La France Libre au Soudan (1940-1945)

La France Libre au Soudan (1940-1945)

La France Libre au Soudan (1940-1945)

Par Jean Arthur Haig
Engagé volontaire dans les F.F.L.

À la suite du départ du commandant de Kersauson, responsable de la liaison française de Karthoum, puis du lieutenant Parat, son successeur, J.A. Haig est nommé sous-lieutenant, chargé de la direction de ce poste.

Les problèmes de la liaison

La Liaison Française de Khartoum en 1941 (RFL).
La Liaison Française de Khartoum en 1941 (RFL).

En raison de la situation géographique importante du Soudan entre l’A.E.F. et le Moyen-Orient, ce poste avait été créé vers la fin de 1940. Puis, il devint le siège de l’état-major du général Legentilhomme pour diriger les opérations d’Érythrée, aux côtés des Britanniques. Pendant ce temps, le commandant de Kersauson avait joué un rôle important dans la réception des bataillons venant d’A.E.F. et se rendant en Érythrée. Il était très estimé des autorités britanniques. Le lieutenant Parat, à son tour, exerça efficacement ses fonctions et entretint de bonnes relations avec les Britanniques, ce qui me permit de prendre mes responsabilités dans un milieu accueillant. Tout au début, les volontaires des F.F.L. étaient incorporés dans des unités britanniques où ils suivaient le mouvement général, mais isolés les uns des autres.

À Khartoum, je représentais donc la France Libre, sans avoir de fonction bien définie, sans personnel, ni moyen quelconque. En effet, je dépendais des Britanniques, mais administrativement je relevais, à l’époque, du commandement de Beyrouth. Cette situation, telle qu’elle se présentait était certes dépourvue de sens.

En réalité, il fallait à tout prix, maintenir le prestige de la France, créer les moyens nécessaires pour le fonctionnement de la liaison et consolider les fonctions de l’officier de liaison vis-à-vis des Britanniques, au fur et à mesure que les événements progressaient. Je ne pouvais pas compter non plus sur mes chefs, qui étaient loin et qui se trouvaient tous à peu près dans les mêmes conditions précaires. C’est sur cette conception que fut basée toute l’activité ultérieure de la liaison.

Voici l’ensemble des problèmes auxquels la liaison dut faire face dans ce pays qui mesure environ 2.000 kilomètres d’un bout à l’autre et que les effectifs F. F. L. traversaient en trois à quatre semaines, dans les meilleures conditions, à travers le désert ou les marécages du Bahr-el-Gazai.

– Récupération et transit vers l’A.E.F. des blessés et malades de la campagne d’Érythrée.

– Réception et prise en charge, pendant le séjour au Soudan, des unités venant de l’A.E.F. et se dirigeant vers les différents fronts du Moyen-Orient et vice-versa.

– Assurer le service de l’escale des lignes aériennes militaires françaises du colonel de Marmier qui reliaient Beyrouth à Brazzaville, et vice-versa. Par la suite cette ligne fut prolongée également vers Djibouti et Madagascar, après le ralliement de ces territoires.

– Assurer le passage des fonctionnaires de l’administration coloniale en provenance ou à destination de l’A.E.F., le Levant, Djibouti, Madagascar et plus tard l’Afrique du Nord et la métropole.

– Assurer le transit des pèlerins musulmans venant de l’A.E.F., Dakar, Madagascar, etc. et se rendant à La Mecque par Khartoum et Port-Soudan.

– Une certaine assistance fut également apportée au projet anglo-franco-américain de construction d’une autoroute (mission Lazard) entre Douala et Khartoum par Bangui, dans le cas où les Allemands occuperaient Le Caire et ou le commandement du Moyen-Orient se trouverait dans l’obligation de s’installer à Khartoum.

– Aide aux services intéressés de Khartoum et de Fort-Lamy (mission Philippe) qui menaient ensemble une campagne contre les sauterelles dont la menace avait été signalée en Afrique occidentale.

Tout ces mouvements des F.F.L. à travers le Soudan provoquaient divers problèmes, tels que: campement, ravitaillement, hospitalisations, action disciplinaire, équipement, visas, douane, sécurité, contrôle sanitaire, etc. qui tous relevaient de l’entière responsabilité de la Liaison.

Pour mener à bien, seul, ces diverses tâches, je n’avais pour me déplacer, sous le soleil torride, qu’une bicyclette pour faire la navette entre les camps, les hôpitaux, la gare, l’aérodrome, l’hôtel, etc. jusqu’au jour où les Anglais mirent courtoisement une voiture à ma disposition.

