La 1re compagnie de fusiliers marins commandos à Dieppe

La 1re compagnie de fusiliers marins commandos à Dieppe

La 1re compagnie de fusiliers marins commandos à Dieppe

Le 19 août 1942, a lieu l’opération « Jubilee » que les historiens militaires ont coutume de désigner sous l’indication « reconnaissance en force contre un port avec mise à terre de blindés » le port choisi est Dieppe.
De nombreux livres ont exalté ou critiqué le sacrifice des Canadiens, plusieurs controverses font rage depuis un quart de siècle et il est évident, pour moi du moins, que tout n’a pas été dit et que la vérité, comme en toute action humaine, est si complexe, que l’on ne saura jamais tout.
L’Angleterre, à cette époque, n’est plus seule, mais se souvenant de ses efforts aux heures les plus sombres, tient à conserver un « leadership ». Son pétulant allié américain semble penser que l’invasion de l’Europe est aisée. Dieppe sera une démonstration. Les milieux politiques savent ou craignent que l’affaire ne tourne en carnage sanglant. Les exécutants choisis sont une partie importante des troupes canadiennes, stationnées en Grande-Bretagne, amenées dans l’île, à partir de décembre 1939 ; ils pensaient être transférés en France, l’état-major Impérial en a décidé autrement, seul, un petit contingent a touché Brest en mai 1940 ; les effectifs ont été fortement grossis en juin 1940, quand l’Angleterre, à la suite de Dunkerque, était demeurée sans armes et sans soldats; ce sont des troupes turbulentes et lasses de séjourner « oversea », sans permissions, un peu surentraînées, et fin 1940, des groupes canadiens jaloux de la réputation des commandos britanniques se sont emparés de petites embarcations et ont touché les côtes de France ; certains sont revenus, d’autres ont disparu, ceux qui sont rentrés ont été symboliquement punis, mais cet esprit d’aventure est très net chez les Canadiens et ils s’engagent dans l’opération avec enthousiasme. Les psychologues de l’état-major Impérial sont très intéressés : pour la première fois, l’on va engager des troupes, autres que des commandos entraînés pour une opération comme pour un ballet dans une action militaire où l’homme se trouve, en quelques minutes, jeté du confort relatif d’un bateau dans la fournaise du combat, sans l’accoutumance des gîtes d’étape et de la progression vers le front. Les spécialistes vont peser lourd dans la décision, tout doit être essayé, les nouvelles barges porte-tanks, les tanks waterproof.
Les « Combined Operations » après Saint-Nazaire, opération suicide destinée à prouver à Goebbels que les Anglais savent mourir aussi, espèrent des opérations spectaculaires et réalisables : le 3e commando attaque Berneval, à gauche de Dieppe ; le 4e, Varengeville à droite, les deux batteries à longue portée couvrent les abords du port. Ils sont sûrs de la victoire. L’on attend aussi beaucoup de chars et si un véhicule solitaire arrivait sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile en manière de symbole, certains ne seraient pas étonnés ; l’on touche ici d’ailleurs un des mystères de l’opération : six régiments canadiens, deux commandos et un détachement de R.M. (Royal Marine) commando participent à l’opération de façon effective, partant presque tous de Newhaven, dans le Sussex, le port des vacances sur le continent, mais des forces beaucoup plus considérables sont prêtes, certaines embarquent qui ne prendront pas la mer, les espoirs et les voeux de l’opération « Jubile » sont immenses et ne seront jamais écrits. Le débarquement de Dieppe va être remis deux fois et la seconde fois, vers le 1er août après avoir mis au courant les officiers et une partie notable des troupes. Le champagne a été bu à Londres : « À notre débarquement à Dieppe », et nous touchons là un des points sensibles ; la sécurité est très relative, des discussions pénibles ont ou lieu depuis, l’état-major de De Gaulle avait été mis au courant et des fuites ont eu lieu. Cet argument pèsera lourd dans la préparation du 6 juin, deux ans plus tard, où les seuls Français engagés seront des volontaires S.A.S. et commando intégrés à des formations britanniques et le général de Gaulle ne sera pas informé de l’opération. Le mystère demeure, les Allemands prévenus attendaient-ils l’attaque, ou leur système de défense fut-il suffisant pour annihiler une attaque insuffisante ? Nous nous garderons de conclure.
