La 2e D.B. (août 1944)

La 2e D.B. (août 1944)

La 2e D.B. (août 1944)

Le 6 juin 1944, la 2e D.B., stationnée en Angleterre, apprenait à la fois avec joie et amertume que le débarquement venait d’avoir lieu sur les côtes de Normandie : avec joie, parce que ce jour tant attendu marquait le début de la libération du territoire ; avec amertume, parce qu’elle se voyait tenue à l’écart de cet assaut sans précédent dans l’Histoire. Elle devait ronger son frein en Angleterre jusqu’en fin juillet, ignorant encore que le commandement lui réservait une mission magnifique entre toutes : celle de l’exploitation profonde qui devait l’amener à la fermeture de la poche de Normandie et à la libération de Paris.
Le débarquement de la 2e D.B. sur les plages du Cotentin fut en quelque sorte un débarquement administratif ; le regroupement s’effectua sans incidents notables dans la région de La Haye-du-Puits, champ de bataille encore chaud des combats de la veille.
La première mission confiée à la division fut de se porter dans la région d’Avranches en vue de coopérer au maintien de l’intégrité du goulot que venait de franchir le général Patton avec une hardiesse admirable et un sens aigu de la manœuvre et que menaçait, à partir de Mortain, une contre-attaque de Von Kluge. Seuls quelques éléments légers eurent l’occasion de prendre contact avec l’ennemi, ce qui amena ce dernier à nous situer encore au nez de son saillant lorsque quelques jours plus tard nous l’attaquions dans le dos vers Alençon. Cette première mission fut de courte durée : dans la nuit du 8 au 9 août, la division s’ébranlait pour un large mouvement tournant qui, amorcé plein sud, devait ensuite s’infléchir vers l’Est afin de prendre à revers la VIIe armée allemande. Les routes s’ouvraient en éventail, miraculeusement libres, entre les unités allemandes qui refluaient vers la Bretagne et vers Nantes et celles qui se reformaient hâtivement à partir de Mortain pour constituer à tout prix un flanc sud à la VIIe armée.
Le mouvement de la division s’accomplit avec une incroyable rapidité : partie dans la nuit de la région de Saint-James, où elle venait de subir un sérieux bombardement aérien, ses têtes de colonne se trouvaient le soir même sur la Sarthe où le XVe corps U.S.A. venait de conquérir, autour du Mans, une tête de pont d’une vingtaine de kilomètres. Sans marquer de temps d’arrêt, les deux groupements de tête (groupement Langlade à droite et groupement Dio à gauche) passaient la rivière de nuit sur deux ponts établis par le génie U.S. et dès le 10 à l’aube attaquaient en direction d’Alençon, appuyés à droite par la 5e D.B.U.S. Les conditions d’engagement de la division ne se présentaient pas sous un jour des plus favorables : la tête de pont étroitement embouteillée, la 5e D.B.U.S.A. encombrait nos itinéraires, les arrières avaient plus ou moins bien suivi dans la ruée depuis Avranches, l’échelon du 12e cuirassiers en particulier, durement touché par le bombardement de la nuit précédente, n’avait pu rejoindre à temps. Peu importe, l’essentiel était de foncer à tout prix et de gagner le boche de vitesse avec Alençon comme premier objectif. Le démarrage fut assez pénible : outre le flottement inhérent du premier jour de combat, la nature du terrain relativement accidenté et coupé de haies souvent infranchissables, rendait la progression difficile et se prêtait admirablement à l’action retardatrice de la 9e Panzer. Cependant, le 10 au soir, la 9e Panzer était refoulée au-delà de la ligne Vivoin-Doucelles-Dangeul. Le 11 au matin, la progression reprenait dans des conditions largement améliorées : la prise du point fort de Rouesse-Fontaine permettait d’enfoncer le centre du dispositif ennemi et de pousser hardiment en direction d’Alençon par Bourg-le-Roi et Champfleur que nous devions atteindre à la tombée de la nuit ; les ponts d’Alençon, clé du développement ultérieur de la manœuvre, étaient à portée de notre main. Le général Leclerc, obsédé par cette idée, prit l’affaire à son compte et les fit enlever par surprise en pleine nuit. Sans cette intervention personnelle du commandant de la 2e D.B., l’action n’eût été menée qu’au matin et l’ennemi aurait disposé du temps nécessaire pour détruire les ponts, nous bloquant au sud de la Sarthe pendant un temps suffisant pour s’établir solidement autour de la forêt d’Écouves, dans les trouées de Ciral et de Sées.
Par un hasard providentiel, l’enlèvement des ponts d’Alençon avait fait tomber entre les mains du général Leclerc une carte tout équipée d’un intérêt capital. La manœuvre de l’ennemi s’y dessinait avec netteté :
La 9e Panzer, qui bloquait depuis la veille au soir le groupement Langlade et la 5e D.B.U.S. aux lisières sud de la forêt de Perseigne, avait ordre de se replier au cours de la nuit dans la forêt d’Écouves, bastion central du dispositif ennemi. La 116e Panzer devait la flanquer à l’Est en direction de Sées, la 2e Panzer, axée Nord-Sud, la flanquant à l’Ouest dans la trouée de Ciral et sur l’éperon de Carrouges. L’ennemi comptait ainsi couvrir pendant un temps suffisant les dernières artères à gros débit indispensables à son décrochage, en particulier la nationale 24bis.
En possession des intentions de l’ennemi, il s’agissait de gagner ce dernier de vitesse : le groupement Dio est lancé aussitôt sur Ciral et Carrouges.
Bénéficiant d’une intervention aérienne aussi puissante qu’opportune, ce groupement parvient d’un seul élan jusqu’à Boucé par Ciral, Carrouges et Mesnil-Salleur, taillant en pièces le gros de la 2e Panzer surprise en plein déplacement.
Le groupement Langlade, renforcé du sous-groupement Roumiantzoff, glissant devant !a force de Perseigne livrée à un puissant bombing, est axé sur les lisières Sud et Ouest de la forêt d’Écouves, bousculant la 9e Panzer et la bloquant dans la forêt.
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Le triomphe à Paris (RFL).

