Le BM.2 sur le front de l’Atlantique, par Maurice Bayrou

Le BM.2 sur le front de l’Atlantique, par Maurice Bayrou

Le BM.2 sur le front de l’Atlantique, par Maurice Bayrou

Compagnon de la Libération, ancien commandant en second

Du PC du bataillon, on aperçoit la 5e compagnie qui part à l’attaque. Les hommes foncent sous de violents tirs de mitrailleuses (RFL).
Du PC du bataillon, on aperçoit la 5e compagnie qui part à l’attaque. Les hommes foncent sous de violents tirs de mitrailleuses (RFL).

Après la bataille de Bir-Hakeim, à la fin de 1942 l’Afrique du Sud a manifesté son intention de se maintenir à Madagascar avec le muet assentiment de Londres.

Présent à Beyrouth à cette époque, le général de Gaulle a immédiatement réagi et décidé d’acheminer d’urgence des renforts à Tananarive pour asseoir l’autorité du général Legentilhomme, haut commissaire, qui s’y trouvait tout seul.
C’est le BM.2 non encore reconstitué (après les lourdes pertes de Bir-Hakeim) qui a été désigné pour cette tâche, avec pour mission de s’opposer fermement aux « Zoulous », et de rendre définitivement la Grande île à la France.
Cette mission remplie au bout de quelques mois, le bataillon rejoint l’Algérie en passant par Casablanca, mais en faisant un détour par Bangui pour compléter ses effectifs.
L’hiver étant venu, il apparaissait difficile d’amener nos tirailleurs africains en métropole avec le froid. Après consultation, « les gars du BM.2 », blancs et noirs, dans un même élan patriotique, ont décidé sans hésitation de surmonter ce handicap. Ils voulaient tous se battre sur le sol de France.
Les canons antichars passent la brèche du champ de mines de Boube, en bordure du marais (RFL).
Les canons antichars passent la brèche du champ de mines de Boube, en bordure du marais (RFL).

Malheureusement, les autorités militaires de l’époque, en Algérie, avaient décidé de nous garder sur place pour éventuellement assurer le maintien de l’ordre.

À partir de ce moment, il fallut mener un combat permanent, et ce n’est qu’après de longues négociations à Paris, notamment auprès du général de Larminat, qui venait d’être nommé commandant en chef des forces devant les poches de l’Atlantique, que ce dernier est intervenu de manière puissante et a réussi à nous faire affecter sur le front de Royan.
C’est ainsi que, le 22 janvier 1945, à midi, nous arrivons à Châteauneuf-sur-Charente et rejoignons nos lignes aux avant-postes devant Royan. Cette « guerre de tranchées », avec tout ce que cela comporte, durera jusqu’au dernier moment avant l’attaque.
14 avril, 6 h 30 – La canonnade s’élève brusquement et fait rage, l’attaque des avant-postes ennemis est déclenchée. Le I/150e RI, Bigorre et Foch s’emparent dans la matinée du bois de la Chasse, de Semussac, du château de Didonne, Trignac, Musson, Toussauge. Notre aviation surgit, vague après vague, et transforme l’horizon en incendie et fumée.
Les Allemands se rendent (RFL).
Les Allemands se rendent (RFL).

Le bataillon s’approche, fait halte au Chay, témoin de nos exploits et de nos impatiences, il franchit enfin les anciennes lignes, s’engage dans la plaine sillonnée jadis par nos patrouilles et s’établit dans la région de l’Erce – la Cabane Rouge.

Au début de l’après-midi, le chef de bataillon, les commandants de compagnie et les chefs de section se portent sur la crête où s’opèrent les derniers nettoyages ; ils procèdent à une reconnaissance détaillée du terrain.
Devant nous à 1 000 mètres, entre deux marécages, Chenaumoine et Belmont, s’allonge la crête à attaquer, première ligne de la position de résistance ennemie. Bordée par un champ de mines d’une centaine de mètres de profondeur, elle s’organise en points d’appui fortifiés que les Allemands, depuis de nombreux mois, ont étudiés avec toutes les ressources de leur savoir et de leur malfaisance.
De part et d’autre des deux rives de la Gironde : Royan et la Pointe de Grave (RFL).
De part et d’autre des deux rives de la Gironde : Royan et la Pointe de Grave (RFL).