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De gauche à droite : au 1er rang : J. Errard, S. Montailler, J. Pinelli, un officier britannique, P. Kieffer, F. Vourc’h, M. Chapuzot, P. Briat, R. Rabouhans ; au 2e rang : M. Joho, J. Le Guen, H. Corbet, G. Loverini, Padovani, R. Dumenoir, A. Le Tarn ; au 3e rang : J. Jean, Briant, A. Maissonier, R. de Wandelaer, M. Cabrerizo, F. Devager, R. Taverne ; au 4e rang : César, non identifié, Brattesani, G. Valogne, A. Vernet, J. Simon, J. Mazaud, A. Boretti, P. Tanniou. Photo prise au dépôt de la Royal Marine de Eastney, vers septembre 1941. Ont participé à l’opération « Jubilee » : J. Errard, S. Montailler, F. Vourc’h, R. Rabouhans, G. Loverini, R. Dumenoir, J. Jean, R. de Wandelaer, R. Taverne, César, J. Simon, A. Borettini et P. Tanniou (RFL).

Nous en arrivons à la participation française au raid de Dieppe, la 1re compagnie de fusiliers marins commandos, dont le premier embryon date de mars 1941, sous la conduite du lieutenant Kieffer (qui sera commandant du 1er B.F. M.C.), s’est entraînée, grossie bientôt d’un contingent de l’armée de terre, Kieffer secondé par des hommes de valeur comme Trépel, qui devait mourir en raid en 1944, et Pinelli, néo-calédonien instructeur, qui imprima sa marque à l’unité. En 1942, le commando français a 17 mois d’existence et attend toujours d’être engagé : Dieppe va être un baptême du feu pour un petit groupe d’entre eux.

Nous arrivons là à un point délicat. Le 1er groupe commando français a été entraîné par la volonté d’un seul homme, Kieffer, accepté par les opérations combinées pour la seule raison qu’ils peuvent y trouver des spécialistes des côtes françaises. Mais le général de Gaulle, chef de la France Libre, tient à ce que ce commando soit uniquement Français Libre, ainsi qu’en fait foi un de ses ordres, mis en annexe du tome premier de ses mémoires. Les Anglais ont tout d’abord accepté cette idée et imprimé des bandes d’épaules « Free French Commando » qui ne seront jamais portées ; puis, après examen, il est apparu que le nombre des volontaires français ne permettait pas la formation d’une unité, et le 10th Inter Allied Commando a été formé groupant Français, Belges, Hollandais, Norvégiens, Tchèques, Polonais en troupes distinctes.
La 1er G.F.M. Commando devint la 1st Troop du 10th commando administré par la marine française libre et sous commandement des opérations combinées. Il n’a pas été fait appel à eux pour Varengeville et Saint-Nazaire, où deux Français ont théoriquement accompagné le raid. Le capitaine D.R. de Jonghe, officier belge de valeur, qui sera plus tard instructeur des commandos français en Écosse et un 2nd Lt W.G. Lee dont nous ne savons rien, mais que tout permet de supposer avoir été un officier interprète, sans doute de mère française. À Dieppe, la représentation française sera plus fournie ; un officier des équipages, le lieutenant Francis Vourc’h, trois officiers mariniers et 11 quartiers-maîtres et matelots quittent le Pays de Galles pour participer à l’opération.
Ce petit groupe de 15 hommes va être disjoint en trois pour être rattaché aux deux opérations commando et aux troupes canadiennes qui attaquent au centre ; cette façon d’engager l’unité presque individuellement est curieuse et semble un test ; bien que mal expliqué, c’est ainsi que les choses se passeront, et les groupes furent montés en fonction des grades et d’affinités personnelles.
Nous allons voir rapidement ce qui se passe pour les trois groupes.
Au contre, sur le port de Dieppe avec les fusiliers de Mont Royal et la Royal Hamilton Suport du 14e régiment de chars (Calgary) est engagé le commando A. Royal Marine et sept Français : lieutenant Francis Vour’ch, matelot A. Borettini, S/M R. Dumanoir qui sera tué le 6 juin 1944, matelot Georges Jean le Mexicain un très jeune Français d’Amérique qui vient au secours du pays de ses ancêtres, G. Levevigny, J. Simon, P. Tanniou un des rares commando qui fut à l’unité du premier au dernier jour.
