L’Ordre de la Libération
Les conditions d’admission
L’article premier de l’ordonnance de novembre 1940 précise : «que cet ordre est destiné à récompenser les personnes ou les collectivités qui se sont signalées dans l’œuvre de la libération de la France et de son empire.»
Aucun critère d’âge, de sexe, de grade, d’origine et même de nationalité n’est exigé. C’est la valeur qui compte et la qualité des services exceptionnels rendus.
L’ordre devient réalité, avec les premiers Compagnons nommés. Dès le 27 janvier 1941, ils sont neuf, quatre tombés au champ d’honneur et cinq formant le conseil.
Trait original : les premiers Compagnons du général de Gaulle n’étaient pas sédentaires. Ce serait une illusion d’imaginer le conseil de l’ordre, groupé autour de son président. Le chancelier, arrivé d’Afrique à Londres le 2 février 1941, part au Canada le 24. Il en revient en mai. Le gouverneur général Éboué, venu du Tchad, réside à Brazzaville. Le lieutenant d’Ollonde d’Harcourt retourne en mission clandestine dans la métropole. Popieul, officier de marine marchande, navigue. Bouquillard, adjudant, combat dans les forces aériennes. Les nominations dans l’ordre de la Libération jalonnent la grande épopée de la Résistance et de la France Libre au cours de ces dures et longues années de guerre.
Les Compagnons
Lorsque le 23 janvier 1946 est signé le décret portant qu’à cette date il ne sera plus procédé à l’attribution de la croix de la Libération, le nombre des compagnons s’élevait à 1036 et, en tenant compte des personnes morales, il faut y ajouter cinq villes et 18 unités combattantes (1).
Parmi ces 1036 compagnons, 238 furent nommés à titre posthume, et après la Libération, 105 d’entre eux sont morts pour la France au combat ou en service commandé, tel le général Leclerc de Hauteclocque.
Il est, à mon avis, très important de mettre l’accent sur la variété extrême des compagnons.
Nous conservons la mémoire d’Henri Fertet, condamné à mort par le tribunal militaire allemand et fusillé à l’âge de 16 ans à Besançon le 26 septembre 1943, de Guy-Charles Flavien, élève à l’École centrale, déporté à la mine de Plomnitz et décédé à l’âge de 24 ans, du jeune Barrioz né en 1929, mort en février 1944, capturé à l’ennemi; cet enfant est mort dans des souffrances atroces, refusant de donner le moindre renseignement à l’ennemi.
Des militaires, il y en a beaucoup, de tous les âges, de tous les grades et de toutes les armes.
Il en est de l’active, mais les réservistes et les engagés volontaires sont les plus nombreux. Si le général Catroux, lorsqu’il rallie Londres venant d’Indochine qu’il gouvernait, est général d’armée et âgé de 61 ans, Marcel Kollen soldat de 2e classe du Bataillon du Pacifique, agent des PTT à Nouméa et un des premiers volontaires canaques du contingent de la Nouvelle-Calédonie, trouve, lui, la mort à 29 ans à Bir-Hakeim sous les ordres du général Kœnig. Nous trouvons également des ingénieurs, des industriels, des écrivains, des professeurs, des diplomates, des membres du clergé, des magistrats, des savants, des ouvriers, des paysans.
Comment ne pas citer parmi les Compagnons disparus mon colonel, le colonel Amilakvari, prince géorgien d’une bravoure légendaire, tué à El-Alamein le 24 octobre 1942. Pierre Brossolette qui préféra se suicider au cours d’un interrogatoire plutôt que de parler, en se jetant du haut d’un immeuble de l’avenue Foch, apportant ainsi, à ses amis, la certitude de son silence, un colonel Colonna d’Ornano tué à Mourzouk, un général Delestraint mort en déportation, un d’Estienne d’Orves, lieutenant de vaisseau, fusillé au Mont-Valérien, un Leclerc de Hauteclocque, un Jean Moulin, président du Comité National de la Résistance, figure légendaire de la Résistance.
Certains Compagnons ont occupé des postes de hautes responsabilités, aussi bien dans la vie civile qu’au sein des armées, et 20 d’entre eux eurent des responsabilités ministérielles.