Le BM.2, encadré au nord par le 4e Zouaves, au sud par le bataillon des Antilles, a pour mission d’enlever une série d’objectifs successifs en direction de Saint-Georges-de-Didonne et Royan.

Le premier d’entre eux, c’est celui de Boube, centre de résistance formé de trois points d’appui en ligne et puissamment aménagé, ceinture de mines, de barbelés, farci de blockhaus et de canons légers.
Le deuxième, à un kilomètre plus loin, englobe la position d’artillerie avec les villages de La Grange et des Brandes ; le troisième, les Moulins de Didonne. Derrière, le gros bourg de Didonne puis, sur la route de Royan, Enlias, La Triloterie, faubourg de la ville, le Parc et la Grande Conche, face à l’océan.
Pour le moment, le commandant Amiel étudie le terrain derrière quelques buissons ; il aperçoit nettement le champ de mines de Boube, dont les boches ont laissé – par quel oubli – les fils de fer de bordure ; il fixe nettement l’emplacement de la brèche à ouvrir le lendemain. Les spectateurs deviennent un peu trop nombreux… l’ennemi sanctionne cette désinvolture par quelques coups de mortier bien assénés.
Dans la nuit, une patrouille du sous-lieutenant Gros, chef des Pionniers, s’approche du champ de mines dans l’intention de jalonner la future brèche ; elle se heurte sans dommage à un élément de surveillance.
Nuit calme sur le front, entrecoupée d’allées et venues et de liaisons ; demain, le grand jour.
Un engagement rapide mais d’une terrible violence se déroule aux Moulins de Didonne (RFL).
Un engagement rapide mais d’une terrible violence se déroule aux Moulins de Didonne (RFL).

15 avril 1945 – Dès l’aube, nos mortiers se portent sur la crête entre Musson et Toussauge ; ils procèdent à la création d’une brèche dans le champ de mines, en coopération avec les 75 et les 105.

L’aviation de bombardement entre en action, par vagues massives elle déverse des tonnes de bombes sur les objectifs voisins. Spectacle grandiose : les escadres rapides, haut dans le ciel, laissent derrière elles de longues traînées blanches parallèles ; le premier avion pique vers l’objectif et laisse tomber une bombe traçante ; derrière elle, dans son sillage, scintillantes et argentées, les autres suivent en pluie serrée ; on les suit à l’œil nu jusqu’au moment où elles disparaissent dans d’immenses nuages de fumée, au milieu d’explosions et de hautes gerbes de flammes sans cesse renouvelées ; c’est un roulement de tambour continu, un bruit fracassant ; une image de l’enfer à l’échelle des temps modernes.
La « route infernale », sortie de Didonne, vers Royan (RFL).
La « route infernale », sortie de Didonne, vers Royan (RFL).

Le commandant inspecte une dernière fois ses unités : visages décidés, regards clairs, sourires confiants. Allons, le bataillon est en belle forme, le moral élevé, le soleil resplendit, la campagne est belle. Nous vaincrons.

Midi et quart. Voici la montée sur la base de départ, 5e compagnie en tête, elle aura l’honneur d’attaquer le premier objectif, soutenu par tous les feux du bataillon. Le commandant, debout dans son bren-carrier, remonte les colonnes et crie aux Noirs : « Au coupe-coupe ! »
Le tir de préparation d’artillerie se déclenche, il va durer 40 minutes. La 5e compagnie, commandée par le lieutenant Valli, s’approche de la brèche déjà jalonnée par les pionniers ; l’ennemi tire à la mitrailleuse lourde et légère et tente de nous arrêter par des barrages de mortiers ; le PC du bataillon est bien encadré ; plusieurs tués, dont le jeune sergent Thomas, et une dizaine de blessés.
Le commandant se porte en tête et, 5 minutes avant la levée de notre tir d’artillerie, lance ses bren-carriers et la 5e compagnie à l’assaut. Le premier point d’appui est débordé par le sud, les boches n’ont pas le temps de relever la tête, ils sont sabrés avec furie ; le second est abordé de la même façon, Blancs et Noirs sont déchaînés, ils sautent, hurlent, taillent et, sans presque s’arrêter, bondissent sur le dernier ouvrage près du marais. Dès 13 h 45, le commandant signale au groupement : « Objectif atteint ». Quatre-vingt prisonniers restent entre nos mains, nous ne comptons pas les morts.
Saint-Georges-de-Didonne : une mitrailleuse crache (RFL).
Saint-Georges-de-Didonne : une mitrailleuse crache (RFL).

