Les FAFL et la Bretagne

Les FAFL et la Bretagne

Les FAFL et la Bretagne

par le général Valin

L’anniversaire du 18-Juin 1940 étant placé, cette année, sous le signe de la Bretagne, je veux faire ici un bref exposé des liens qui l’ont unie aux F.A.F.L. entre l’armistice et la victoire.

Cette province fut, indiscutablement, l’une de celles qui nous aida le plus dans notre tâche difficile tant par le nombre des compagnons qu’elle nous envoya que par le soutien que trouvèrent nos parachutistes dans ses landes et ses taillis au débarquement du 6 juin 1944.

Je n’insisterai pas sur le départ en corps constitué de l’école de pilotage n° 23. Repliée du Mans sur Morlaix, elle suivit son chef, le capitaine Pinot, celui que Guynemer, en 1917, appelait Bouboule.

Elle s’embarqua au nombre de 108 dont deux officiers, 21 sous-officiers et 85 caporaux et soldats sur le langoustier Le Trebouliste dans le port de Douarnenez. Mais je laisse à Bouboule le soin de vous raconter cette aventure qu’il a menée avec l’aide de son aumônier, l’abbé Godard, père blanc de Prémontré.

Parmi les évasions les plus spectaculaires, je citerai celle du jeune Maurice du Fretay. Celui-ci était propriétaire d’un petit avion de tourisme, un Zlin, équipé d’un moteur de 45 CV. Avant de s’engager dans l’armée de l’air, en octobre 1939, il l’avait entièrement démonté sur le terrain de Dinan où il était abrité et avait transporté toutes les pièces ainsi détachées dans sa maison familiale, le manoir de Jugon, près de Rauléon, où il les répartit jusque dans les combles de la vieille demeure.

Revenu chez lui, le 25 août, après avoir été démobilisé, du Fretay, fit aussitôt des plans pour rejoindre l’Angleterre. « Je n’ai que deux moyens, se dit-il, l’avion ou le bateau. Or, comme je n’ai pas le pied marin, je choisis la voie des airs ». Après s’être rendu compte des difficultés que comportait le départ de l’aérodrome de Dinan avec le Luciole de l’aéro-club, il décide de remonter son propre appareil et de décoller de l’allée même qui le conduit au manoir. L’opération commence le 11 novembre 1940.

Aidé par deux de ses amis, Bitel et Delval, secondés par le contre-maître, le jardinier et un journalier de la propriété de sa mère, il poursuit pendant plusieurs jours ce travail si difficile pour des amateurs. Enfin, le vendredi matin 15 novembre, tout est prêt. On coupe des branches de pommiers dangereuses au bout de l’allée, on fait le plein d’essence et, après quelques hésitations, le moteur tourne. Un geste d’adieu à sa soeur souriante et à ses amis et le voilà passant de justesse la ligne d’arbres et s’élevant dans les airs. Moins de deux heures plus tard, il atterrissait dans un champ aux environs de Dorchester.

Le Zlin fut détruit au cours d’un bombardement de la Luftwaffe sur l’aérodrome où il était stocké. L’héroïque Maurice du Fretay fut abattu au cours d’une mission d’appui au profit de la division canadienne qui débarqua sur la plage de Dieppe le 19 août 1942. Il appartenait au groupe du tout jeune commandant Fayolle, petit-fils du maréchal de France dont il portait le nom. Tous les deux disparurent au cours de cette opération particulièrement dangereuse en raison de la densité de la Flak.

Je profite de cette occasion qui m’est donnée par le rappel des souvenirs glorieux de la Bretagne pour citer une évasion en bateau qui fut un peu oubliée parce, qu’hélas, elle échoua tragiquement.
Le sergent-chef Jean Magloire-Dorange était moniteur à l’aéroclub de Saint-Brieuc lorsqu’il fut mobilisé en octobre 1939. Malgré son ardent désir d’être affecté dans l’aviation de chasse, il doit rester comme instructeur à l’école de pilotage n° 25 stationnée sur le terrain où il formait, en temps de paix déjà, les jeunes de l’aviation populaire.