Pour être historiquement exacts, nous devons nous inscrire en faux contre toute une littérature antérieure, les sept Français avaient été répartis sur trois barges différentes, l’une d’elles n’aborda même pas, son capitaine refusant d’engager son bateau sur les galets, les deux autres toucheront terre alors que les chars du Calgary Regiment étaient déjà en flammes et déchenillés, perdus dans une foule où les groupes de combat se formaient entre camarades d’unité et régiments. Les quatre Français se rejoignirent et purent réembarquer après avoir subi un tir sévère et riposté comme ils le pouvaient. Bien qu’ayant entendu fort souvent des récits de Dieppe par les témoins, bien des choses restent mystérieuses, mais il semble qu’une partie de l’ascendant occulte du S/M Dumanoir venait de la façon magistrale dont il avait su ramener ceux qui se confièrent à lui ce jour là. C’était le 6 juin 1944, un de ceux que la Troop 1 suivait, un obus coupa la passerelle sur laquelle il s’engageait pour débarquer et la troupe de 75 hommes fut réduite sur la plage même à moins de 30 combattants qui, sans officiers, partirent à l’assaut du casino de Ouistreham, mais ceci est une autre histoire. Dumanoir mourait pendant ce temps sur le sol de France.
Le reste du groupe français avait été réparti avec les deux commandos britanniques attaquant sur les flancs les batteries d’artillerie.
À gauche, Berneval qui était donné au n° 3 commando avec lequel marchaient M. César, R. de Wandelaer, J. Errard le S/M S. Montailler et J. Ropert. Le chef incontesté était Serge Montailler, S/M canonnier, l’officier intelligence du n° 3 commando leur proposa de découdre les bandes « France » de leurs « battle-dress », pour des raisons de sécurité ; après entente avec ses camarades, Montailler refusa, plus encore, coiffé du casque réglementaire tout le groupe, dissimula casquettes et bérets marins dans le blouson et laissant les casques dans les barges, les coiffa au moment de débarquer, ce geste, rappelant les gants blancs des Cyrards de 1914, a été très exploité et nous sommes heureux de pouvoir en rappeler l’origine. L’opération du 3e commando fut un demi-échec, les forces allemandes parfaitement disposées, firent subir de lourdes pertes aux assaillants et seul un petit groupe parvint à une petite chapelle du XIe siècle, proche de Berneval.
Aucun récit cohérent ne nous a expliqué les faits, le matelot Maurice César fut fait prisonnier avec plusieurs autres soldats anglais en fin d’après-midi. lls furent joints à des prisonniers canadiens, et il s’évada quelques jours plus tard du wagon qui les emmenait vers les stalags allemands ; il avait, semble-t-il, encore cousu sur les manches les bandes « France » que les Allemands assimilèrent à un régiment canadien ; recueilli par des paysans du Nord, il joignit une filière d’aviateurs et dut arriver à Paris vers le 26 ou 27 août habillé de son battle-dress dont insignes et poches de genoux et de poitrine avaient été décousus. Il arriva à temps pour se voir, défilant, dans une colonne de prisonniers, aux actualités allemandes d’un cinéma de quartier ; après un séjour assez long à Paris, il fut acheminé sur l’Espagne et interné comme Canadien. Il devait arriver en Angleterre le 6 juin 1943 avec un bateau de réfugiés où personne n’avait voulu croire qu’il était rescapé de Dieppe. Marié à une Anglaise, il retrouva sa femme qui avait touché, pendant quelques mois, une pension de veuve de guerre et quitta l’unité peu après pour rejoindre la marine marchande.
Le sergent Montailler avait pu parvenir également à passer le feu de la plage, un témoignage civil nous a été rapporté ; il se battit comme un lion jusqu’à la fin de l’après-midi avec un petit groupe d’hommes du 3e commando qu’il animait ; il aurait été achevé par une patrouille allemande, qui ne faisait pas de prisonniers, alors qu’il gisait grièvement blessé et inconscient ; fouillé et dépouillé de tous papiers, son corps fut inhumé provisoirement à l’endroit où il était tombé, avec comme indication la copie des insignes qu’il portait à l’épaule « France Commando » cette inscription est encore portée sur une petite stèle qui marque l’endroit de ce cimetière provisoire.
