Général Louis Dio

Général Louis Dio

Général Louis Dio

Ancien président national de l’AFL

Le général Louis Dio (1908-1994). Il fut l’un des premiers compagnons de Leclerc, auquel il succédera à la tête de la 2e DB (RFL).
Le général Louis Dio (1908-1994). Il fut l’un des premiers compagnons de Leclerc, auquel il succédera à la tête de la 2e DB (RFL).

Les Français Libres, qui ont répondu à l’Appel lancé de Londres le 18-Juin 1940 par le général de Gaulle, ont donné à la France quelques très grands capitaines. Le général Louis Dio, qui vient de nous quitter, en fut un des plus prestigieux.

À 18 ans, à sa sortie de Saint-Cyr, il choisit l’armée coloniale. En 1939, capitaine commandant le groupe nomade du Tibesti, il est muté à Douala, au Cameroun, pour mettre sur pied une compagnie destinée à être envoyée en renfort en métropole.
Survient alors l’armistice ; comme la grande majorité de l’armée coloniale et de la population, tant européenne qu’africaine, de l’Afrique Équatoriale Française, il ne comprend pas que l’immense empire français, disposant d’une flotte puissante, dépose les armes à la demande d’un vieillard sénile, fût-il maréchal de France.
Aussi, le 26 août 1940, quand en pleine nuit le jeune colonel Leclerc débarque au môle de Douala, à la tête d’un détachement de 24 Européens, transportés en pirogues depuis le Cameroun britannique voisin, le capitaine Louis Dio se rend à son appel.
Il apprend ainsi que le commandant Leclerc a quitté Londres le 6 août, vingt jours auparavant, avec mission du général de Gaulle d’amener tout ou partie des colonies françaises d’AEF à se joindre à lui pour refuser l’exécution de l’armistice et continuer la guerre contre les Allemands et les Italiens.
Le capitaine Louis Dio se place aussitôt aux ordres du colonel Leclerc, lui apportant ainsi la première unité française libre du territoire africain. Son comportement est capital pour la suite des événements car en quelques jours grâce à lui, sans effusion de sang, le Cameroun dans son ensemble le rallie.
Dans le même temps, toutes les colonies de l’AEF se rallient au général de Gaulle, à l’exemple du Cameroun, sauf, hélas, le Gabon qui nécessitera pour l’obtenir une intervention militaire conduite énergiquement par le colonel Leclerc, au cours de laquelle le capitaine Louis Dio apportera, une fois encore, son très courageux et efficace concours. Les pertes de part et d’autre furent heureusement minimes.
De Gaulle possède désormais un bloc africain solide au centre de l’Afrique, présentant un intérêt stratégique considérable pour les Alliés et assurant la représentabilité de la France Libre au plan international, face à Vichy.
Aussitôt le général de Gaulle réorganise son Afrique Française Libre. Il nomme le colonel Leclerc commandant militaire du Tchad le 2 décembre 1940.
Celui-ci fait venir du Cameroun le capitaine Louis Dio, promu commandant, dont il a apprécié la solidité aussi bien à son arrivée à Douala que pendant la campagne du Gabon, et qui en sa qualité de commandant du groupe nomade du Tibesti a sillonné en tous sens pendant plusieurs années le nord du Tchad.
Le colonel Leclerc, en effet, contre l’avis de tous les officiers coloniaux qui l’entourent, décide de s’emparer de Koufra, citadelle solidement tenue par les Italiens et protégée par un immense désert hostile.
Pour l’arracher aux Arabes senoussistes en 1931, les Italiens avaient dû mettre en ligne 7 000 chameaux, 300 camions, 3 000 hommes de troupe et 20 avions.
Pour mener à bien sa conquête, le colonel Leclerc ne dispose que de 99 véhicules, montés par 100 Européens et 250 Africains, ainsi que d’un canon de 75 de montagne.
La colonne française quitte Faya-Largeau, situé à 800 km de l’objectif, le 25 janvier 1941. Le commandant Louis Dio avec 150 fantassins et le canon de 75 de Roger Ceccaldi reçoit la mission capitale de prendre le fort, tandis que le colonel Leclerc avec deux pelotons motorisés légers attaque les forces mobiles italiennes, la fameuse Sahariana, et lui inflige une humiliante défaite.