La 7e compagnie, commandée par le lieutenant Régnier, a suivi. Soutenue par la 5e à sa droite, elle attaque aussitôt sans préparation d’artillerie les organisations du deuxième objectif au nord de La Grange et au sud du marais. À travers les éclatements serrés du barrage ennemi, elle est suivie d’un peloton de chars du 18e Chasseurs, auxquels le commandant a fait traverser lui-même le champ de mines ; la 7e progresse, fanion au vent, dans une charge irrésistible et sans merci. À 14 h 10, la crête est prise.

Sans s’arrêter, le bataillon pousse sur les Moulins de Didonne. Il est entièrement déployé : 5e au centre, 7e à gauche, 6e à droite, la CL en appui. L’engagement est extrêmement rapide, mais de part et d’autre d’une violence terrible ; les boches s’accrochent dans les maisons, nos chars les canonnent à bout portant, les bren-carriers et les fantassins donnent l’assaut, c’est le carnage.
Didonne est devant nous, ses premières maisons à quelques dizaines de mètres. Sans attendre l’unité qui devait l’attaquer, le BM.2 saute sur le village, l’ennemi n’a pas le temps de se ressaisir, une partie des occupants sont tués ou faits prisonniers, les autres s’enfuient, un superbe drapeau rouge à croix gammée est pris.
Il est 15 h 15, le bataillon a enlevé tous ses objectifs, à une allure de troupe motorisée ; il est seul maintenant, en pointe, et il doit s’arrêter. D’ailleurs, l’ennemi s’accroche désespérément sur cette ligne de défense intérieure puissante : Saint-Georges-de-Didonne-Enlias. Une section de la 5e compagnie tente de forcer le passage vers Royan, elle est plaquée au sol. Le dispositif suivant est réalisé :

Mouvement de troupes aux abords de Royan (RFL).
Mouvement de troupes aux abords de Royan (RFL).

– 5e compagnie et chars à la défense de Didonne ;