Rentré dans ses foyers en septembre 1940, après avoir été replié d’abord à Pau et ensuite en Afrique du Nord, il cherche aussitôt le moyen de gagner l’Angleterre. À cette intention, il établit le contact avec tous ses anciens élèves et cherche à acquérir un bateau pour mettre son projet à exécution. Avec les économies des uns et le don généreux de Mme Devouassoud, la mère de l’un d’entre eux, l’équipe trouve à acheter pour 40.000 francs un cotre de neuf tonnes : le Buhara B.M.401. C’est ainsi que le 12 février 1941, le jour où je quittai moi-même le Brésil sur un bateau anglais, il s’embarque dans la baie de Fresnaye près de Saint-Cast.

Après un début favorable, les conditions de la traversée deviennent difficiles : c’est d’abord la rupture de la grande drisse qui leur laisse juste le petit foc en guise de voilure. Puis, au milieu de la nuit, alors qu’ils se trouvent à moitié route, à l’Ouest de Guernesey, c’est le moteur qui s’arrête. La pompe à eau a cessé de fonctionner et le bateau s’alourdit de plus en plus lorsqu’au petit jour, ils aperçoivent un navire qui s’approche. L’espoir renaît à la pensée qu’il s’agit d’un patrouilleur britannique. Hélas, c’est un bateau allemand qui les prend en remorque et les emmène à Guernesey.

Ils sont interrogés, malmenés, arrêtés et finalement incarcérés à la prison maritime de Cherbourg. Transférés à Saint-Lô le 3 mars, ils y sont traduits en conseil de guerre les 19 et 20 du même mois. Dorange et Devouassoud, les chefs de l’expédition, sont condamnés à mort, 12 autres aux travaux forcés à perpétuité, et le quinzième, qui n’a que 16 ans, à sept ans de réclusion. Ce dernier demande courageusement à subir le sort de ses camarades en échange de la vie sauve de leurs deux chefs. Cette sorte de faveur lui est malheureusement refusée et ceux-ci furent fusillés le jour du samedi saint au champ de tir de l’abbaye.

Je ne crois pas qu’il puisse être rendu un plus grand hommage à ces deux héros qu’en rapportant fidèlement ci-après la dernière lettre qu’ils écrivirent le 11 avril 1941, veille de leur exécution :

Vendredi Saint, 11 avril.

« Chers Amis et Frères,

« Demain peut-être, à l’aube, vers 5 heures, on nous préviendra que notre recours en grâce a été refusé, et une demi-heure après nous ne serons plus de ce monde. Nous tomberons sous les balles allemandes, la main dans la main, en criant : Vive la France. Vous, comme nous, avez commis le crime d’aimer la terre française. Alors, payons sans regret le tribut de notre patriotisme.

« Dis à ma chère Maman (Mme Devouassoud) de ne pas regretter son fils, ni de lui avoir donné de l’argent pour mener à bien son entreprise, car de toutes façons j’aurais tenté d’aller en Angleterre.

« Et vous, chers compagnons d’espérance, et de malheur, pensez souvent à nous et soyez toujours dignes.

« Priez également pour la France chérie et pour nous, et dites partout la vérité. Adieu. »

Pierrot et Jean Magloire

L’exemple du Buhara fut suivi, malgré tout, par d’autres, avec heureusement plus de succès et cela montre combien fut efficace la part que prit la Bretagne à l’aide que les Forces aériennes françaises libres reçurent de l’intérieur même du pays pendant cette douloureuse époque de l’occupation, tandis que la quantité nous faisait tellement défaut.

Le nombre de nos unités en ligne était, en effet, forcément réduit du fait des difficultés rencontrées par les engagés pour s’évader de France. Cependant, la qualité des combattants était telle que les escadrilles que nous pûmes mettre en ligne furent parmi les meilleures du monde et remportèrent de magnifiques succès dans tous les ciels de bataille de cette Seconde Guerre mondiale.

Il me vient tout naturellement à l’esprit, lorsque j’eus l’idée de donner à nos groupes aériens des noms de provinces françaises, d’attribuer à l’un d’eux celui de cette Bretagne qui nous était si utile. Le dieu de la guerre lui en tint compte puisque ce groupe, parti du Tchad en fin 1942, traversa le Sahara avec le général Leclerc, et, par Tripoli, arriva en Afrique du Nord. Transféré ensuite sur bombardiers Maraudeur, il participa à la campagne d’Italie, puis au débarquement de Provence et termina la guerre en Allemagne.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 89, juin 1956.