Le groupement Billotte, tenu jusque-là en réserve, prend à son compte une large manœuvre de débordement vers l’Est. Il se porte en un premier temps sur Sées où il prend contact avec la 5e D.B.U.S. dont l’objectif est Argentan, sur la nationale 24bis. Aux débouchés de Sées, le contact est pris avec la 116e Panzer gagnée de vitesse : un sous-groupement est lancé droit sur Écouché qui commande un pont sur l’Orne sur la nationale 24bis ; le reste du groupement fonce sur le carrefour de Tanville ; de là une partie se rabattra au Sud sur la 9e Panzer fixée par Langlade dans la forêt d’Écouves ; une autre partie foncera sur Écouché. Pendant deux jours, le groupement Billotte, pour atteindre et tenir ses objectifs, livrera des combats confus et très durs contre un adversaire désemparé mais animé du désir farouche de se dégager.

Le 14 au matin, le front de la division, contenant le déferlement d’une marée d’unités ennemies en retraite, affectait en gros la forme d’une équerre dont la pointe se trouvait à Écouché, la branche nord s’étendant vers Argentan et la branche sud vers Carrouges, encadré à droite par la 5e D.B. et à gauche par la 3e D.B.U.S. Le mot « front » donne d’ailleurs une image inexacte de la réalité car, à l’intérieur de l’équerre, tournoyaient des éléments ennemis coriaces à réduire, utilisant au maximum les repaires naturels de ce terrain boisé et coupé pour échapper à la destruction (l’infanterie américaine mettra une bonne semaine à assurer le nettoyage).
Les jours qui suivirent consacrèrent l’écrasement définitif de la VIIe armée allemande entre les divisions américaines et les divisions britanniques descendant de Fiers et de Falaise. La fermeture de la poche s’effectua le 19 août, à Chambois, sur un véritable charnier : la 2e D.B. était libre pour s’élancer vers Paris.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 69, juin 1954.