L’Ordre de la Libération
Le musée
Le recrutement de l’ordre étant fermé depuis 1946, il s’agissait, pour les Compagnons, de conserver le souvenir de tous, et plus particulièrement de ceux qui avaient disparu.
Le dévouement de tous, les dons d’objets irremplaçables ont permis de réaliser 175 vitrines retraçant la mémoire des Compagnons et des médaillés de la Résistance, groupés autour de leur chef de file comme ils le furent dans l’action.
La salle d’honneur rassemble les souvenirs les plus précieux : les manuscrits de l’Appel du 18-Juin, le testament du général de Gaulle, ses décorations.
Une galerie est consacrée à la Résistance extérieure, l’autre à la Résistance intérieure.
Le premier étage est consacré au souvenir de la Déportation.
Je dois ajouter que des archives de grande qualité sont conservées dans les salles annexes du musée. Il est, en effet, très souhaitable que le souvenir de l’action et des sacrifices des Compagnons de la Libération s’inscrive dans l’histoire.
Le souvenir
Si malheureusement d’année en année les rangs des Compagnons s’éclaircissent, le souvenir demeure.
Au cours de l’année, aussi bien à Paris, qu’en province, le chancelier préside des cérémonies commémoratives mais, la plus grande de toutes est celle organisée par la chancellerie le 18 juin.
Le matin, le maire de Paris, ville Compagnon, reçoit dans une brillante réception les Compagnons, mais le soir au Mont-Valérien, c’est le moment du recueillement et du souvenir.
Dès la Libération, le général de Gaulle tint à consacrer ce haut lieu au cours d’une cérémonie solennelle, dédiée à la mémoire des 4500 résistants qui y furent fusillés.
Depuis, chaque année, le chef de l’État vient présider la cérémonie commémorative de l’Appel du 18-Juin.
Seize corps ont été inhumés au Mont-Valérien et représentent les phases essentielles du long et du dur combat qui fut mené du début de la guerre à la victoire.
Un emplacement a été réservé dans la crypte pour le dernier Compagnon de la Libération, qui y sera inhumé.
Le pacte d’amitié entre les villes Compagnons de la Libération
Grenoble, Nantes, Paris, l’Ile-de-Sein, Vassieux-en-Vercors, villes Compagnons, ont décidé, à ma demande, de se lier par un pacte d’amitié destiné à assurer la pérennité de l’ordre et à susciter des liens particuliers entre leurs collectivités respectives.
Ce pacte a été signé par Messieurs Jacques Chirac, Dubedout, Chenard, Alain Le Roy, Roux.
En conclusion
Je vous dirais simplement que cet Ordre constitue une chevalerie exceptionnelle créée à un des moments les plus graves de l’histoire de France, une chevalerie unique puisqu’il ne sera jamais plus fait de Compagnons de la Libération.
Au cours de cet exposé, j’ai cité quelques uns de nos Compagnons et je voudrais, pour terminer, laisser la parole à un de nos Compagnons les plus prestigieux André Malraux :
«Aux pires jours de la défaite, ils n’ont pas perdu confiance en la France et dès qu’ils ont repris le combat, ils ont entendu assumer la France et non former une Légion Étrangère – ce qui est important, car c’est cette résolution d’assumer la France qui a permis l’unité des Forces Françaises Libres et de la Résistance de Leclerc à Jean Moulin.
Ils étaient des volontaires, et se séparent ainsi de leurs grands prédécesseurs : les anciens de Verdun, par exemple.
Ils ont été des témoins. Nous ne tenons pas Bir-Hakeim pour Austerlitz, mais Bir-Hakeim comme le premier combat de Jeanne d’Arc à Orléans, a été la preuve que la France n’était pas morte.
L’ordre est un cimetière. Les vraies décorations nous sont remises par la mort au passage.
On dit, légitimement d’ailleurs : la croix de la Libération.
Regardez-la : ce n’est pas une croix, c’est une dalle funéraire.
Il faut dire, répéter, proclamer, que l’ordre de la Libération n’est pas formé d’hommes qui se sont séparés des autres par leur courage, mais bien d’hommes à qui leur courage a donné la chance de représenter tous ceux qui, le cas échéant, n’avaient pas été moins courageux qu’eux. Il n’est pas une hiérarchie dans la Libération, il est le symbole de la Libération. Nous parlons au nom de nos survivants qui parlent au nom de leurs morts, qui parlent au nom de tous les morts.
Vous savez que dans la crypte du Mont-Valérien, il y a un cercueil vide : il attend le dernier Compagnon de la Libération.
Quand on le clouera, il n’y aura plus aucun des nôtres pour dire : “À Bir-Hakeim, nous avons enfoncé les lignes de Rommel par une soirée féérique…”
“Quand nous sommes entrés par la porte d’Orléans, personne ne croyait que les chars qui fonçaient dans Paris étaient des chars français, et nous sommes arrivés à la porte d’Orléans couverts de rouge à lèvre.”
Le dernier Compagnon
Dans le silence, le dernier Compagnon retrouvera le premier Compagnon.
Le dernier cercueil du Mont-Valérien ne sera pas non plus un cercueil solitaire, on ne le fermera pas seulement sur le dernier Compagnon : on le fermera aussi sur le dernier combattant de la 1re Division Française Libre ou de la 2e Division Blindée, sur le dernier pêcheur breton qui amena des Français clandestins en Angleterre, sur le dernier cheminot qui paralysa provisoirement les V2, sur les derniers maquisards grâce à qui les Panzer d’Aquitaine n’arrivèrent pas à temps en Normandie, sur la dernière couturière morte dans un camp d’extermination pour avoir pris chez elle un de nos postes émetteurs.
Comme les gisants de la chevalerie morte écoutaient crépiter le bûcher de Rouen, tous, ceux qui se sont réfugiés dans l’âme de la France écouteront le marteau sur les clous funèbres. Des archers d’Agnatel aux clochards d’Arcole, de la Garde impériale jusqu’aux 300.000 morts du Chemin des Dames, des cavaliers de Reims et de Patay aux Francs-Tireurs de 70, montera le silence séculaire de l’acharnement.
Avec la phosphorescence des yeux des morts, ceux que l’on ne verra plus jamais veilleront notre dernier Compagnon – non pour son courage, mais parce que l’ouvrier qui clouera le cercueil le clouera sur la confuse multitude de tous les morts qui auront tenté de soutenir à bout de bras les agonies successives de la France.
Alors, la croix de Lorraine de Colombey, l’avion écrasé de Leclerc, la grand-mère corse qui cachait tranquillement le revolver de Maillot dans la poche de son tablier, le dernier cheminot fusillé comme otage, la dernière dactylo morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres, confondrons leur ombre avec celle de notre dernier Compagnon. Et avant que l’éternelle histoire se mêle à l’éternel oubli, l’ombre étroite qui s’allongera lentement sur la France aura encore la forme d’une épée.
Par le général d’armée Jean Simon,
Chancelier de l’Ordre de la Libération
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 271, 3e trimestre 1990.