Dès lors, le siège du fort se poursuit avec l’ensemble des moyens. Au cours d’une patrouille de nuit, comme il s’en succède chaque soir pour harceler l’ennemi, le capitaine Dio, qui a voulu lui-même y participer, est très grièvement blessé et évacué.
Le 1er mars 1941, le colonel Leclerc reçoit la reddition de la place de Koufra et déclare à ses soldats galvanisés par cette victoire qu’ils ne déposeront les armes que lorsque les trois couleurs françaises flotteront sur la cathédrale de Strasbourg.
Après une année d’organisation et de préparation intenses consacrée à se doter des moyens indispensables pour mener des opérations offensives au Fezzan, le colonel Leclerc lance en février et mars 1942 six groupements tactiques motorisés, dans la première campagne du Fezzan.
Le commandant Louis Dio y participe à la tête d’un groupement comportant un groupe nomade motorisé (15 voitures), des mitrailleuses de DCA et un obusier de 115 mm disposant d’une soixantaine d’obus. Sa mission est de s’emparer, avec ces moyens dérisoires, du poste de Tedjéré solidement tenu et situé au cœur du Fezzan. Le 1er mars, le commandant Dio est à pied d’œuvre ; un combat violent s’engage – une balle traverse le vieux képi du commandant Louis Dio. Six tirailleurs sont blessés et le 2 mars le fort est pris.
Le colonel Leclerc conclut les opérations des six groupements de combat qui se sont déployés sur des itinéraires de 600 et 800 kilomètres, en ces termes : « En quelques semaines, quatre forts fortifiés ont été pris, plus de 50 prisonniers faits, plusieurs dépôts importants d’essence et de munitions incendiés, de nombreuses armes automatiques emportées, ainsi que trois avions détruits. Nous ne sommes pas encore mûrs pour l’esclavage. Vive la France ! »
De retour à Faya-Largeau, la grande base de départ et de préparation des campagnes dont il assure le commandement, le commandant Louis Dio doit d’abord en assurer la protection et la défense. Nous sommes au printemps 1942, à la veille de Bir-Hakeim, les choses ne vont pas bien pour les Britanniques, durement secoués et refoulés par l’Afrika-Korps de Rommel aidé des Italiens. Le nord du Tchad n’est pas à l’abri de raids ennemis.
Mais cela n’empêche pas de se préparer aussi à la reprise de l’offensive, et c’est alors, durant toute l’année 1942, une succession d’exercices et de manœuvres qui entretiennent le moral des troupes dans cette oasis isolée où les conditions de vie sont très dures mais exaltantes. Les renforts affluent du sud, si bien qu’à la fin de l’automne, la garnison a triplé par rapport à ce qu’elle était l’année précédente au moment de Koufra. De même pour les véhicules, l’armement, les bâtiments et toute la logistique.
La deuxième campagne du Fezzan qui aboutira à sa conquête débute en décembre 1942. Le colonel Dio (il vient d’être promu) commande le groupement d’action principale comprenant le groupe nomade du Borkou, motorisé, deux pelotons de découverte et combat, la 12e compagnie portée, deux canons de 75 et un train de combat de 110 véhicules. Trois autres groupements moins étoffés participent à l’opération sur des itinéraires différents.
Le 23 décembre, le colonel Louis Dio occupe Vigh-el-Kebir en territoire fezzanais, mais les occupants s’échappent et donnent l’alerte. Le 26 décembre, il canonne Gatroun et le dépasse. Le 28 décembre, il livre combat contre la Sahariana, qui décroche et se replie. Les 29, 30 et 31 décembre, il met le siège devant les solides défenses d’Oum-El-Araneb, protégées par une aviation italienne très active. Le 4 janvier 1943, les Italiens capitulent. Bilan : 200 prisonniers, dont dix officiers, dix canons, des mortiers et mitrailleuses.
Dès lors, la conquête s’accélère : Brack, Mourzouk, capitale religieuse, Sebba, principal centre militaire, et Hon. Le 9 janvier, le Fezzan est occupé dans son entier.
La progression se poursuit en Tripolitaine. Le 22 janvier 1943, après un violent combat, le colonel Dio entre à Mizda. Bilan : sept canons, 18 mitrailleuses, des munitions, des vivres et surtout 40 000 litres d’essence. Le 23 janvier, à Garian, il effectue une liaison avec les Britanniques. Le 24 janvier, il atteint Tripoli quelques heures après le maréchal Montgomery.
