La jeunesse française libre à New York

La jeunesse française libre à New York

La jeunesse française libre à New York

En 1942, des réfugiés polonais, autrichiens, tchèques et d’autres jeunes Européens s’étaient réunis à New York selon leurs affinités nationales pour soutenir les sociétés qui contribuaient à l’effort de guerre. Volontaires, ils aidaient à la défense passive et s’occupaient des marins et soldats de passage à New York, en route pour l’Angleterre. Un journaliste au Saturday Evening Post avait écrit un article à ce sujet et notait que seuls les jeunes réfugiés français ne participaient pas à ces activités et se faisaient remarquer dans les boîtes de nuit de Broadway, où, en bandes, ils faisaient beaucoup de bruit.
C’est alors que Maurice Shire eut l’idée de réunir une demi-douzaine de jeunes gens de la communauté française libre pour créer « La Jeunesse France Libre ». Geneviève Tabouis accepta de publier une annonce dans son journal « Pour la victoire ». On y invitait les membres de « France Forever », l’organe d’information et de propagande de la France Libre aux États-Unis, créée en 1940 à New York. La réunion eut lieu un dimanche après-midi pour créer la section des jeunes.
Le comité exécutif était composé des membres suivants : Maurice Shire, président, Bernard Dargols, vice-président, Pierre Furst, trésorier (blessé très tôt après l’invasion de la France où on avait dû l’amputer d’un pied), Alix Hamburger-Deguise, secrétaire, Emmanuel Réder, membre du bureau, qui plaisantait toujours, et qui allait être tué dans les premiers jours du débarquement de Normandie, Bernard Dargols, mobilisé dans l’armée américaine, affecté plus tard au 2e bureau. Maurice Shire, président, né aux États-Unis, servit dans l’O.S.S. où il fit la liaison entre la 3e Armée américaine et la Résistance. Alix Hamburger partit rejoindre les volontaires françaises à Londres à l’âge de 18 ans.
Afin de nous donner un caractère officiel, nous nous sommes mis sous la tutelle des Anciens Combattants de la guerre 14-18, ceux du moins qui avaient rallié la France Libre. Les neuf dixièmes des autres restaient « neutres » ou soutenaient le maréchal Pétain. Ajoutons qu’un de ces vétérans français libres, ancien combattant, Henri Laussucq, âge de 65 ans, avait été jugé trop âgé pour être parachuté ; il fut débarqué par un sous-marin sur les côtes françaises pour prendre contact avec la Résistance.
France Forever avait accepté de parrainer « La Jeunesse France Libre », car nous n’avions pas de quoi payer les droits d’enregistrement d’une société dans l’État de New York. À la première réunion, nous étions 150 ; nous avons probablement atteint plus tard 250 membres. Certains étaient des réfugiés, d’autres étaient installés aux États-Unis depuis plus longtemps. Nous organisions des soirées pour ramasser de l’argent qu’on faisait parvenir aux soldats blessés. Nous avions beaucoup travaillé à France Forever, où nous emplissions, collions et adressions les enveloppes. On faisait appel à nous pour placer le public dans les grandes réunions de la côte Est et du Manhattan Center en particulier où venaient parler des personnalités telles que Ève Curie, présentée par Mme Roosevelt, Lily Pons, Charles Boyer, Jean-Pierre Aumont et, bien sûr, des autorités évadées de France, envoyées par Londres.
C’était à cette sorte de service d’ordre de « La Jeunesse France Libre » qu’on faisait appel dans les cérémonies officielles, réunions autour des monuments aux morts. Nous avons même défilé devant le consulat de Vichy sur la Cinquième Avenue en criant « Laval au poteau ». Certains d’entre nous participaient à des patrouilles de la défense passive et aidaient au maintien de l’ordre lors de manifestations.
Certains de ces « engagements » auraient pu mal tourner. Des marins FNFL se sont trouvés dans un bistro de la 86e rue Est à New York sans savoir que le quartier et cette rue en particulier étaient le fief des pro-allemands, pépinière de pro-nazis. Ils ont été attaqués et battus. Quelques-uns d’entre nous sont allés leur rendre visite à l’hôpital, tandis que d’autres allaient « casser la figure » au patron du bar. Ils ont commandé une bière et après s’être « expliqués », munis de leurs bâtons de la défense passive, ils ont saccagé les bouteilles sur le comptoir et derrière le bar.
« La Jeunesse France Libre » servait les marins et les soldats à la cantine « la Marseillaise », qui était gaulliste, mais avait aussi des occupations politiques plus pacifiques. Nos volontaires (beaucoup de jeunes filles) essayaient de persuader des marins, ou ceux qui les avaient approchés, pour s’informer du moyen de s’engager « chez de Gaulle » et leur donnaient les adresses pour le faire. On se souviendra peut-être de l’épisode du Richelieu qui, privé d’une partie de son équipage parti rejoindre la France Libre, était resté bloqué à New York.
Les volontaires n’ont jamais manqué. Ils étaient plus nombreux et plus enthousiastes après une victoire, par exemple après Bir Hakeim. Lorsque les fondateurs de la J.F.L. sont partis dans l’armée, d’autres ont pris la relève.
Plus récemment, le docteur Rodolphe Coignay, président de l’Association des Français Libres section des États-Unis, a demandé aux anciens de « La Jeunesse France Libre » : Maurice Shire, Alix Deguise (née Hamburger), de se joindre à lui. Il s’agissait de parler dans les écoles (Lycée français de New York, École Française de Larchmont) de la France Libre et de son idéal. Nous l’avons fait, comme autrefois, plusieurs années de suite, avec une certaine nostalgie qui n’ôtait rien à notre enthousiasme retrouvé.
Maurice Shire, ancien président JFL
Alix Deguise, ancienne secrétaire
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 310, 4e trimestre 2000.