de belle patine, mais malheureusement fragile peut-être pour un pays où le vent de sable attaque en quelques années les meilleurs marbres. Un grand nombre de corps ont été transférés en France, à la demande des parents, mais toutes les croix sont toujours en place, avec les noms de nos disparus. Quelques corps de camarades tombés au Fezzan, et ceux de deux volontaires de l’American Field Service, y ont trouvé également leur dernier abri. Une stèle, enfin, reproduction de celle inaugurée en 1947 à Bir-Hakeim, y évoque la mémoire des soldats britanniques qui sont tombés aux côtés des nôtres.
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Il intéressera sans doute nos camarades de savoir que la Libye amorce actuellement, grâce aux ressources que lui procure son pétrole, un développement que rien ne laissait prévoir autrefois.
Les premiers gisements ont été découverts au sud du golfe de Syrte. La BP vient d’en mettre un en exploitation dans la région de Djeraboud, à quelque trois cent kilomètres au sud de Tobrouk, où débouche maintenant un pipe-line important. La production totale devrait être de quelque 50 millions de tonnes en 1970, et continuer à croître par la suite.
Les royalties permettent de financer d’importants travaux de développement, qui marquent déjà le paysage dans la région de Tobrouk : importante école technique, autoroute qui, sur 1.800 kilomètres, reliera la frontière tunisienne à celle d’Egypte, villages en dur pour amener progressivement les Bédouins à la vie sédentaire.
La jeune armée libyenne prend part au développement du pays, en même temps qu’elle se prépare à assurer son éventuelle défense. Très marquée évidemment par l’influence britannique, elle n’en reste pas moins prête à répondre à toutes les amitiés : les officiers libyens qui participaient au voyage d’études l’ont bien manifesté, par leurs attentions à l’égard de notre camarade.
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Qu’il nous soit permis, en conclusion, d’exprimer ici à nos amis britanniques notre reconnaissance pour la fidélité de leur souvenir, et de les assurer que le nôtre est toujours aussi vivace ; pour ceux qui se sont battus au sein de la 8e armée, en particulier, « Free French » ou « Français Libres », c’est tout comme, cela éveille la même qualité d’émotion.
(1) Les Britanniques disposent encore, au terme d’un traité qui les lie à la Libye, de la base aérienne d’El-Adem, et de vastes terrains d’exercice dans toute la Cyrénaïque. L’armée de terre a une ou deux compagnies basées à El-Adem-Tobrouk, et un régiment d’automitrailleuses à Benghasi. De nombreux régiments viennent en outre d’Europe pour utiliser les terrains de manœuvre.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 168, juin 1967.