Les réalisations originales de la « France Libre » : « L’ost du Tchad »

Les réalisations originales de la « France Libre » : « L’ost du Tchad »

Les réalisations originales de la « France Libre » : « L’ost du Tchad »

Nous publions aujourd’hui des extraits d’une savoureuse brochure : « Les Horrifiques Chroniques de l’Ost du pays de Tchad en la guerre de Érythrée » qui fut écrite au printemps de 1941 par le Capitaine Garbit, l’un des meilleurs parmi nos compagnons du début, qui devait peu après trouver une mort glorieuse dans la campagne de Syrie.
Garbit était un fameux soldat, c’était aussi un excellent humoriste et un bon écrivain, comme nos lecteurs pourront en juger. Son style rabelaisien nous oblige à ne publier que les chapitres qui peuvent à la rigueur être mis entre toutes les mains.
Bien évidemment, faisant partie de « l’Ost du Tchad », c’est-à-dire du bataillon de marche n° 3, Garbit en fait le centre et le héros de sa chronique, ne ménageant pas les brocards aux voisins. La « 13e demi » est une trop grande dame, et trop surchargée de gloire, pour s’offusquer de quelques innocentes plaisanteries, dont elle rira d’aussi bon cœur que les autres.

Chapitre premier

Comment les Chevaliers François se trouvèrent en désaccord et de ce qu’il en advint
En cestuy temps, l’Empereur Germanicque se jeta sur les terres du Roy de France et, par surprise et traîtrise, tua et défit les braves Chevaliers François. À peine avait-il sonné l’hallali que l’on vit accourir à la curée le Duc de Macaroni. Ce prince, de très petit lignaige, avait auparavant dépouillé le Pape de ses États et avoit eu l’astuce de le faire consentir à ce dépouillement moyennant tant belles promesses qu’il se garda bien de tenir. Il n’aimoit point se battre, non plus que ses gens ; aussi n’en réclamèrent-ils que plus haut la part d’une victoire qu’ils n’avoient point gagnée.
En ce même temps, nombre de valeureux Chevaliers François se trouvoient en terre de Africque ès royaume de Tchad. Tchad est un lac au centre de Africque dont parle Hérodote (Voyage de trois jeunes Nasamons Cap. XCXXICV), qui le dit plus grand encor que la Mer Marmaricque. Ces Barons estoient partis maintes années auparavant pour la croisade. Mais, comme arriva souvent en ces sortes d’expéditions, musèrent en route, se trompèrent de chemin et finalement préférèrent à la délivrance des Saints Tombeaux l’acquisition facile d’un royaume en Numidie.
Les Chevaliers n’étoient pas tous d’accord sur la conduite à tenir. D’aucuns, tels Fiérabras, Roy de Nigritie qui ne craignait pas de traîner ses moustaches couleur de paille dans la fiente devant le vainqueur, ne vouloient point se battre. Les plus ardents l’emportèrent cependant et le Prince Picrochole, représentant du Roy de France et chef de tous les Barons (qui tous le détestoient pour la manière grossière et méprisante dont il leur parloit) fut déposé un peu rudement par le Duc de Saint Michel pour avoir voulu imiter Fiérabras.
Alors le Duc de Longuechausse qui gouvernoit les déserticques marches du pays des Garamantes (Cf. Hérodote op. jam cit. libro nescio quid vers. dito et séq.) ayant ouï dire que le Duc de Macaroni possédoit quelques terres incultes sur les bords de la mer Arabicque, assembla quelques Chevaliers autour d’un piot et, après boire, s’escria : « Or çà, compagnons, ne courons-nous pas sus à ces gens-là ? » – « Si ferons donc, respondirent les autres, et distribuerez leurs biens à ceux qui vous auront servi honestement. » De ceux-cy se trouvèrent le Duc de Bavière, le Seigneur Joyeusini, ancien bandit de l’isle de Corse, trousseur et détrousseur fameux, le Baron de Saint Pol et Barberousse auteur de ceste Chronicque.