– 6e compagnie à droite jusqu’au marais devant un triple champ de mines ;
– 7e compagnie aux Moulins-de-Didonne et au carrefour des routes de Royan et de Saint-Georges ;
– le PC du bataillon dans Didonne.
15 h 45 – Le bataillon des Antilles fait son apparition.
Le lieutenant-colonel Tourtet dans une Jeep vient retrouver le commandant Amiel à la sortie de Didonne, vers Royan. Ils conviennent que le BMA.5 assurera la défense de la moitié sud de Didonne vers La Tuilerie et Saint-Georges ; au BM.2 la partie nord ; à ce moment, l’ennemi envoie quelques fusants, les rues du village sont balayées par la mitraille.
Notre commandant est appelé au PC du sous-groupement Faulconnier et reçoit l’ordre de continuer vers La Triloterie ; à peine est-il parti qu’une rafale de 88 couche à jamais le colonel Tourtet et ceux qui l’entouraient. Chez nous, le capitaine Blanchard, qui fit des prodiges à la tête des bren carriers, l’adjudant Zilliox, le vieux Schoen, Vallerin, Charles Pérez et combien d’autres sont grièvement blessés ; le lieutenant Valli, criblé d’éclats, admirable de sang-froid, surmonte ses souffrances et passe le commandement à son adjoint le lieutenant Mufraggi ; le brave et sérieux sergent radio Merbel, ancien professeur de mathématiques au cours secondaire de Brazzaville, est mortellement blessé. L’ennemi redouble d’efforts et amorce même une contre-attaque sur le flanc droit et les arrières de la 6e compagnie qui la stoppe net. Le père Michel, notre aumônier, nos courageuses et dévouées ambulancières, Mlle Dineur et Mlle Boussus, la « Moulingué », toutes deux de la Croix-Rouge, se prodiguent sans compter.
C’est dans cette situation dramatique que le chef de bataillon va reprendre l’offensive et tenter de passer. Il appelle le lieutenant Mufraggi et lui donne l’ordre d’attaquer Enlias. Il s’engage avec lui sur la route infernale ombragée de grands arbres, aux fossés pleins d’herbe tendre – mais piégés. À droite et à gauche, les champs minés interdisent toute manœuvre. Deux sections s’infiltrent néanmoins par les fossés ; quelle décision, quelle ardeur ! Elles n’ont pas fait 200 mètres que le barrage s’abat, puissant et sans appel : 88 mortiers, V.4 mitrailleuses lourdes et légères. Une tourelle blindée est repérée, une mitrailleuse perchée dans le clocher de Saint-Georges crache rageusement. Nos chars, l’infanterie, nos 105 ripostent ; sans résultat, les boches tiennent bon. Un char est atteint de plein fouet, il flambe, une partie de l’équipage réussit à se sauver, mais son lieutenant est blessé mortellement par un piège du fossé.
Le port de Royan (RFL).
Le port de Royan (RFL).

L’attaque est complètement arrêtée ; le commandant est appelé par le lieutenant-colonel Faulconnier, il rend compte de la situation ; le colonel Adeline, de passage au PC, confirme l’ordre de reprendre l’attaque. Un nouveau peloton de cinq chars est mis à la disposition du commandant. Celui-ci conduit à nouveau en personne l’opération et fait avancer péniblement, mètre par mètre, chars et infanterie ; un violent abordage de Mufraggi et c’est la percée. Les cadavres boches jonchent le terrain, la nuit tombe, la lutte a duré quatre heures pour quelques dizaines de mètres. Il est 20 h 40. En avant vers La Triloterie.

La 5e est en flèche, elle fonce vers le but. Le commandant revient à son PC, où s’active le capitaine Bayrou qui veille aux liaisons, à l’observation, aux transmissions d’ordres, au ravitaillement, à l’évacuation des blessés, à la sûreté des arrières. Il lui prescrit de pousser vers l’avant le gros du bataillon, sur bren carriers navettes. Les conducteurs sont hors de combat ? Qu’importe, des bonnes volontés sont là, on les utilise et les transports se font à toute allure. C’est le rush du BM.2 vers la ville.
Mufraggi et ses garçons enlèvent les blockhaus de La Triloterie, débouchant ainsi les premiers dans les faubourgs de Royan. Peu après, le 4e Zouaves arrive, la liaison est réalisée. Il est plus de 10 heures du soir : pour aujourd’hui, c’est la fin des combats ; le bataillon s’installe défensivement sur le terrain conquis. La terre, cette nuit, sera douce au combattant.
Elle sera douce aussi à tous les braves qui sont tombés. Nous faisons l’appel : combien de blessés, combien de morts ? Parmi ces derniers, l’adjudant Forget, un des anciens du bataillon, de ceux du ralliement, de Syrie, de l’Euphrate, de Bir-Hakeim ; le petit chef Barbot, gai compagnon, sportif et plein d’entrain, volontaire de la Réunion ; le chef comptable Tricard, de Madagascar, qui avait insisté pour combattre aux premiers rangs ; notre sympathique Charlie, lui aussi comptable, tombé en tête de sa section ; Tieffenbach, motocycliste de la 7e, toujours si actif et dévoué, tué en pleine action ; le sergent-chef indigène Dama, ancien de Bouar, un de nos plus sérieux gradés… La liste est encore longue : en dix heures de combat, le BM.2 vient de perdre 107 hommes, 23 tués et 84 blessés.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 289, 1er trimestre 1995.