La dernière étape de l’épopée africaine du général Leclerc s’achève en Tunisie. Le 22 février, le colonel Louis Dio s’installe en défensive à Ksar-Rhilane, au pied du Grand Erg oriental. Il y est rejoint par le général Leclerc, qui prend le commandement de l’ensemble de ses troupes, en flanc gauche de la VIIIe Armée du maréchal Montgomery. Le 10 mars, une brigade blindée renforcée allemande déferle sur nos positions ; le général Leclerc la contient et, grâce à l’appui de la RAF, la repousse avec des pertes sérieuses pour les attaquants. Le soir, Leclerc télégraphie à Montgomery : « L’ennemi est en retraite vers le nord, il a perdu 60 voitures et dix canons. Il n’a jamais pénétré notre position. »
Au lendemain de cette victoire, l’armée Leclerc, dont le groupement Dio est le fer de lance, reprend sa progression, occupe Gabès, puis Kairouan et livre ses derniers combats au djebel Garci.
Le 20 mai 1943, au défilé de la victoire de Tunis, les Britanniques témoignent leur estime à Leclerc en plaçant en tête du défilé un détachement de la « Force L » venu du Tchad.
Ainsi s’achèvent les années sombres de 1940 – 1941 – 1942 – 1943, quatre longues et périlleuses années, au cours desquelles le colonel Louis Dio, sous l’égide du général Leclerc et du général de Gaulle, nous a conduits, nous ses soldats, de victoire en victoire, à travers des déserts hostiles, face à un ennemi toujours supérieur à nous, tant par ses effectifs que par ses moyens matériels de combat.
La jeunesse (36 ans), le caractère, l’audace, le courage, l’esprit de décision, le sens du combat animaient ce chef à la stature imposante et athlétique, au visage ouvert et souriant qui, par ses exploits précités, nous galvanisait. Nous voulions être dignes de lui et son rayonnement se propageait des Européens aux tirailleurs africains.
La suite de l’extraordinaire carrière du général Louis Dio l’amènera à commander le Régiment de Marche du Tchad durant la campagne de Normandie, la libération de Paris et de Strasbourg, jusqu’à Berchtesgaden, avant de succéder à Leclerc à la tête de la 2e Division Blindée.
L’après-guerre le verra assumer plusieurs commandements outre-mer, notamment en Tunisie, au Cambodge et en Afrique équatoriale, avant de finir à Paris comme inspecteur général de l’armée de terre. Dans les années 1960, son grand prestige dans l’Armée lui vaut de remplir des missions de confiance outre-mer pour le compte de l’état-major des armées, où on le considère comme la conscience de la « Coloniale » sa seconde famille à laquelle ce moine-soldat était profondément attaché.
Parfois bourru, ce chef exceptionnel, cet officier modeste passionné par son métier, ce chrétien si pieux, ce Breton de Vannes, dissimulait mal son grand souci des hommes et sa profonde bonté. Durant toute l’aventure africaine de Leclerc, particulièrement à ses débuts, le commandant Louis Dio fut la caution du général après des « coloniaux », a priori réservés à l’égard d’un officier « métro », venu de surcroît de la cavalerie. Entre les deux chefs, jamais il n’y eut la moindre ombre, et c’est tout naturellement que Leclerc a proposé Dio, le chef incontesté de sa vieille garde, qui allait être le plus jeune général de l’armée française à 37 ans, pour lui succéder au commandement de la prestigieuse 2e Division Blindée en juin 1945.
Parvenu au terme de sa brillante carrière militaire, grand-croix de la Légion d’honneur et Compagnon de la Libération, le général Louis Dio se retira à Toulon, où, fidèle à son image, cet ancien chevalier du désert, ce pur entre les purs, continua de se dévouer aux membres de sa famille dans la discrétion et la simplicité, ces vertus auxquelles il tenait tant.
Avec lui, l’un des tout premiers et proches compagnons d’armes de Leclerc, vient de disparaître l’une des grande et nobles figures des troupes de marine et des Forces Françaises Libres.
Roger Pons
Sous-lieutenant d’artillerie de marine à la section d’artillerie n° 1 à Faya-Largeau
Jean Lucchesi
Compagnon de la Libération
sous-lieutenant à la 1re compagnie de découverte et combat
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 288, 4e trimestre 1994.