Chapitre quart

De l’espouvantable bataille qui fut livrée devant Koub-Koub et des beaux coups d’épée qui y furent donnés
Le Duc de Bersini, le meilleur Capitaine des armées du Duc de Macaroni, avoit fait faire des retranchements avec fosses et trappes pour les charrois et amené des bombardes et tout le munitionnement nécessaire à un siège interminable, à quatre lieues à l’Orient de Koub-Koub, dans un étroit défilé bordé de montagnes inaccessibles. Du moins le croyoit-il. Mais le Duc de Longuechausse lui fit voir qu’il n’étoit qu’un béjaune.
Le premier jour, l’attaqua de face avec deux compagnies et lui enleva au petit matin un rocher élevé proche de ses retranchements et au septentrion d’iceulx. Puis tout le jour l’amusa et l’occupa, y faisant promener les gens d’armes, apporter, transporter et emporter bombardes et munitions, en bref tout le tremblement ordinaire d’un siège. Cependant, tandis qu’il y restoit seul avec son écuyer et sa maison, envoya en tapinois le Duc de Bavière et l’Ost tout entier faire le tour des montagnes. Y escaladèrent pics de 3.000 pieds de haut sans chemins et par ravins tout juste bons pour chèvres, avec tout leur matériel, y compris bombardes et boulets que les hacquebutiers portoient sur la teste comme est coutume es peuplades nègres. Et croyez que le passage des Alpes par Hannibal ne fut que jeu d’enfant à côté de celui-ci. Car Hannibal possédoit éléphants que n’avoit point le Duc de Bavière.
En sorte qu’au matin du second jour le Duc de Bersini se éveilla avec les François au cul, dont il fut fort effrayé. En vain voulut-il retourner ses couleuvrines pour leur tirer dessus. Les archers Numides l’en empeschèrent en criblant de traits les servants. La meslée fut effroyable tout le jour et Dieu sait quels grands et beaux coups d’épée furent donnés par nos Chevaliers et leurs gens. Sur le soir, s’arrêtèrent tous épuisés et assoiffés car point n’avoient bu depuis la veille, et si bien mélangés que nul ne pouvoit dire où étoient amis et ennemis. Ainsi le Baron de Saint Pol et Barberousse se battirent-ils longtemps l’un l’autre avant que de se reconnoître.
Un détachement ayant trouvé l’eau, le Site d’Ielhe, qui avoit été Capita sur les galères royales avant que de se joindre à l’Ost, courut de tous côtés, en dépit des traits qui pleuvoient sur lui, pour en bailler la nouvelle.
Ayant bu dans la nuit, recommencèrent de plus belle la bataille dès le lever du troisième jour. Le Duc de Longuechausse toujours sur son rocher et sans nouvelles de l’Ost fit alors venir grosses bombardes angloises, assembla les cuisiniers, tourne broches, gaste sauces, marmitons et aultres petits gens de même poil et les confiant à son écuyer, jeune seigneur encore à peine hors de Paige, les lança à l’assaut des remparts Nord. Et tant bien firent que, sous le choc, les Chevaliers du Duc de Macaroni abandonnèrent leurs gens et prirent la fuite (Honte à eux !) si rapidement que ne purent être rattrapés et perdirent tous leurs bagages. Le reste des gens d’armes tomba entre nos mains et telle fut la clémence du Duc de Longuechausse qu’il n’en fit occire aucun.
Le quatrième jour, furent bien aise de se rassembler tous. Le Duc de Bavière qui avoit été laissé pour mort, fut retrouvé blessé mais sain et gaillard et demanda à boire à grands cris dès qu’on l’eut aperçu. Le Sire des Maures lui fit boire du vin des caves de l’ennemi, qui le guérit plus rapidement que n’eussent pu le faire drogues et pharmacopées. Pendant plusieurs jours festoyèrent sans arrêt au dépens du Duc de Bersini cependant que les hacquebutiers numides, joyeusement pillaient la ville.

Chapitre quint

Comment les Chevaliers durent se transformer en chamois pour prendre la plus grande forteresse de Éthiopie
De Koub-Koub se dirigèrent vers Keren qui est ville entourée de hautes montagnes, pour en faire le siège. Mais comme ils n’avoient point de charroi, durent se procurer, dans le pays, des animaux pour transporter leurs bagages augmentés et alourdis de tout leur butin. Le Duc de Longuechausse bailla commission au Seigneur Joyeusini de rechercher des Mulets. Mulets sont fort communs en l’isle de Corse où servent au transport des honestes gens comme des bandits. Aussi Joyeusini les connaissoit-il bien. Barberousse fut commis à la queste des dromadaires. Dromadaires sont bestes fort estranges. Ils peuvent travailler sans manger ni boire pendant plusieurs mois et au bout de ce temps meurent sans que l’on sceut comment. Peut-être est-ce de faim et de soif.
L’Ost quitta donc Koub-Koub et arriva en un lieu dit Gudguda où fut trouvée l’eau plus salée que celle de la mer. Et si grand fut le fientement que le boyau culier leur éclapait par le fondement comme arriva aux Philistins lorsque Jéhovah voulut les chastier (Cf. Lib. Jud. Cap. CXV Vers. XXVII et seq.). Et plus ne portoient de chausses car toutes les conchioient avant que d’avoir le temps de les oster.
Escaladèrent ensuite un pic de 6.666 pieds de haut d’où apercevoient Keren comme Moïse vit terre promise du haut du Mont Nebo. Et brûloient de donner l’assaut. Mais furent devancés en celà par la 13e Légion, non point romaine mais Françoise, curieuse horde d’adventuriers de tous poils au service du Roy de France, aussi braves au combat que voleurs et pillards après la meslée. Ils estoient commandés par un vieux reître, le Duc de Narvik, qui avoit fait toutes les guerres depuis celle de Cent Ans et y avoit perdu les bras et les jambes. Mais restoit toujours gaillard et ne rêvoit que grands coups d’épée. Entre deux batailles aimoit à se parer des insignes et grands grands cordons de toutes les cours d’Europe et à en distribuer à ceux qui le servoient.
Le Duc de Fly Tox quitta alors l’Ost pour suivre la Légion et fut remplacé par un jeune Chevalier Anglois-Norman beau comme Apollon qui juroit comme Templier et tenoit après boire langage si grossier que les Chevaliers François, qui pourtant n’estoient point délicats, rougissoient de l’entendre. Mais savoit à ce point parler François, boire à la Françoise, et estoit si François de coeur que dès le premier jour fut considéré par les Chevaliers comme un des leurs.
Les Légionnaires assaillirent galamment une haute forteresse, mais par suite de leur petit nombre, ne purent y atteindre. Décida alors le Duc de Narvik de les mettre au repos et pria le Duc de Longuechausse de continuer seul le siège en attendant qu’ils fussent remis. L’Ost resta donc plusieurs semaines sur ces montagnes entourées de brumes, privé de tout ravitaillement car les Légionnaires n’étoient point tant fatigués qu’ils ne pussent couper les routes et enlever les caravanes qui lui étoient destinées.
Cependant les armées du Roy d’Angleterre, venues par une autre route, prirent d’assaut à grand renfort de bombardes et de feu Grégeois. Nos gens n’eurent que le temps de descendre de leurs montagnes pour couper la retraite aux fuyards et faire maints prisonniers.
Et regagnèrent, ensuite Gudguda où recommencèrent à sonner du cul comme chasseur du cor.
Extrait de la Revue de la France Libre, n° 21, septembre-octobre 1949.