Lors du transfert au cimetière définitif, le corps devint « Inconnu Allied Soldier » et nous ne savons pas si sa stèle a été modifiée depuis. Ce fut le premier mort du 1er bataillon F.M. Commando. R. de Wandelaer, J. Ropert et J. Errard purent réembarquer dans l’après-midi. Errard devait quitter l’unité peu après et passer aux parachutistes S.A.S. avec lesquels il fut parachuté en Bretagne.
Le 3e groupe, le moins nombreux, comprenait trois hommes qui étaient rattachés au n° 4 commando animé par le prestigieux Lord Lovat ; il se composait du S/M F. Balloche, du Q/M chef R. Rabouhans et de René Taverne.
L’attaque de la batterie de Varengeville semblait impossible, ce fut pourtant un succès complet, le 4e commando gagna le haut de la falaise par un sentier qui semblait impossible à escalader, sous une attaque de chasseurs soigneusement minutée ; une route courait au haut de la falaise, Rabouhans et Taverne avaient été désignés pour en assurer la garde avec un petit groupe d’Anglais. La première personne qu’ils virent venant des environs de Quiberville était un vieux paysan en bicyclette ; une conversation s’engagea et il leur montra le panier d’oeufs qu’il allait porter à Dieppe. Rabouhans m’a souvent raconté la scène, il dissuada le paysan de continuer, une opération étant en cours, et entendant le bombardement, le paysan se laissa aisément convaincre et distribua aux soldats présents un oeuf individuel qu’ils gobèrent en le regardant partir. Pendant ce temps, le gros du 4e commando attaquait la batterie qui fut complètement détruite. Le lieutenant depuis major P.A. Porteous gagna là une des huit victoria Cross attribuées aux opérations combinées entre 1941-1945 une des deux données autrement qu’à titre posthume.
Le S/M François Balloche était avec la section d’assaut du 4e commando. À un moment de l’attaque, il était couché dans un petit bois et remarqua des fraises sauvages, il en mangea quelques-unes et sa phrase touchante, quelques jours plus tard, à une émission de la B.B.C. où il fut interviewé : « des fraises de France, il ne fallait pas les laisser perdre » lui valut une popularité dont il se serait bien passé ; il devait, par la suite, comme Errard, joindre les parachutistes. Les trois Français attachés au 4e commando devaient rejoindre sans encombre les appontements de bois de Newhaven le soir. Et tout de suite commença la « Saga » de Dieppe : un Français jouant avec un vieux rasoir fut interrogé par un journaliste et, bien que ne répondant pas à la question, qui cherchait à lui faire dire que cette arme pas réglementaire lui avait servi. Les commandos français gagnèrent là la réputation d’utiliser des armes peu orthodoxes.
Telle est l’histoire de la participation des commandos Français Libres au raid de Dieppe. lls n’étaient pas seuls, des escadrons de chasse des F.A.F.L. participèrent à la couverture aérienne et plusieurs bateaux des F.N.F.L. à l’escorte des convois de L.C.T. et L.C.A. qui menaient les hommes à terre. Il ne semble pas que les Allemands aient repéré cette modeste participation française à une attaque qu’ils prirent pour un échec de débarquement. Les citoyens de Dieppe et quelques autres (340 au total) furent libérés des stalags où ils se morfondaient par ordre spécial de Hitler, remerciant la population de sa passivité : le combat des civils de Saint-Nazaire ne s’était pas reproduit. Les morts de Dieppe ont permis de dégager la tactique du débarquement du 6 juin, l’idée d’attaquer en force un port fut abandonnée, celle des ports artificiels devait naître de l’échec de cette reconnaissance en force ; ce ne furent donc pas des morts inutiles.
À l’époque, je me trouvais personnellement emprisonné dans un camp de concentration en Espagne.
L’annonce de l’attaque de Dieppe fut un coup terrible et je crus pendant 24 heures que j’arriverais trop tard pour le grand débarquement. J’ai honte d’avouer maintenant que, à la nouvelle de l’échec qui nous fut confirmé le 21, un gros poids fut enlevé de ma poitrine et je me remis au travail sur un souterrain d’évasion qui échoua d’ailleurs. Je devais pourtant arriver à temps pour rejoindre le commando et débarquer le 6 juin 1944 avec le 4e commando à la place d’un des morts de Dieppe, peut-être.
Maurice Chauvet,
Intelligence Section 10 et 4e Commando
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 195, mars-avril 1972.