Outre le travail de bureau et les missions au Caire, Fort-Lamy, Brazzaville, etc. il fallait également aller sur la frontière (Géneina, Juba, Wadi-Halfa) pour recevoir les unités ou détachements qui arrivaient au Soudan.

Les rapports de la Liaison avec les Britanniques

J.A. Haig note ensuite combien fructueuses furent les relations avec les autorités britanniques et avec son homologue M. K.D.D. Henderson, en particulier. (N.D.L.R.)

Liquidation de la Liaison Française de Khartoum

Vers le mois de juillet 1945 l’activité de la Liaison avait bien diminué. Aussi, sur ma proposition (mission à Paris du 1er au 18 août 1945) l’état-major général ordonna la liquidation de mon poste, le passage du service des L.A.M.F. du colonel de Marmier à un chef d’escale et ma mutation à Paris pour une nouvelle affectation (30 octobre 1945).

Ainsi, se termina cet épisode de l’histoire de la France Libre dans ce secteur de l’Afrique, où j’ai eu l’honneur d’assumer des responsabilités pendant près de cinq ans.

Il est vrai que des faits d’armes n’ont pas été marqués dans ce coin d’Afrique, mais il n’en reste pas moins vrai que l’effort accompli par chaque volontaire de la France Libre, en traversant des milliers de kilomètres de désert ou de marécages, dans des conditions très difficiles, pour aller se battre sur des fronts lointains, a eu sa part de mérite et a honorablement contribué à la libération de la France et à l’aboutissement de la victoire. C’était le but même de l’appel du 18 Juin.

Réflexions

Pendant tous mes déplacements au Caire, Beyrouth, Fort-Lamy, Brazzaville, j’ai trouvé chez les Français Libres, un esprit sincère et de bonne volonté, malgré les difficultés existantes, pour la libération et la victoire. Mais là où j’ai apprécié le plus cet esprit, ce fut à Fort-Lamy, autour du général Leclerc. En effet, j’ai été particulièrement impressionné de voir cet attachement et cette confiance réciproques entre le chef et ses hommes, un atout important qui les a conduit finalement à la réalisation de leur objectif. La vie du moindre tirailleur était précieuse pour lui. Il était devenu, par l’esprit qu’il avait su créer autour de lui, un véritable héros de légende.

J’ai eu l’honneur de le rencontrer à propos de munitions italiennes Bréda 13,2 que je devais lui procurer du butin d’Érythrée. J’ai eu beaucoup de mal pour les avoir. À la suite de ce retard, le général m’envoya une lettre sévère. Mais une fois que ces munitions furent obtenues, le général m’a dit “Il faut oublier la lettre que je vous ai envoyée vous devez comprendre mes préoccupations.” (…).

Malgré son apparence autoritaire, notre chef direct non seulement était un bon chef, mais en même temps il était un père pour ses hommes. Je me rappelle, à quelques reprises, il est venu avec moi, le matin de bonne heure, pour réveiller ses hommes afin d’être prêt à temps. Personnellement il existait un certain désaccord entre nous. Étant un “homme d’action” il avait horreur de la paperasserie et signait difficilement les papiers officiels que je lui soumettais et que j’étais tenu de fournir aux Britanniques. Il est très regrettable que ce héros n’ait pas eu la chance de voir la libération complète et la victoire. De plus ce qui me surprend le plus, c’est qu’il soit tombé dans l’oubli (…).

La collaboration étroite qui existait entre M. Henderson et moi se transforma finalement et d’une manière inaperçue en une véritable amitié. Nous nous promîmes de nous revoir après la guerre. En effet, trente ans plus tard, je lui rendis une visite dans son petit village de “Steeple Langford”, près de Salisbury, pour passer un week-end, en famille, en évoquant le passé. Le dimanche matin, nous l’accompagnâmes, mon épouse et moi, à l’église. Au moment où nous nous installions, M. Henderson s’éloigna pour revenir quelques instants plus tard avec un coussin qu’il posa sur celui qui se trouvait déjà devant moi pour m’agenouiller. Quelle ne fut pas ma surprise et mon émotion, lorsque je vis la croix de Lorraine brodée sur le coussin par M. Henderson lui-même qui l’avait remis à son église.

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 200, mars-avril 1973.