L’ordre compte ou a compté quatre anciens premiers ministres : René Pléven, Maurice Bourgès-Maunoury, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer; des hommes politiques comme : Gilbert Grandval, Gaston Palewski, Alexandre Parodi, Jean Sainteny, Michel Bokanowski, André Boulloche, Maurice Schumann, Pierre-Henri Teitgen, Jacques Soufflet, Robert Galley, Hubert Germain, André Jarrot, Christian Pineau.
En ce qui concerne l’armée on compte plus de 80 officiers géné-raux ou amiraux. Citons parmi eux : les maréchaux de Lattre de Tassigny, Leclerc de Hauteclocque et Kœnig; les généraux Billotte, Astier de la Vigerie, Buis, Catroux, Ingold, Massu, Monclar, de Monsabert, de Boissieu, de Guillebon ; les amiraux Thierry d’Argenlieu, Cabanier, Ortoli, Patou et les généraux de l’armée de l’air Valin, Ezanno, Fourquet, Andrieux.
Des Compagnons de la Libération ont servi le pays dans la diplomatie comme : Gaston Palewski, Geoffroy de Courcel, Augustin Jordan, Claude Raoul Duval, Dominique Ponchardier, Emmanuel d’Harcourt.
Le clergé est aussi représenté par le cardinal Saliège, ancien archevêque de Toulouse, le père Lacoin, aumônier des fusiliers marins, le père Starky, le père Hirleman et le père Savey.
L’ordre compte aussi des ingénieurs comme Louis Armand, membre de l’Institut, un savant comme François Jacob, prix Nobel de médecine et de physiologie en 1965.
Citons aussi des Compagnons connus pour leurs activités littéraires Romain Gary, André Malraux, Gilbert Renault, plus connu sous le nom de Rémy, ou Dominique Ponchardier.
L’ordre et les femmes
Six femmes ont été faites Compagnons de la Libération mais elles ont, hélas, disparu. Berthe Albrecht, membre du réseau Combat, Laure Diébold, secrétaire de Jean Moulin et agent de liaison du réseau Mithridate, Émilienne Moreau-Évrard déjà héroïne de la grande guerre 1914-1918, Marie Hackin, chargée de mission avec son mari et disparue en mer, Marie-Louise Henry qui travailla pour un réseau d’évasion, et enfin Simone Michel-Levy, organisatrice d’un réseau au sein des PTT.
L’ordre et les étrangers
Le décret du 29 janvier 1941 prévoyait que les étrangers, qui avaient rendu des services importants à la cause de la France Libre, pourraient recevoir la Croix de la Libération et seraient considérés comme membre de l’Ordre.
– Général Dwight Eisenhower, Compagnon du 28 mai 1945;
– Sa Majesté Mohamed Ben Youssef, Compagnon du 29 juin 1945;
– Sir Winston Churchill, Compagnon du 18 juin 1958.
Voici la citation qui accompagnait la croix de Lorraine de la Libération de Winston Churchill : «Comme premier ministre de la Grande-Bretagne, au moment du pire danger couru par l’Europe, a inspiré et dirigé la résistance de son pays et contribué, par là, d’une façon décisive à sauver la liberté du monde. A fait confiance à la France quand c’était le plus difficile, en lui prêtant le concours moral et matériel de l’Angleterre, son alliée. A ainsi contribué directement à la libération et à la victoire. Restera, dans l’histoire, illustre au premier chef.»
Fut aussi nommé Compagnon de la Libération, le roi George VI, le 4 avril 1960.
L’ordre et les collectivités
Les premières villes Compagnons de la Libération furent : Nantes dès le 11 novembre 1941, puis Grenoble en mai 1944. S’ajouteront par la suite : le village de Vassieux-en-Vercors qui eut 72 de ses habitants massacrés et la totalité de ses maisons brûlées par un ennemi sans pitié. Paris dont la citation porte “Capitale fidèle à elle-même et à la France”. Et l’île de Sein qui envoya la totalité de ses hommes rejoindre les Forces Françaises Libres, gardant sur place le curé pour s’occuper des âmes, le maire pour tenir tête aux Allemands et le boulanger pour faire le pain.
Les unités combattantes
Dix unités de l’armée de terre. Trois unités de la marine : la corvette Aconit, le sous-marin le Rubis et le 1er Régiment de fusiliers marins. Cinq unités de l’armée de l’air dont le groupe Normandie-Niemen, les groupes Lorraine, Alsace et Île-de-France.